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Entretien avec Jérôme Souquet, chef de la mission MSF en République Démocratique du Congo

Le 22 juillet 2005, l’association humanitaire internationale d'aide médicale, Médecins Sans Frontières (MSF), a annoncé qu’elle interrompait tous ses programmes médicaux et humanitaires destinés aux quelque 100 000 personnes, représentant près de la moitié de la population déplacée suite aux conflits qui ont ravagé le district de l’Ituri, dans le nord-est de la République Démocratique du Congo.

Cette décision fait suite à l'enlèvement, le 2 juin dernier, de deux volontaires de MSF relâchés dix jours plus tard.

Lors d’un entretien avec IRIN, Jérôme Souquet, chef de la mission MSF en République démocratique du Congo, a abordé la question du sort des Ituriens et fait part des difficultés que rencontrent les agences humanitaires pour venir en aide aux nécessiteux. Voici quelques extraits de l’entretien qui s’est déroulé le 17 août 2005 :

QUESTION: MSF s’est retirée de l’Ituri pour des raisons de sécurité. Qu’est-ce qui explique précisément ce sentiment d’insécurité ?

REPONSE: Je tiens tout d’abord à faire cette mise au point : MSF travaille toujours en Ituri et nous continuons de gérer l’hôpital Bon Marché, qui a une capacité de 300 lits. Par ailleurs, nous sommes toujours présents à Bunia. Nous avons interrompu toutes nos activités hors de Bunia et nos programmes dans les régions isolées.

Nous avons décidé de nous retirer de ces régions pour des raisons évidentes de sécurité et après l’enlèvement de deux membres de MSF, un acte qui illustre bien la violence qui règne dans les régions voisines de Bunia. Nous avons subi cette violence et actuellement, l’accès aux populations vulnérables est l’un des problèmes majeurs en Ituri.

Q: Dans quelles autres parties de l’Ituri MSF menait-elle ses activités ?

R: Nous cherchons toujours à atteindre un maximum de communautés. Cela fait partie de notre mandat. Nous menions des activités au nord et au sud de Bunia et plus particulièrement à Tchomia, à Kakwa, à Jina et à Tchee, où nos collaborateurs étaient constamment sur le terrain. Nous gérions également une clinique mobile pour la femme. Nous étions présents dans de nombreuses localités hors de Bunia.

Cela faisait partie de notre projet, mais comme vous pouvez vous en rendre compte, la sécurité n’est pas tout à fait garantie à Bunia. Nous pensions être en sécurité dans cette petite enclave, sous contrôle de la MONUC, même si elle non plus n’offrait pas toutes les garanties de sécurité. Il est inacceptable que des travailleurs humanitaires soient pris pour cibles et soient victimes de violence.

Q: Quel groupe armé empêche MSF de mener à bien sa mission en Ituri ?

R: Nous travaillons avec toutes les communautés. Nous avons des contacts avec tous les groupes. Mais le rôle d’une organisation humanitaire n’est pas de désigner les auteurs des actes de violence et des enlèvements. Nous sommes une association d’aide médicale, composée d’infirmières, de médecins et d’une équipe de logistique.

Nous ne voulons pas assumer le rôle de conseillers auprès des autorités militaires, politiques et civiles. Tout le monde, dans cette [situation d’]insécurité, doit assumer ses responsabilités.

Q: Quelle est la situation humanitaire en Ituri et dans quelles conditions les gens vivent-ils ?

R: C’est là le principal problème car une organisation comme MSF ne peut pas avoir une idée claire de ce qui se passe. Pourquoi ? Car l’accès aux populations est difficile. Ce n’est que lorsque nous parvenions à travailler dans différents camps autour de Bunia que nous nous rendions compte que la situation n’était pas bonne. D’un point de vue médical, nous avions des taux de mortalité qui étaient déjà deux à trois fois supérieurs à ceux qui sont acceptables dans les situations de crise. Par conséquent, dans de nombreuses localités, le niveau d’urgence était dépassé. Maintenant que nous avons interrompu nos activités, nous pouvons aisément imaginer que la situation s’est empirée. Ce qui nous inquiète le plus, c’est qu’aucun personnel humanitaire n’a eu accès à ces endroits pour savoir ce qui s’y passe.

Par exemple, dans la région de Jina, le taux de mortalité était de quatre à six morts par jour pour dix mille habitants, alors qu’en situation de crise, le taux est de deux pour cent pour dix mille habitants. Nous fournissions des installations sanitaires et de l’eau et nous procurions aussi des soins. Maintenant que nous avons interrompu nos activités, nous savons que la situation s’est empirée.

Nous sommes d’autant plus inquiets que nous ne savons pas ce qui se passe dans ces localités. Les seules nouvelles que nous avons concernant ces régions sont celles que nous donnent les patients qui viennent au Bon Marché. Ces patients, les seuls témoins à venir se faire soigner, sont victimes d’actes de violence physique et de viol.

Q: Quelles sont les conditions de vie des Ituriens, quand on sait que certains ont été contraints à abandonner leurs maisons pour se réfugier dans les forêts, par exemple ?

R: Les personnes qui se sont rassemblées autour des zones sous contrôle des forces de la MONUC et d’autres services de sécurité redoutent toutes la même chose. Elles déclarent que leurs villages ne sont plus sûrs, qu’elles ne peuvent plus rester chez elles par crainte d’être attaquées, violées ou parfois même tuées.

Elles se rassemblent dans les camps de personnes déplacées pour être en sécurité. Cela pose un certain nombre de problèmes, car vous avez là une concentration de personnes qui ont tout perdu. Ces personnes ont faim, car elles n’ont plus accès à leurs champs, et elles vivent dans des conditions difficiles puisqu’elles ont dû abandonner tout ce qu’elles possédaient.

Dans ces camps, les risques d’épidémies sont réels et lorsque les maladies se déclarent, elles peuvent avoir des conséquences catastrophiques.
Nous avons été confrontés à une telle situation en avril lorsqu’une épidémie de choléra s’est déclarée dans le camp de Kakwa. MSF a traité 1 600 cas de choléra à Kakwa et à Chomya, et récemment, nous avons enregistré quelques cas à Bunia. Mais l’épidémie semble maîtrisée maintenant. Elle a fait cinq victimes.

Q: Quelles sont les principales menaces auxquelles sont confrontés les travailleurs humanitaires sur le terrain ?

R: Un travailleur humanitaire est exposé aux mêmes risques que la population locale. Cela veut dire qu’il peut être pris pour cible, enlevé, racketté. Nous ne pouvons donc pas [travailler dans] ces conditions inacceptables qui prévalent dans ces villages.

Certaines organisations utilisent d’autres moyens pour tenter d’accéder aux villages : ils utilisent des convois armés de la MONUC. MSF n’utilise pas ces convois car cela est contre ses principes. MSF travaille uniquement dans des conditions acceptables. Travailler avec la présence de convois armés et sous protection armée est inconcevable pour MSF.

Il arrive aussi parfois que l’on confonde les forces armées et les organisations non gouvernementales, mais nous refusons cet amalgame. Et cette confusion entre MSF et les organisations militaires peut être l’une des causes de l’enlèvement de nos deux collaborateurs. MSF a peut-être été confondu avec la MONUC, ce qui pourrait expliquer ces deux enlèvements. Cette situation nous inquiète beaucoup.

En Ituri, il y a trois types d’acteurs : les autorités humanitaires, militaires et les civiles. Nous avons tous le même objectif : s’assurer que la population d’Ituri vit dans des conditions décentes. Cependant, à chaque autorité, sa sphère de compétences. Nous ne voulons pas qu’il y ait des confusions entre ces trois autorités dans la région.

Q: De quoi les gens ont-ils besoin dans les camps ?

R: Ce dont ils ont besoin avant tout c’est de rentrer chez eux, d’être en mesure de travailler leurs champs et de ne plus dépendre de l’aide extérieure.

Lorsque MSF travaillait encore dans les camps, nous fournissions des soins gratuitement à l’ensemble des personnes déplacées. Nous collaborions avec d’autres organisations afin de fournir des installations sanitaires de base, notamment des latrines. Nous avons aussi essayé d’assurer les approvisionnements en eau potable en respectant les normes internationales en matières de qualité et de quantité d’eau par personne et par jour.

Nous savons qu’à Jina, avant l’arrivée des organisations, les gens disposaient de quelques litres d’eau seulement par jour. Selon l’OMS, chaque personne doit disposer d’au moins vingt litres d’eau par jour. Nous ne sommes pas à Jina en ce moment, mais nous pouvons imaginer que le nombre de litres d’eau disponibles par personne se situe bien au-dessous de ce seuil.

Q: Que doit faire la communauté internationale pour améliorer la situation ?

R: Ce n’est pas à MSF de donner des conseils à la communauté internationale sur ce qui doit être fait. Cependant, MSF a un rôle de témoin. Notre objectif et notre travail consistent à tirer la sonnette d’alarme pour alerter tous ceux qui sont susceptibles de trouver une solution au problème d’insécurité qui prévaut en Ituri.

Q: Quand MSF envisage-t-elle de reprendre ses activités en Ituri ?

R: Nous sommes passés par une phase très difficile et à l’heure actuelle, nous essayons toujours d’analyser et de comprendre les raisons pour lesquelles une organisation indépendante comme MSF a été prise pour cible et agressée physiquement.

Nous avons été victimes de cette violence et tant que nous n’aurons pas tiré les choses au clair, nous ne reprendrons pas nos opérations hors de Bunia.

Néanmoins, MSF a la ferme volonté de retourner auprès des populations pour leur apporter une aide médicale, leur fournir de l’eau potable et des installations sanitaires décentes. MSF souhait aussi être sur le terrain pour informer la communauté internationale de l’évolution de la situation.

Nous pensons pouvoir reprendre nos activités en Ituri lorsque nous aurons le soutien d’une partie des communautés de l’ensemble du district.

Nous avons pu accéder à quelque 100 000 personnes déplacées, mais celles-ci ne représentent que la moitié des 200 000 personnes qui souffrent de cet interminable conflit.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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