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« Fermé en raison du climat économique »

« Fermé en raison du climat économique », indique une note affichée sur la porte d’une quincaillerie, située dans un centre d’affaires de Shurugwi, une localité rurale, à environ 200 kilomètres au nord-est de Gweru, la capitale de la province zimbabwéenne des Midlands.

L’humour macabre de la note fait rire les villageois, qui dépendaient auparavant de ce centre commercial, communément réputé pour être un pôle de croissance parce qu’il desservait un certain nombre de villages des environs, mais qui est à présent l’indicateur du déclin économique des régions rurales.

Il y a huit ans, le centre d’affaires était un véritable pôle d’activité, où les villageois venaient faire leurs courses et se procurer des ressources agricoles, ce qui leur évitait de devoir se rendre en ville. Ces jours-ci, seules deux des plus de 20 boutiques du centre sont encore ouvertes.

Le propriétaire de la quincaillerie, Munetsi Goronga, 55 ans, a monté son affaire pour permettre aux villageois, qui devaient auparavant se rendre à Gweru pour acheter leur matériel de construction, de se le procurer sur place.

« Les affaires marchaient relativement bien les trois premières années, mais elles ont vite coulé par la suite, et l’atomisation récente des prix a achevé de les faire péricliter complètement », a rapporté M. Goronga, qui tenait également un petit moulin à maïs dans le centre.

Le gouvernement du président Robert Mugabe, dirigé par le parti ZANU-PF, a imposé des mesures de contrôle des prix en juin dernier, contraignant les commerces à réduire leurs prix de moitié pour tenter de maîtriser l’hyperinflation, supérieure à 6 000 pour cent – le taux le plus élevé du monde –, mais les conséquences de ces mesures ont été désastreuses sur les commerces à la fois des régions urbaines et rurales.

« J’avais trois vendeurs, mais j’ai été obligé de les licencier parce qu’en plus de vendre à perte, nous avions du mal à obtenir des produits de quincaillerie auprès des grossistes », a expliqué M. Goronga, qui vit aujourd’hui dans l’arrière-cour de sa boutique, avec sa famille.

En plus des mesures répressives qui leur ont été imposées par le gouvernement, les commerçants ont été accusés d’attiser le mécontentement populaire à l’approche des élections législatives et présidentielles programmées pour l’année prochaine, bien que selon eux, le déclin économique était évident depuis longtemps.

« Les preuves étaient là, pour tous ceux qui sont en affaires. Au fil des ans, la clientèle a diminué car l’inflation a érodé les revenus des populations. Dans les régions rurales, la construction est devenue un luxe plutôt qu’une nécessité, et ceux qui souhaitaient se construire une nouvelle maison finissaient plutôt par opter pour les vieilles structures en terre, plantées de poteaux », a expliqué M. Goronga.

De la prospérité à la vache maigre

Dans un magasin encore ouvert du centre, une vendeuse attend patiemment, assise derrière son comptoir, se rappelant « le bon vieux temps », lorsque les étalages regorgeaient de produits.

« C’est une histoire si triste », a confié Margaret Muzvidziwa, 36 ans, à IRIN. « Autrefois, on trouvait de tout, de la margarine aux aiguilles, mais comme vous pouvez le voir, il ne reste plus que des petits paquets de sel, du thé et des tomates qu’on fait pousser dans notre jardin ».

'' J’avais trois vendeurs, mais j’ai été obligé de les licencier parce qu’en plus de vendre à perte, nous avions du mal à obtenir des produits de quincaillerie auprès des grossistes. ''
Il est rare de voir des villageois pousser la porte de son magasin car ceux-ci ont leurs propres jardins, et ne boivent plus de thé le matin car il n’y a plus de sucre.

Les enseignants de l’école du coin et le personnel de la clinique la plus proche sont les principaux clients de Mme Muzvidziwa, mais leur pouvoir d’achat a lui aussi été pulvérisé par l’hyperinflation.

« J’étais si heureuse et fière d’être vendeuse dans ce pôle de croissance. Avant, pendant les week-ends et les vacances, il y avait plein de monde, mais aujourd’hui, le centre d’affaires périclite complètement à mesure que l’économie décline. Imaginez-vous – on ne peut même plus trouver de cigarettes, encore moins d’allumettes pour les allumer. Je ne vous parle même pas de la bière, que les villageois se résolvent de plus en plus à brasser eux-mêmes », a révélé Mme Muzvidziwa.

Selon Innocent Makwiramiti, économiste de Harare et ancien directeur exécutif de la Chambre nationale de commerce du Zimbabwe (CNCZ), le déclin des structures en milieu rural résulte des « politiques inopportunes du gouvernement et de la récession économique générale ».

« Au cours des premières années qui ont suivi l’indépendance, le gouvernement semblait bien faire les choses, notamment en créant des centres de croissance, implantant ainsi des structures urbaines au sein des communautés rurales », a-t-il raconté.

« Il y avait lieu d’être optimiste, car certains hommes d’affaires entreprenants fondaient des sociétés de production dans ces régions, l’électricité y était installée et les gens ne regrettaient pas de n’être pas en ville », a expliqué M. Makwiramiti à IRIN.

Mais les zones rurales redeviennent à présent ce qu’elles étaient avant que le Zimbabwe obtienne son indépendance de la Grande-Bretagne, en 1980, a-t-il poursuivi, en raison « de l’économie rétrograde et d’un manque visible d’intérêt pour l’émancipation des populations rurales par le biais du maintien des infrastructures actuelles ou de l’installation de nouvelles structures ».

Chirumanzu, un district voisin, connaît le même sort : des centres commerciaux entiers ont fermé leurs portes, ce qui oblige les villageois à parcourir de longues distances à pied pour faire moudre leur maïs – lorsqu’il y en a – au moulin et en faire de la semoule de maïs, le plat de base.

« On met toute une journée pour se rendre au moulin broyeur, mais nos problèmes ne s’arrêtent pas là car, dans la plupart des cas, il n’y a pas d’électricité, ce qui veut dire qu’on doit attendre que le courant soit rétabli, généralement le ventre vide », a rapporté à IRIN John Mariga, 30 ans, qui habite dans la Grande Zone de réinstallation, située dans le même district.

Les zones de réinstallation, qui représentent 10 pour cent du territoire national, sont le produit de la période post-indépendance, et visent à réduire la pression démographique dans les zones communautaires. Les populations qui résident dans ces zones n’ont pas de titre de propriété sur ces terres.

Selon les estimations des bailleurs de fonds internationaux, plus d’un tiers de la population du Zimbabwe, soit 4,1 millions de personnes, a besoin de recevoir une aide alimentaire d’urgence.

Le gouvernement a qualifié la saison agricole prochaine de « mère de toutes les saisons agricoles », pourtant M. Mariga reste inquiet, car les ressources agricoles sont difficiles à trouver.

« Avant, on ne s’inquiétait pas de savoir si on pourrait trouver des engrais, des semences et des produits chimiques, parce qu’on pouvait s’en procurer au centre commercial », a-t-il dit. Aujourd’hui, « même si on voulait se rendre dans la ville la plus proche, le problème, c’est qu’il n’y a pas de bus, que les ponts ont été emportés par les eaux et que les routes sont en mauvais état ».

L’éducation en péril

En raison des graves pénuries de kérosène, carburant auquel on a fréquemment recours, faute d’électricité, pour alimenter les lampes à pétrole, les lycéens préparent leurs examens de fin d’année dans des conditions difficiles.

Elisha Mhazo, propriétaire d’une boutique dans la province de Masvingo, a expliqué à IRIN que son stock de kérosène était épuisé depuis juin dernier et qu’une bougie valait environ 200 000 dollars zimbabwéens (0,16 dollar américains au taux de change de 1,2 million de dollars zimbabwéens pour un dollar pratiqué sur le marché parallèle), un prix trop élevé pour une bonne partie de la population rurale.

Fungai Chidyawada, 17 ans, est en dernière année au lycée Madamombe de Chivi, environ 50 kilomètres au sud de Masvingo, la capitale de la province du même nom. La jeune fille parcourt régulièrement 30 kilomètres à pied aller-retour pour se rendre à l’école, en compagnie de ses camarades de classe, en espérant qu’il y aura du courant.

'' Il n’y a pas de paraffine dans les boutiques de la région. Le soir, pour réviser mes leçons en vue des examens, je dois retourner à l’école, où il y a du courant. Cela permet également aux élèves de se partager les quelques manuels essentiels qui sont disponibles. Parfois, on va à l’école et on y reste pour la nuit, en attendant, en vain, que le courant soit établi.''
« Il n’y a pas de paraffine dans les boutiques de la région. Le soir, pour réviser mes leçons en vue des examens, je dois retourner à l’école, où il y a du courant. Cela permet également aux élèves de se partager les quelques manuels essentiels qui sont disponibles », a expliqué Mlle Chidyawada.

« Parfois, on va à l’école et on y reste pour la nuit, en attendant, en vain, que le courant soit établi. La compagnie d’électricité ne respecte pas ses horaires de mise en marche », a-t-elle dit à IRIN.

La société zimbabwéenne d’électricité (ZESA) a instauré un rationnement de la consommation électrique, l’organisme semi-public ne disposant pas des devises nécessaires pour entretenir ou réparer ses centrales électriques.

« La dernière fois que ma famille a eu de la paraffine pour éclairer la maison, c’était il y a cinq mois », a expliqué Mlle Chidyawada, ajoutant que ses parents n’avaient pas les moyens d’opter pour la solution alternative – les bougies – et que, de toute façon, « une bougie ne dure pas plus d’une nuit ».

« On ne peut pas étudier au coin du feu », a expliqué à IRIN Maureen Chibga, camarade de classe de Mlle Chidyawada ; mais « la marche aller-retour jusqu’à l’école est souvent trop fatigante, et la seule option qui reste est de se mettre au coin du feu ».

Le bois, seule source de combustible fiable, se fait rare lui aussi, car les villageois y ont très fréquemment recours depuis que le programme d’électrification des régions rurales, mis en place par le gouvernement, a été mis en échec par diverses contraintes financières et par la hausse des coûts.

La marche nocturne aller-retour des jeunes filles vers l’école est une source de préoccupation pour les parents, et « à cela s’ajoute le risque que ces adolescentes se fassent agresser par des garçons en l’absence d’enseignants pour superviser leurs études », a déclaré Ocean Mudzivo, chef local, à IRIN.

« Tous les parents prient pour que les élèves ne se comportent pas mal pendant les heures où ils sont censés étudier, sinon, au lieu d’un meilleur taux de réussite aux examens, nous nous retrouverons avec beaucoup de grossesses chez les adolescentes », a expliqué Mme Mudzivo.

Le Programme d’électrification rurale étendue, lancé en 2002, concernait toutes les écoles rurales, tous les centres de santé, les bureaux décentralisés du gouvernement, et les territoires des chefs traditionnels, et visait à promouvoir l’utilisation de l’électricité, à freiner la déforestation et à relancer le développement économique rural.

Mike Nyambuya, ministre de l’Energie et du Développement électrique, qui a commandé, en juillet dernier, l’installation d’un réseau électrique solaire dans les régions rurales de l’est du Zimbabwe, a qualifié cette mesure de « progrès considérable », bien que la forte inflation, les pénuries de devises actuelles, les taux d’intérêt élevés, la hausse des prix, le soutien décroissant des bailleurs et la réforme agraire mal perçue fassent obstacle à son initiative.

En 2000, le gouvernement a lancé son programme de réforme agraire accélérée, qui s’est traduit par l’expropriation des terres agricoles commerciales des blancs en vue d’une redistribution aux populations noires sans terres ; un programme qui aura marqué le début d’un effondrement économique, sans toutefois atténuer la surpopulation dont souffrent les régions rurales.

fm/rm/go/he/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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