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Les médecins accablés par la surcharge de travail induite par le sida

Qu’ils prescrivent des thérapies contre le sida ou qu’ils assistent les patients dans leur parcours hospitalier, les médecins camerounais éprouvent de grandes difficultés à faire face à la surcharge de travail induite par l’épidémie. «J’ai envie de bien faire… mais je n’y arrive pas», explique C. sous couvert d'anonymat, un médecin de l’unité de jour de l’hôpital central de Yaoundé (HCY), le plus important centre de prise en charge des personnes vivant avec le sida de la capitale camerounaise. La structure fonctionne aujourd’hui avec une file active de 12 000 patients ; environ 2 500 d’entre eux reçoivent des médicaments antirétroviraux (ARV), qui prolongent leur espérance de vie. Entre 150 et 200 malades s’y rendent chaque jour. Ce matin là, dans une chaleur déjà lourde d’humidité, une cinquantaine de personnes patiente, dans la salle d’attente ou assises sur les bancs disposés le long des couloirs du bâtiment, un large pavillon propre et ventilé, discrètement installé non loin du principal édifice de l’hôpital. Un médecin et deux dermatologues du centre hospitalier viennent d’ailleurs épauler, à mi-temps et une à trois fois par semaine, les deux praticiens qui travaillent en permanence dans le service du docteur Charles Kouanfack. Mais le médecin reconnaît que c’est loin d’être suffisant. «Nous sommes surchargés», avoue-t-il. Alors que l’on frappe de nouveau à sa porte, C. lève les yeux au ciel : il n’en peut plus, avoue-t-elle. «J’ai vu 42 personnes aujourd’hui, de façon grossière, rapidement», commente le médecin. Dans la foulée du lancement de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le sida, au début des années 2000, le nombre de consultations par praticien est passé de 10 à environ 50 par jour, selon les médecins camerounais. «Certains patients attendent toute la journée, ils arrivent dès le matin à 7 heures 30 et ils ne sont re¬¬çus qu’à 18 heures. On leur explique les problèmes de façon sommaire, alors qu’ils ont plein de questions», raconte C. Du coup, beaucoup de malades se découragent et vont trouver secours auprès des médecins traditionnels, plus proches de chez eux, plus disponibles aussi, explique C., qui craint que le programme national de prise en charge achoppe sur l’absence d’écoute et de suivi correcte des patients. «Beaucoup vont chez les tradipraticiens, pour revenir dans des états pitoyables à l’hôpital», constate C. «Les malades qui ont le courage de venir attendent plus de nous, mais nous n’avons pas le temps… Je ne sais pas ce que va devenir le paysage camerounais dans les 10 ans à venir.» Selon le médecin, 2 000 patients viennent à l’hôpital prendre leurs ARV tous les mois, alors que 5 000 personnes sont éligibles et inscrits pour un traitement. Le docteur Kouanfack avoue que la qualité de la consultation et du suivi pâtit du manque de personnel médical et d’assistants sociaux - tout comme elle souffre de l’absence de médicaments, d’équipements techniques et de matériel informatique. Des médecins et des patients démotivés «Nous ne sommes pas en mesure d’aller à la recherche des ‘perdus de vue’», dit-il, en référence aux malades qui cessent de venir à l’hôpital et de prendre leurs ARV, une thérapie qui doit être suivie toute la vie sous peine de voir apparaître des résistances aux médicaments. Les agents de relais communautaire, recrutés et rémunérés par l’Etat pour pallier le manque de médecins et de psychologues, ne disposent pas d’assez de moyens pour se déplacer dans les foyers et ainsi travailler à la hauteur des attentes des médecins, a précisé le docteur Kouanfack. Lui-même reçoit en moyenne 50 malades par jour : «La qualité de la consultation s’en ressent, évidemment», dit-il, ajoutant que l’hôpital avait décidé de former le plus de personnel possible, notamment à la pharmacie, «afin qu’il soit capable de détecter des problèmes dans les prescriptions». Selon de nombreux médecins, les difficultés financières des malades provoquent à leur tour une charge de travail supplémentaire : leur faible pouvoir d’achat les empêche de suivre leur traitement régulièrement et de correctement se nourrir, précise le docteur Paulin Ewanae, coordinateur du Centre de traitement agréé (CTA) de l’hôpital militaire de Yaoundé. «Les problèmes de santé [des patients] s’aggravent en conséquence et cela augmente du coup notre volume de travail», explique-t-il. Au CTA de Yaoundé, qui bénéficie encore pour quelques mois de l’appui de l’organisation internationale Médecins sans frontières, deux à trois médecins suivent environ un millier de malades. Si la charge de travail est a priori moindre, le manque d’équipement et la situation des patients pèsent sur le moral des praticiens. Pour compenser l’effort consenti par les médecins, le docteur Kouanfack appelle à une revalorisation de leur salaire, largement insuffisant pour le moment, selon lui : «Il y a un problème de motivation», argumente-t-il. Selon des médecins camerounais, un médecin généraliste ne peut espérer gagner plus de 194 000 francs CFA (358 dollars) par mois au terme de sa carrière, que ce soit dans le privé ou dans le public car peu de différences existeraient en fait entre les deux grilles salariales au Cameroun. Ainsi, un médecin vacataire, qui a fait ses études à l’étranger et qui travaille dans le secteur privé, ne reçoit guère plus de 50 000 francs CFA (92 dollars) par mois à Yaoundé. Or, les médecins devraient consacrer en moyenne trois fois plus de temps aux personnes infectées au VIH qu’aux malades ‘classiques’, selon des praticiens. «Les médecins et les infirmiers qui sont là n’ont pas envie de travailler, certains membres du personnel ne sont pas à leur poste de travail. Parfois, les patients se retrouvent seuls dans les salles», constate un médecin de l’hôpital militaire. Pour compléter leurs revenus, certains médecins multiplient les missions à l’extérieur et leur participation à différents projets de recherche, confie le docteur Kouanfack. Début avril, le ministre de la Santé du Cameroun, Urbain Olanguena Awono, très impliqué dans la lutte contre l’épidémie de sida dans son pays, a assuré que les autorités travaillaient à un plan de développement des ressources humaines. «Nous allons travailler sur les mesures incitatives capables de nous permettre de maintenir ce personnel [de santé] dans nos formations sanitaires», a-t-il assuré, un discours que les médecins espèrent voir se concrétiser pour le bien de leurs patients.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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