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La diminution de l'aide humanitaire expose les femmes de la communauté rohingya au Bangladesh à une recrudescence de la violence

« Une de mes amies se demande souvent : A quoi bon vivre quand on est une femme ? »

Two women wearing long black clothing and holding umbrellas walk down some stairs and into a settlement. Farzana Hossen/TNH
Two Rohingya women walk into the Kutupalong refugee camp near Cox's Bazar. Women and girls make up more than half of the 900,000 Rohingya refugees in Bangladesh.

Les enlèvements, les fusillades et les menaces de violences sexuelles font vivre dans la peur les réfugiées de la communauté rohingya, ce qui les empêche souvent de sortir de chez elles pour accéder à des services vitaux, selon des informations recueillies auprès de réfugiées, d’humanitaires et de responsables de camps au Bangladesh.

Les femmes et les jeunes filles représentent 52 % des 900 000 réfugiés rohingya originaires du Myanmar qui vivent dans le district de Cox’s Bazar au Bangladesh, le plus grand camp de réfugiés au monde.

« Les jeunes filles ne sont pas en sécurité ici », a déclaré Fatima*, une femme dans la trentaine qui travaille comme bénévole pour une organisation humanitaire dans l'un des camps. « Si les filles se promènent sur la route et vont d'un camp à un autre, elles sont enlevées par des criminels. »

Malgré ces menaces persistantes, les financements internationaux dont dépendent les organismes d'aide et les autorités du Bangladesh pour proposer leurs services aux femmes et aux jeunes filles – ainsi qu’un soutien aux victimes d'abus et de violences faites aux femmes – sont en baisse.

Oxfam, Save the Children, Action contre la faim et l'équipe de l'ONU au Bangladesh ont indiqué au New Humanitarian que les dons ont diminué depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, et que certains services ont été interrompus pendant la pandémie. 

Le haut responsable pour les camps, le Commissaire à l'aide et au rapatriement des réfugiés (RRRC), Mohammed Mizanur Rahman, a indiqué que le manque de soutien international complique la situation, étant donné que le gouvernement du Bangladesh doit toujours lutter contre des niveaux élevés de violences faites aux femmes et contre la hausse de la criminalité dans les camps. 

« Les services d’aide proposés aux femmes, ainsi que d'autres [activités] de soutien, sont en crise », a-t-il déclaré au New Humanitarian. « Etant donné que nous dépendons de l'aide humanitaire pour fournir des services adéquats, comme des sanitaires, des abris et des vivres, nous avons besoin des soutiens financiers de la communauté internationale pour pouvoir fonctionner. »

Fatima, qui a d'abord été optimiste après avoir fui le Myanmar – où les forces armées, la police et les milices locales ont tué au moins 6700 personnes fin 2017 et ont violé environ 18 000 femmes et jeunes filles – considère que la sécurité dans les camps s’est détériorée ces deux dernières années.

Elle s’inquiétait tellement pour la sécurité de sa fille de 16 ans qu’elle a payé un ami de la famille pour la faire sortir clandestinement du camp et la conduire en Malaisie. Mais il l’a ramenée au Myanmar, où elle a été arrêtée. Fatima n’a plus de nouvelles de sa fille depuis deux ans. 

« Il m’a volé ma fille », a-t-elle déclaré au New Humanitarian.

La recrudescence de la violence dans les camps contribue à l’instabilité croissante. Selon un rapport du ministère de la défense du Bangladesh datant de février, 64 personnes ont été tuées dans les camps entre 2021 and 2022, rapport qui mentionne 11 mouvements armés, notamment l’Armée du salut arakan rohingya (ARSA) et l’Organisation de solidarité rohingya. 

En avril, une femme a été tuée par balle et sa sœur blessée quand 15 assaillants ont attaqué son domicile. La police du Bangladesh a indiqué que l’attaque était liée à la lutte de pouvoir entre mouvements armés. 

« La communauté internationale n’accorde pas assez d’attention aux réfugiés rohingya, estime Onno van Manen, directeur de Save the Children au Bangladesh. L’aide diminue, mais pas les besoins. »

Les violences faites aux femmes et les mariages forcés sont légion depuis longtemps dans ces immenses camps de réfugiés surpeuplés, qui s’étendent sur quelque 26 kilomètres carrés et, souvent, des femmes et des jeunes filles de la communauté roingya sont enlevées.

La famille d’Ayesha* indique que l’enfant n’avait que 11 ans quand elle a été kidnappée, en février 2021, par un vigile qui travaillait dans un centre de distribution d’aide situé en face de leur domicile.

Ayesha a déclaré au New Humanitarian que l’homme l’a traînée jusqu’à un triporteur et l’a emmenée à des heures de route de là, avant de s’arrêter devant un domicile près d’un autre camp. Elle a ajouté qu’une fois à l’intérieur, une femme lui a donné du raisin et des biscuits à manger. Puis, dans une pièce avec un placard rempli de poupées et de peluches, l’homme l’a violée.

« J’avais peur qu’il ne me vende », a-t-elle déclaré. Mais le lendemain matin, il n’y avait plus personne. Ayesha s’est échappée et a pu retourner chez ses parents.

La première fois que The New Humanitarian a rencontré Ayesha, c’était en 2021. Elle faisait partie d’un groupe d’une vingtaine de femmes et de jeunes filles de la communauté rohingya disant avoir été victimes d’exploitation sexuelle et d’abus sexuels. Une dizaine d’entre elles ont dit qu’elles avaient été enlevées et violées par des humanitaires – pendant plusieurs semaines, pour l’une d’elles.

Selon les dernières informations, la violence empire, si tant est que cela soit encore possible.

« Les violences conjugales et la polygamie persistent dans les camps, et, en conséquence, beaucoup de femmes sont victimes d’abus et ont des ennuis de santé »

John Quinley, qui occupe un poste de directeur à l’ONG Fortify Rights, s’est rendu dans les camps en mars et a documenté l’augmentation des affrontements entre les mouvements armés et des menaces envers les femmes de la communauté rohingya.

« La situation sécuritaire dans les camps de réfugiés au Bangladesh se détériore, indique-t-il. Les activistes de la communauté rohingya prennent pour cible les personnes qu’ils considèrent comme une menace pour leur pouvoir, notamment les majhis (réfugiés rohingya désignés responsables des camps par les autorités du Bangladesh), les responsables religieux, les femmes de la communauté rohingya qui travaillent comme humanitaires et d’autres activistes rohingya. »

Khadija*, 27 ans, veuve et mère isolée, estime que le plus grand danger qui guette les femmes et les jeunes filles, ce sont les violences conjugales et les violences faites aux femmes. Elle est membre de Shanti Mohila, ou « Femmes de la paix », un mouvement de rescapées de la communauté rohingya.

« Les violences conjugales et la polygamie persistent dans les camps, et, en conséquence, beaucoup de femmes sont victimes d’abus et ont des ennuis de santé », a-t-elle indiqué au New Humanitarian fin avril. 

« Pouvoir utiliser les latrines en toute sécurité reste un défi de taille. Les camps disposent de blocs sanitaires, où le bloc prévu pour les femmes jouxte celui des hommes. Les hommes tourmentent les femmes quand elles se rendent aux toilettes, alors elles préfèrent y aller la nuit. Un grand nombre d’allées dans les camps n’étant pas éclairées, c’est très risqué. Pour les femmes enceintes, aller dans ces toilettes est un véritable cauchemar. »

Le commissaire mentionné plus haut, Mohammed Mizanur Rahman, dit déplorer que les violences faites aux femmes soient toujours très répandues dans les camps. Il a précisé au New Humanitarian que le gouvernement a essayé d’améliorer la sécurité pour les femmes et les jeunes filles, en déployant des officiers de police de sexe féminin et en créant des espaces où les femmes se sentent en sécurité et où « elles peuvent s’informer sur leurs droits ».

Il a ajouté que le gouvernement travaille aussi avec les agences de l’ONU, notamment le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), l’agence de l’ONU pour les migrations (OIM) et l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR), pour prévenir les violences faites aux femmes et sensibiliser la communauté sur les risques que les femmes encourent.

Peu après l’arrivée des premiers réfugiés fin 2017, l’équipe de l’ONU au Bangladesh a créé un réseau pour lutter contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels, réseau qui comprend aujourd’hui plus de 150 organisations membres intervenant dans les camps.

Coupes budgétaires et fermetures d’écoles

Le gouvernement du Bangladesh est certes responsable des camps de réfugiés, mais il dépend en grande partie des donateurs et des organisations humanitaires du monde entier.

Certains services ont été interrompus pendant la pandémie, et d’autres ont été impactés par des coupes budgétaires, ont indiqué les organisations caritatives au New Humanitarian.

« Les réductions de financements sont devenues très fréquentes », a précisé Mohammed Mizanur Rahman.

Le Plan conjoint d’intervention, qui définit les objectifs des organisations humanitaires impliquées auprès de la communauté rohingya, a reçu, en 2022, 63 % des fonds requis pour plus d’un million de réfugiés. Pour l’année en cours, le plan a perçu à ce jour moins de 16 % des financements nécessaires.

« Certains donateurs nous disent qu’ils se voient contraints de diminuer l’aide financière qu’ils nous attribuent pour donner la priorité à l’Ukraine et à d’autres régions du monde », indique Onno van Manen, de Save the Children. « Nous sommes, nous aussi, préoccupés par le sort des populations en Ukraine et dans les autres pays en crise, mais les besoins humanitaires des réfugiés rohingya sont plus pressants que jamais. »

De même, Action contre la faim a beaucoup réduit ses opérations dans les camps, en raison de la multiplication des crises et de la récession économique mondiale, selon le directeur de l’ONG au Bangladesh, Mohammad Akmal Shareef.

L’instabilité est due, en partie, au fait que les Rohingya vivent dans l’incertitude. 

Il est en effet encore trop risqué de retourner au Myanmar – même si le gouvernement militaire a proposé de rapatrier 1 000 réfugiés dans le cadre d’un projet pilote – et les Rohingya ont des perspectives limitées en matière d’emploi, d’instruction ou encore de distractions. 

« Une de mes amies se demande souvent : A quoi bon vivre quand on est une femme ? », nous dit Khadija, membre de Shanti Mohila.

« Tout est plus compliqué pour les femmes que pour les hommes, dans tous les domaines, a-t-elle dit au New Humanitarian en avril. Elles n’ont aucune stimulation intellectuelle dans les camps. Elles sont de plus en plus stressées parce qu’elles n’ont pas de travail, aucun endroit où elles peuvent rencontrer leurs amies en toute sécurité, pas d’activités pour s’occuper. Et elles ne peuvent pas traîner dehors, comme les hommes. »

Les réfugiés rohingya ne sont pas autorisés à travailler à l’extérieur des camps, et les activités des organisations dirigées par les réfugiés qui aident les membres de la communauté à s’instruire et à chercher un emploi sont limitées par les autorités du Bangladesh. Seules les organisations habilitées par le RRRC ont l’autorisation d’assurer des cours et des formations dans les camps. Par ailleurs, les hommes interdisent souvent à leurs épouses et à leurs filles de quitter le domicile familial.

En décembre 2021, le RRRC a ordonné la fermeture de tous les centres pédagogiques privés ou à domicile, et a interdit l’ouverture de centres pédagogiques supplémentaires.

« Si nous donnons des cours aux jeunes filles le soir et que les autorités s’en aperçoivent, elles nous disent que les filles n’ont pas besoin de recevoir autant d’instruction. Elles n’aiment pas que les filles quittent leur domicile. »

Le gouvernement a estimé que ces centres – environ 3000 au total – ne respectaient pas les « standards d’instruction ».

Mais pour Asmida, enseignante dans une association communautaire, l’Union rohingya pour l’éducation et le développement des femmes (RUWED), qui a souhaité que son seul prénom soit indiqué dans cet article, « les gens n’apprennent en fait pas grand-chose dans les centres pédagogiques [habilités par les autorités] ».

RUWED, l’organisation qui fait vivre des femmes et des jeunes filles dans les camps et qui leur propose une formation pour qu’elles puissent assurer leur propre sécurité, subit des pressions de la part des autorités du camp pour qu’elle arrête d’essayer de réduire l’écart entre les hommes et les femmes en termes d’instruction. Asmida a ajouté que plusieurs organisations humanitaires internationales et nationales ont appelé la police pour empêcher RUWED de dispenser des cours. 

Elle a refusé de désigner nommément ces organisations humanitaires, par crainte de représailles envers RUWED.

« Si nous donnons des cours aux jeunes filles le soir et que [les autorités] s’en aperçoivent, elles nous disent que les filles n’ont pas besoin de recevoir autant d’instruction. Elles n’aiment pas que les filles quittent leur domicile, a ajouté Asmida. Si nous avions davantage d’équipements dans les centres [communautaires], nous pourrions enseigner plus de choses pratiques aux filles. Elles pourraient alors devenir autonomes et vivre en paix. »

Khadija a ajouté que les femmes et les filles sont avides d’instruction et d’apprentissages.

« Dans les camps, l’accès à l’instruction est vital pour les femmes, mais beaucoup doivent affronter des obstacles pour pouvoir assister aux cours, en raison de difficultés liées à leur sécurité ou parce qu’elles n’en ont pas la permission », a-t-elle ajouté. 

« Pour remédier à cette situation, des services d’instruction communautaires ou à domicile pourraient être proposés, ce qui permettrait aux femmes d’apprendre en restant chez elles en toute sécurité, a-t-elle précisé. Donner aux femmes l’occasion de s’instruire les autonomiserait. Elles acquerraient des connaissances théoriques et pratiques ; ce qui leur donnerait, à terme, un plus grand pouvoir de décision et davantage de chances d’améliorer leurs perspectives d’avenir et celles de leurs familles. »

En l’absence de possibilités d’emploi, certaines femmes de la communauté rohingya postulent à des emplois au sein d’organisations caritatives, où leurs supérieurs hiérarchiques s’attendent parfois, en contrepartie, à ce qu’elles aient des rapports sexuels avec eux.

« Certains [humanitaires qui sont des ressortissants du Bangladesh] ont le sentiment que les réfugiées sont à leur disposition, parce qu’ils les accueillent dans leur pays », a déclaré un humanitaire international au New Humanitarian en demandant l’anonymat.

« Ils savent qu’ils n’auront pas à rendre des comptes. Ils sont conscients d’être en position de force, et de loin, par rapport aux victimes. »

Anoara Begum, réfugiée rohingya que The New Humanitarian avait rencontrée en 2021, avait dit que de nombreux ressortissants du Bangladesh qui lui faisaient passer des entretiens d’embauche pour travailler pour Oxfam et d’autres organisations humanitaires lui avaient fait des avances. 

Elle s’était plainte à Oxfam, mais l’organisation avait fini par cesser de lui répondre. En décembre 2022, Oxfam a dit enquêter sur ces accusations, mais a refusé de donner des détails. « Le retard observé pour enquêter sur ces accusations est inacceptable », avait déclaré à l’époque Tricia O’Rourke, porte-parole à Oxfam, au New Humanitarian.

*Les noms ont été changés pour protéger l’identité des sources par crainte de représailles.

Verena Hölzl, à Cox’s Bazar, et Jacob Goldberg, à Bangkok, ont contribué à ce reportage.

Edité par Paisley Dodds et Jacob Goldberg.

(**An earlier version of this story incorrectly stated that Oxfam said in December 2022 that it was investigating Begum's allegations. Oxfam said this in December 2021. This corrected version was published on 17 May 2023.)

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