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Inverser le récit : il faut que l'on parle de l'aide humanitaire internationale et de l'autonomie des réfugiés

« Les organisations internationales et les ONG traitent souvent les réfugiés comme un poids qu'il faut gérer. Elles ne nous considèrent pas comme des êtres humains capables de se prendre en charge. »

A graphic image. The background is black and in the foreground we see a maze. On top of the edges of the maze are several human-looking drawings holding fishing hooks and attempting to fish from the maze. Ramiro Zardoya/Cartoon Movement

J'ai vu des encarts publicitaires des agences de l'ONU sur les réseaux sociaux qui posent cette question : « Qu'emporteriez-vous si vous deviez fuir votre domicile ? ». La question est censée susciter l'empathie envers les réfugiés, mais, à mon avis, ce n'est pas la bonne question à poser. Il vaudrait mieux demander : « Comment aimeriez-vous qu'on vous traite si vous deviez prendre la fuite et devenir réfugié ? ».


Je sais par expérience que les organisations internationales et les ONG traitent souvent les réfugiés comme un poids qu'il faut gérer. Elles ne nous considèrent pas comme des êtres humains capables de se prendre en charge. Est-ce cela que vous voudriez si vous étiez à notre place ?


Quand on devient réfugié, on perd presque tout. Mais, en tant que réfugiés, nous avons toujours toutes nos facultés, notre vécu et nos réussites. Si vous étiez médecin avant de devenir réfugié, par exemple, vous êtes toujours médecin après être devenu réfugié. 


Toutefois, l'un des aspects les plus difficiles de la vie d'un réfugié, c'est de se rendre compte que votre vécu et votre potentiel ne comptent pas aux yeux des ONG internationales et des agences onusiennes vers lesquelles vous vous êtes tourné pour demander de l'aide. Vous vous retrouvez dépendants de leurs services, tandis que vous avez le sentiment que votre dignité est amoindrie, que vous valez moins qu'auparavant. 

« Je ne pensais pas obtenir le soutien dont j'avais besoin »

Quand je suis arrivé à Kampala, en Ouganda, en 2011, j'avais 20 ans et j'étais traumatisé par les événements que j'avais vécus dans ma région d'origine, le Sud Kivu, en République démocratique du Congo (RDC) – non seulement à cause de ce qui m'a forcé à fuir, mais aussi de ce qui s'est passé quand j'ai essayé de me mettre en sécurité. J'avais besoin d'aide, mais le processus pour l'obtenir a été extrêmement déshumanisant. 

 

“La leçon que j'en ai tiré, c'est que je ne pourrais pas compter sur le soutien des ONG internationales si j'avais besoin d'une aide d'urgence.” 

 

J'ai dû me lever très tôt pour rejoindre la file d'attente devant le bureau d'une organisation caritative à Kampala, en espérant pouvoir être reçu. Si je quittais la file d'attente pour manger ou me reposer, je perdais ma place. En fin de journée, un employé faisait son apparition pour nous dire que le bureau fermait, que nous devions revenir le lendemain pour faire à nouveau la queue. Quand j'ai enfin réussi à entrer, on m'a donné un rendez-vous avec un thérapeute un mois plus tard.


En fait, je ne suis pas allé à ce rendez-vous. J'étais convaincu, à cause de cette mauvaise expérience, que je n'obtiendrais pas le soutien dont j'avais besoin. La leçon que j'en ai tiré, c'est que je ne pourrais pas compter sur le soutien des ONG internationales si j'avais besoin d'une aide d'urgence.


Heureusement, j'avais des compétences en informatique et j'ai rapidement appris l'anglais. Avec l'aide de membres de la communauté congolaise, j'ai pu rester à Kampala et trouver un emploi pour subvenir à mes besoins.


Des membres de ma famille, qui sont venus à Kampala deux ou trois ans plus tard, ont été envoyés dans un camp de réfugiés où on leur a remis un petit lopin de terre, des couvertures, quelques articles ménagers de première nécessité et une tente pour qu'ils puissent se construire un abri. Les rations alimentaires qu'on leur a données ne permettraient pas à un être humain normalement constitué de survivre un mois entier, loin de là. Mais, apparemment, elles étaient censées leur suffire. 

 

« Beaucoup d'ONG internationales qui fournissent de l'aide aux réfugiés ne voient pas d'inconvénient à les maintenir dans la dépendance »

Beaucoup de réfugiés sont reconnaissants d'avoir été accueillis et d'avoir reçu quelque chose pour redémarrer. En ce sens, les organisations humanitaires jouent un rôle positif en apportant un soutien aux réfugiés. Mais, en même temps, la manière dont les agences de l'ONU et un grand nombre d'ONG internationales fonctionnent a obligé les réfugiés à vivre comme des mendiants.


Les organisations donnent aux réfugiés juste assez pour survivre, et les réfugiés se retrouvent toujours dans l'obligation de demander davantage. L'aide qu'ils reçoivent n'a par pour objectif de changer leur vie ou de les aider à devenir auto-suffisants. Les organisations ne fournissent pas assez de bourses d'études ou de possibilités de formation et, souvent, elles ne connaissent pas les besoins réels des réfugiés parce qu'il existe un décalage entre ces ONG et les communautés concernées.


Certaines ONG internationales ont une approche différente, plus humaine, mais les réfugiés ont souvent du mal à savoir qu'elles existent et à les contacter. Par ailleurs, hélas, un grand nombre d'ONG internationales qui fournissent de l'aide aux réfugiés ne voient pas d'inconvénient à les maintenir dans la dépendance : les projets mis en place pour les réfugiés doivent être poursuivis parce que les organisations en ont besoin pour justifier leurs budgets, obtenir davantage de fonds et conserver leurs emplois.


Un tel cycle empêche les réfugiés de vivre pleinement ou de nourrir des espoirs pour l'avenir. Au lieu de maintenir le statu quo, nous devons parler sérieusement des moyens à mettre en oeuvre pour que les réfugiés puissent devenir auto-suffisants. 
 

« Asseyons-nous à la même table pour élaborer ensemble les politiques et les projets »

Depuis de nombreuses années, malgré beaucoup d'obstacles, certains réfugiés ont pu créer des petits commerces, des organismes communautaires et des organisations qui jouent un rôle prépondérant pour répondre à leurs besoins essentiels et pour changer leur vie. Sur le terrain, ces initiatives ont autonomisé les réfugiés en leur assurant des formations, par exemple en matière de gestion de leurs ressources financières, de compétences linguistiques ou de travaux d'artisanat, utiles pour gagner leur vie.


Pendant le confinement dû au COVID-19 à Kampala, en 2020, ces organismes dirigés par des réfugiés ont prouvé qu'ils jouent un rôle crucial. Le confinement a été dur pour les réfugiés, un grand nombre d'entre eux gagnant leur vie au jour le jour en travaillant dans des restaurants, sur des chantiers, dans des magasins ou en vendant des marchandises dans la rue – des activités qui n'étaient alors plus possibles. 

Très vite, les réfugiés ont manqué de vivres et d'autres produits de première nécessité. Beaucoup d'ONG avaient suspendu leurs opérations ou ont commencé à travailler à distance. Les transports publics étant aussi à l'arrêt, un grand nombre de réfugiés ne pouvaient plus se déplacer, même pour raison de santé. 

L'organisme dont je suis le directeur exécutif, People for Peace and Defence of Rights [Pour la paix et la défense des droits, PPDR], et d'autres organismes dirigés par des réfugiés, se sont manifestés pour faire leur possible pour pallier ce manque. Nous avons lancé des campagnes de levée de fonds, utilisé nos propres véhicules pour distribuer des vivres, transporté des gens à l'hôpital et payé les frais médicaux et autres arriérés de loyer. 
 

Notre réactivité est la preuve que les initiatives prises par les réfugiés sont très efficaces, que les réfugiés comprennent bien mieux les besoins des autres réfugiés, qu'ils font preuve de davantage d'agilité et sont mieux à même de répondre à ces besoins. 
 

Mais il y a des limites à ce que les initiatives des réfugiés peuvent accomplir parce que nous n'avons pas accès au financement dont les ONG internationales disposent. Il est beaucoup question, dans la communauté humanitaire internationale, de localisation et de soutien aux initiatives prises par les réfugiés. Mais les donateurs des pays du Nord continuent à financer les ONG internationales du nord. 
 

Par ailleurs, les réfugiés qui souhaitent travailler dans des ONG internationales se heurtent à un plafond de verre. En effet, un grand nombre de ces ONG emploient des réfugiés comme interprètes, pour sensibiliser les communautés et pour recueillir des données, mais uniquement en tant que « conseillers ». Ils reçoivent une allocation mensuelle, beaucoup moins importante que le salaire d'un employé à plein temps d'une ONG internationale. Les emplois disponibles n'offrent que très peu de stabilité à long terme et aucune perspective d'avancement. 
 

Les ONG internationales parlent aussi beaucoup de mettre en place des partenariats avec des organismes dirigés par des réfugiés, mais en quoi cela est-il bénéfique, si toutes les décisions sont prises sans consulter les réfugiés ou sans leur consentement ? Comment les ONG internationales peuvent-elles concevoir des programmes pour des personnes qu'elles n'écoutent pas et, partant, ne comprennent pas? 
 

Si les ONG souhaitent établir des partenariats avec des organismes dirigés par les réfugiés, il faut que ces partenariats soient équitables et qu'ils apportent une valeur ajoutée aux réfugiés. Etant donné que nous, les réfugiés, avons démontré que nous pouvons être considérés autrement que comme des personnes vulnérables, asseyons-nous à la même table pour élaborer ensemble les politiques et les projets. Les humanitaires et les réfugiés devraient être traités de la même manière. Les réfugiés seront alors plus à même de vivre dignement. Tout ce qui concerne les réfugiés devrait être évoqué avec les réfugiés.


Pour ce qui est de la localisation et du soutien que les ONG internationales apportent aux réfugiés, la communauté des humanitaires semble clamer haut et fort qu'elle souhaite que je sois indépendant et autonomisé, tout en continuant à faire en sorte que je dépende d'elle pour mon pain quotidien. 
 

Edité par Eric Reidy.

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