« C’est moi qui étais responsable des enfants et qui travaillais à la ferme », a dit Badria.
Depuis sa première grossesse, Badria souffre de « douleurs osseuses », une maladie contre laquelle les médecins lui ont prescrit des médicaments, mais qu’ils n’ont jamais été capables de diagnostiquer ni de guérir.
Depuis 11 ans, elle souffre d’une hernie discale à force de ramasser le bois, d’aller chercher l’eau, de travailler dans les champs et d’avoir des enfants depuis son jeune âge.
« La plupart du temps, je me sens simplement triste », a expliqué Badria.
Elle souffre également d’une descente d’organes (prolapsus vaginal) qui fait que les muscles, les ligaments et la peau à l’intérieur et autour du vagin d’une femme sont défaillants ou se déchirent.
« Tous ces problèmes sont des symptômes liés à un mariage précoce », a déclaré Arwa Elrabee, gynécologue à Sanaa. « Ces mariages sont principalement synonymes de souffrances.»
Selon les ONG, les équipes médicales et les chercheurs, les mariages précoces sont associés à de nombreux problèmes physiques et psychologiques, mais aucune étude n’a été menée sur les effets à long terme.
Complications médicales
Mme Elrabee voit une centaine de patientes par jour. Ses salles d’attente sont pleines de femmes en noir portant le “niqab”, le voile habituel au Yémen. Beaucoup sont assises par terre et attendent patiemment leur tour. « Cela fait 25 ans que je travaille avec des femmes, » a dit le médecin. « Tous les jours, je constate les effets des mariages précoces. »
Selon le rapport 2008 de la Coalition internationale pour la santé des femmes (l’International Women's Health Coalition) « Le mariage d’enfants : Un Risque pour les Filles de 14 Ans et Moins » , à ce jeune âge, les filles courent un risque plus élevé de complications durant la grossesse et à l’accouchement que des adolescentes plus âgées, parce que leur corps (structure osseuse, pelvis, organes reproducteurs) n’est pas encore pleinement développé.
Beaucoup subissent des accouchements prolongés ou avec obstruction, ce qui peut provoquer des hémorragies, des infections graves ou même la mort. D’autres complications courantes comprennent l’éclampsie, les fistules obstétriques et les déchirures vaginales et anales.
Des grossesses répétées à partir d’un très jeune âge et un travail épuisant laissent leurs marques : « Les mariages précoces finissent par provoquer un handicap chez beaucoup de femmes, » a dit Mme Elrabee.
Presque la moitié des jeunes filles yéménites, soit 48 pour cent, sont mariées avant l’âge de 18 ans, selon le Centre international de recherche sur les femmes (ICWR) basé à Washington. Pour la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ceci bafoue le principe de la majorité sexuelle légale.
Dépression
Outre les effets physiques à long terme, Mme Elrabee a expliqué que le plus gros problème chez les femmes de plus de 40 ans était la dépression.
« Il s’agit de femmes qui ont eu de lourdes responsabilités depuis un très jeune âge, » a t-elle dit. « Elle se sentent déprimées, insatisfaites et beaucoup disent qu’elles n’ont jamais profité de la vie. »
Une étude intitulée « Le mariage précoce au Yémen : Une étude de base pour lutter contre le mariage précoce dans les gouvernorats de Hadhramaut et Hodeidah » a été menée par le Centre de recherche et d’études relatives au genre (GDRSC) de l’Université de Sanaa. Elle constate que ces mariages précoces souvent forcés ont pour résultat une « vie de famille instable, gâchée par les conflits et le manque d’attirance entre les époux ».
Cette étude explique comment les très jeunes épouses sont souvent complètement accablées par la vie maritale et leurs nouvelles responsabilités, telles que s’occuper des besoins de leur nouveau mari, le travail ménager et la cohabitation avec la belle-famille, alors qu’elles sont privées de l’affection de leurs parents.
« Des femmes brisées »
Pour Husnia al-Kadri, directrice du GDRSC, beaucoup des symptômes dont se plaignent les femmes sont psychologiques.
« Beaucoup d’entre elles souffrent d’un manque d’énergie et ont des douleurs imaginaires. Cela devient particulièrement problématique quand les femmes atteignent la ménopause. Elles ont alors le sentiment d’avoir passé leur vie à servir leur famille et quand elles ne peuvent plus avoir d’enfants, elles ont l’impression de ne plus avoir aucun rôle à jouer », a dit Mme al-Kadri.
« Elles n’ont eu aucune éducation, elles sont analphabètes et ne savent pas s’exprimer » a t-elle continué. « Elles ne peuvent même pas venir à l’hôpital toute seules, ce qui impose encore une autre contrainte à la famille. »
Elle a expliqué que même si elles arrivent à y aller, elles n’ont accès à aucun service, aucun conseil. « Au lieu de leur fournir de l’aide, c’est souvent des sédatifs qu’on donne à ces femmes.”
Mme Elrabee le dit sans détour : « Quand elles vieillissent, ces femmes sont des femmes brisées. »
Badria jette un regard à sa fille. « Ma fille n’est pas comme moi. Elle a ses rêves d’avenir ; elle fait des études et elle travaille. Elle est indépendante et peut se marier quand elle voudra. »
« Mais moi, on m’a forcée à faire tout ce que j’ai fait. Je n’ai jamais eu de choix. »
« Si j’avais eu une éducation, j’aurais pu travailler à l’extérieur, peut-être même suivre une carrière. Au lieu de ça, je ne fais que travailler et rester à la maison, et regarder la télé. »
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