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Des médecins se penchent sur la santé et les besoins des homosexuels

Au Sénégal, rien n’est plus difficile, pour un homosexuel, que d’obtenir un rendez-vous chez un médecin. Pourtant, une poignée de praticiens se bat pour que la prise en charge thérapeutique de ce groupe vulnérable devienne une des priorités nationales de la lutte contre le VIH/SIDA. «Un médecin est tenu de suivre un patient sans tenir compte de son appartenance religieuse, ou de son orientation sexuelle», a affirmé le docteur Abdou Khoudia Diop, responsable de la prise en charge des homosexuels (ou Men having Sex with Men, MSM en anglais) à la division IST/SIDA du ministère sénégalais de la Santé. Surnommé «Docteur MSM» par ses confrères médecins, le docteur Diop reçoit des centaines d’homosexuels en consultation à l'Institut d'hygiène sociale (IHS) de Dakar, la capitale du Sénégal, un pays où l’homosexualité est toujours illégale, en vertu de l’article 319 du code pénal qui considère les relations sexuelles entre personnes de même sexe comme "contre nature". Ainsi, le conservatisme et le strict respect du Coran dans ce pays musulman à 95 pour cent expose toute personne qui s’adonnerait à des pratiques sexuelles non acceptées à de sérieux problèmes – ce qui pousse les MSM à se méfier de leur entourage, jugé hostile à leur égard. Selon Madiena, un homosexuel d’une trentaine d’années (son prénom a été changé), «l'accueil [dans les centres médicaux] est très froid et très décevant. Arrivés à la porte, les agents de santé font des commentaires très osés sur notre démarche ou nos habits, ils disent des mots qui montrent toute la haine que nous leur inspirons», a-t-il expliqué. En général, a précisé Madiena, «il suffit de voir la mine renfrognée du médecin pour comprendre qu'il ne veut pas te prendre en charge». Etienne, 25 ans, a ajouté que «des médecins nous fixent des rendez-vous qu'ils ne respectent jamais. Parfois, ils minimisent une infection pour éviter de nous toucher». Pourtant, les homosexuels au Sénégal sont parmi les personnes les plus exposées à l’infection au VIH/SIDA et aux infections sexuellement transmissibles (IST), en raison de leur liberté sexuelle et de leur manque de connaissance vis-à-vis des modes de prévention du virus – les programmes de prévention étant en général destinés aux populations hétérosexuelles, ont expliqué des MSM. «La voie rectale est une voie rapide d'infection à VIH. Or le port de préservatifs ou l'usage de lubrifiants est encore très bas chez les MSM, qui ont souvent plusieurs partenaires», a expliqué le docteur Abdou Khadre Fall, du comité régional de lutte contre le sida de Saint Louis, au nord du pays. Au terme d’une étude menée en 2005 sur 463 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, le ministère de la Santé a ainsi estimé le taux de prévalence du VIH au sein de cette population à 21,5 pour cent, contre une moyenne nationale de 1,5 pour cent. Or, en raison de la pression sociale, de nombreux homosexuels ont dit mener une vie d’homme marié, cachant ainsi leur orientation sexuelle de peur d’être rejetés par leur entourage et leurs collègues de travail. Une double vie pour éviter la discrimination «La plupart d'entre nous sont mariés à d'autres femmes, sortent avec des jeunes filles ou ont des relations sexuelles avec des prostituées», a raconté Madiena à PlusNews, ajoutant que ces femmes pouvaient à leur tour transmettre le virus dans leur communauté. Tamsir, un homosexuel de 24 ans, a ainsi une relation avec le mari de l'une de ses amies prostituées. «Quand il m'a vu, il m'a aimé et nous sommes restés ensemble», a-t-il commenté. «Il ne voulait plus de sa femme et disait qu'il couchait avec elle uniquement pour avoir des enfants.» Frappé par les nombreux décès et les maladies qui touchent leur communauté, un groupe d’homosexuels s’est réuni il y a cinq ans “pour savoir si le VIH/SIDA en était la cause, pour trouver une solution à ce problème”, a expliqué Mamadou, 27 ans. «Il y avait les actifs, les passifs, les travestis, les folles et toute cette masse de gens qui n’osent pas aller à l’hôpital de peur d’être montrés du doigt et marginalisés. Et puis de nombreux homosexuels étaient analphabètes», a-t-il ajouté. «Etre gay, c’est être indexé. Nous devions alors nous organiser». De 56 adhérents en 2000, la plupart résidant à Dakar, l’association And Liguey (“Travailler ensemble”, en wolof, la langue locale la plus utilisée au Sénégal) est passée aujourd’hui à plus de 400 membres. Ils ont entre 18 et 40 ans et vivent dans les différentes régions du Sénégal. Un deuxième groupe de MSM, Bokk Xalaat (“Nous avons la même idée”) revendique le même nombre d’adhérents. «Ils ne voulaient pas consulter de médecins de peur qu’on les juge», dit un des trois praticiens qui, depuis, soignent gratuitement les MSM à Dakar -- deux médecins dans chacune des onze régions du Sénégal reçoivent bénévolement ceux qui viennent se faire soigner pour des IST et des maladies opportunistes liées au VIH/SIDA. «Mais nous les avons traités comme des êtres humains. Ils avaient besoin de soins, nous avons osé nous en occuper et, pour cela, on nous a considéré nous-mêmes comme des homosexuels et on s’est fait insultés», a commenté ce praticien, qui a requis l’anonymat. Depuis, ils sont nombreux à faire le déplacement jusqu’à Dakar pour rencontrer la poignée de médecins qui accepte de les recevoir et de les soigner. Certains viennent de régions éloignées, du nord du pays ou du sud de la Casamance, fuyant des endroits connus où les praticiens avouent souvent leur ignorance face aux infections développées -- voire à la manière d’accueillir et de réconforter les patients. Pour le docteur Juan Da Veiga, qui prend en charge 200 homosexuels à l'hôpital Saint Jean de Dieu de Thiès, une ville située à 70 kilomètres de Dakar, les médecins sont peu outillés pour prendre en charge les MSM. Un guide pour expliquer comment soigner «Les médecins ont besoin de formation en prise en charge MSM», a dit docteur Da Veiga. «En consultation, les homosexuels ne parviennent pas à tout dire au médecin, qui doit faire un diagnostic complet pour découvrir là où ils ont mal.» Pour combler ces lacunes, un guide pratique de prise en charge médicale des MSM sera disponible fin décembre, selon le docteur Diop. «La version finale du guide est prête, elle est révisée en ce moment par un groupe de médecins», a-t-il dit alors qu’il assistait, la semaine dernière à Dakar, à un atelier sur la prise en charge médicale des MSM, organisé par l'organisation non-gouvernementale sénégalaise Enda Santé, avec l'appui du Conseil national de lutte contre le sida (CNLS). «C'est le contexte socioculturel du Sénégal qui ne permet pas de mettre tout au devant de la scène, mais il y a des actions concrètes qui se font», a souligné le docteur Diop. L’atelier de Dalar a regroupé une quinzaine de médecins, qui ont souligné la nécessité d'harmoniser la prise en charge médicale des MSM. Mais, selon Cheikh Mbaye, d’Enda-Santé, de nombreux praticiens ont refusé d’assister à cette rencontre, en raison de son thème. «Un médecin m'a répondu que c'est un pêché de toucher un MSM, car pendant 40 jours ses prières seront nulles», a expliqué M. Mbaye. Devenu essentiel pour tous les médecins de bonne volonté, ce guide répertorie les pathologies ainsi que les difficultés les plus fréquemment rencontrées par la communauté homosexuelle, que ce soit dans le milieu médical ou le contexte familial, afin d’établir un diagnostic précis des souffrances de ces patients. Parmi celles-ci, la discrimination et la stigmatisation dont ils font l’objet comptent beaucoup dans l’aggravation de leur état de santé, selon Madiena. «La plupart des MSM, expulsés de chez eux à cause de leur orientation sexuelle, passent la nuit dans les bars et les hôtels. Ca les expose davantage à l'infection au VIH», a-t-il raconté, ajoutant que le désoeuvrement des MSM contribuait largement à la propagation du virus.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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