1. Accueil
  2. West Africa
  3. Burkina Faso
  • News

Reconstruire sa vie avec le sida, le douloureux parcours des femmes migrantes

Antoinette, Justine et Salimata ont cent ans à elles trois, un siècle d’errance et de souffrances entre la Côte d’Ivoire, qu’elles ont fui, et le Burkina Faso, leur pays, où elles tentent, seules, de reconstruire leur vie malgré le rejet et la honte. Ces trois femmes sont séropositives. Veuves, célibataires ou abandonnées, sans rémunération sérieuse, elles survivent grâce à l’aide de l'Association Africa Solidarité, AAS, l’une des plus importantes structures de prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA au Burkina Faso, avec 300 patients sous traitement antirétroviraux (ARV). Quand les médecins d’AAS leur ont conseillé de se faire dépister au VIH, à leur arrivée à Ouagadougou, la capitale, aucune n’a tremblé. On savait, affirment-elles en choeur. Qu’elles soient nées en Côte d’Ivoire, comme Justine et Salimata, ou qu’elles s’y soient mariées, comme Antoinette, toutes connaissaient le sida : l’épidémie fait des ravages dans ce pays d’Afrique de l’ouest, où le taux de prévalence est officiellement estimé à sept pour cent de la population. Si ce niveau d’infection reste bien en-dessous de la réalité, selon les humanitaires, il est largement supérieur au taux de prévalence constaté au Burkina, autour de 2,3 pour cent en 2004, selon les Nations Unies. “Mon mari est mort du sida il y a huit ans”, raconte Justine, une jeune femme de 30 ans à l’allure juvénile. Pieds nus, les jambes enroulées dans une pièce de tissu traditionnel fané, elle s’exprime en moré, l’une des principales langues vernaculaires du Burkina parlée par les populations du plateau central, une zone de forte migration vers la Côte d’Ivoire. “Tout le monde savait que mon mari était en train de mourir de ça, mais on ne m’a rien dit”, explique-t-elle. Mariée à 11 ans, Justine n’a jamais été à l’école, sa vie se partageant entre son mari, mécanicien, et les rues de Divo, dans le centre de la Côte d’Ivoire, où elle vendait de l’eau potable. “Quand il est mort, j’ai commencé à avoir peur, tout le monde m’a dit que c’était ça, que j’étais contaminée. Ils ont refusé de me trouver un autre mari comme le veut la tradition et ils m’ont chassé”, se souvient-elle. Antoinette, 38 ans, cinq enfants Antoinette a aussi connu le rejet et l’abandon. Plus âgée, elle se sent aussi plus fatiguée, malgré les ARV qu’elle prend maintenant depuis quatre mois ; à 38 ans, cette mère de cinq enfants a connu la souffrance physique et le deuil, des peines lourdes à supporter depuis qu’elle vit seule. Pourtant, c’est un accident de voiture et non la guerre déclenchée par la rébellion des Forces nouvelles en septembre 2002 qui a poussé Antoinette à quitter Abidjan, la capitale économique ivoirienne où elle avait eu, pendant 15 ans, une belle maison et une vie confortable. “L’une de mes filles est morte dans cet accident, et j’ai été grièvement blessée. Notre couple a commencé à aller mal, mon mari m’a dit de partir et je suis rentrée chez mon père, au village, au Burkina”, dit-elle d’une voix lasse. N’ayant jamais été soignée, elle est désormais handicapée d’un bras et vit dans la misère depuis le décès de son père, un homme bon qui l’avait accueilli dans la cour familiale lors de son retour au pays. Les larmes aux yeux, elle raconte alors son départ pour Ouagadougou avec l’un de ses fils, sa séropositivité, découverte un an plus tard, et ses journées, qu’elle passe à marcher dans les rues bruyantes et encombrées de la capitale, un carton de sandales en plastique sur la tête, des chaussures qu’elle vend 300 francs CFA (55 cents américains) la paire. “Là où j’habite, deux personnes savent que j’ai le sida, mais tout le monde s’en fiche. Il y a des gens qui m’aident à manger, parce qu’ils savent que je n’ai pas les moyens”, explique-t-elle. Sa blouse déchirée et ses cheveux en bataille témoignent à eux seuls de ses batailles au quotidien. Elle mange une fois par jour à l’AAS, avec d’autres compatriotes ayant vécu les mêmes traumatismes. Le bâtiment de trois étages résonne des conversations et des rires des patients et du personnel de santé, des assistants sociaux et des infirmiers particulièrement impliqués dans la prise en charge psychosociale et médicale de ces personnes démunies. De sources officielles, 3,5 millions de Burkinabè vivaient en Côte d’Ivoire dans les années 90, des migrants économiques très présents dans le secteur agricole, le commerce et les transports. De sources humanitaires, un million d’entre eux sont rentrés au Burkina après les violences qui ont suivi le déclenchement de la guerre civile. Beaucoup avaient les mains vides. Selon le professeur Albert Ouédraogo, responsable de l’association Le Tocsin qui défend depuis 2004 les droits des migrants et des retournés, les mécanismes de solidarité ne se sont pas mis en route pour ces gens qui avaient tout perdu et qui, dans la plupart des cas, n’avaient pas préparé leur retour. “Les hommes sont restés en Côte d’Ivoire et ils ont envoyé les femmes et les enfants au village au pays, pour les mettre en sécurité”, explique le professeur Ouédraogo. “Mais ils se sont faits chasser, il n’y a eu aucune considération pour ces populations, pas de coeur de la part de ceux qui sont restés.” Le professeur Ouédraogo s’est également dit déçu du peu de réactions concrètes des autorités et de la classe politique vis-à-vis de ces populations en souffrance. “L’Etat a d’autres chats à fouetter que de se préoccuper de la diaspora. Les Burkinabè de l’extérieur ont été considérés comme des coupables, d’être revenus et sans rien”, a-t-il expliqué. Salimata, 32 ans, un garçon C’est également le constat de Salimata, une jeune femme dynamique de 32 ans, quand elle parvient enfin, en 2002, dans ce village qu’elle ne connaît pas, au coeur du pays mossi, grand pourvoyeur de main d’oeuvre pour les plantations de café et de cacao de Côte d’Ivoire. C’était la première fois qu’elle s’y rendait : Salimata est née et a grandit en Côte d’Ivoire, dans la chaleur d’un cercle familial soudé ; ses deux soeurs et son père, qui s’est remarié après la mort de sa mère, y vivent toujours. Mère célibataire d’un petit garçon qui a alors deux ans, Abdel Kader, elle connaît à son tour le rejet, les insultes, la solitude et, enfin, la maladie. “Mon père avait envoyé de l’argent pour construire une maison familiale au village, mais quand je suis arrivée, les gens ont dit que la maison était à eux et que je n’avais qu’à partir”, raconte-t-elle. Pendant trois mois, Salimata et Abdel Kader vivent dans les rues de Ouagadougou, dormant aux pieds des magasins, dans des cartons ou à même le béton. “Je ne faisais rien. Qu’est-ce que tu peux faire quand tu es dans le vide, quand tu n’as plus le courage de travailler ? Demain tu es là, après tu es ailleurs…”, souffle-t-elle. Près de trois ans après son arrivée au Burkina, de plus en plus faible et malade, Salimata se laisse convaincre par une jeune fille, elle-même séropositive, de se rendre à l’AAS, pour un bilan médical gratuit. “Je pensais de toute façon que c’était le sida, je n’ai pas eu peur.” Ce n’est effectivement plus le sida qui fait peur à Salimata, mais la précarité de sa vie. “Je ne pense pas à ça -- un temps oui, mais ça m’a passé, il n’y a rien de bon là-dedans. Non, je pense souvent que je n’ai rien, que je ne sais rien faire, qu’Abdel Kader ne mange rien, qu’il n’a pas de jouets, que c’est difficile. Des fois, je trouve 50 francs (0,09 cents) pour le calmer et on attend midi pour aller manger à l’AAS.” Une femme lui a ouvert sa maison, une chambre et un salon qu’elle partage avec cette famille et son petit garçon. Personne ne sait qu’elle est séropositive, elle ne veut pas avoir à retourner dans la rue. Pour gagner sa vie et aider cette femme, elle “cherche un mari” mais elle ne trouve rien de bien concluant, explique-t-elle. “Des fois, tu vois les garçons, ils donnent entre 1 500 et 2 000 francs (2,7-3,6 dollars) pour la nourriture. Il arrive que je reste deux ou trois jours chez eux, et puis ils me ramènent.” Elle admet qu’il est parfois difficile de leur faire accepter le port du préservatif. “Je leur dis ça, certains acceptent, d’autres donnent plus d’argent pour ne pas mettre, c’est difficile d’insister.” Justine, 30 ans, une fille Justine, elle, se trouve très bien toute seule. “Je cherche de l’argent, pas un mari”, explique-t-elle, ajoutant qu’elle aimerait avoir un petit commerce pour avoir de quoi faire vivre sa fille de huit ans. Pour le moment, la petite vit au village avec sa grand-mère, car le travail qu’elle a trouvé ne lui permet pas de s’en occuper à Ouagadougou : elle gagne un peu plus de sept dollars par mois en ramassant le sable et les graviers pour les entreprises de construction de la capitale. “J’ai laissé l’enfant au village mais ils ne veulent pas qu’elle aille à l’école parce qu’ils pensent qu’elle va mourir, lui aussi”, raconte-t-elle. “La famille nous néglige, elle dit qu’on va les contaminer… alors ils ferment les portes des cours. C’est la maladie qui fait ça.” Comme Antoinette et Salimata, Justine ne mange qu’une fois par jour, à l’AAS. “C’est difficile d’acheter des habits, de manger, de faire des économies pour l’école. J’ai rien.” Pourtant, Justine dit “ne plus avoir peur : je me sens mieux, plus en forme depuis les ARV. Je ne vais pas retourner dans la guerre mais construire quelque chose ici, c’est le moment maintenant.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join