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« Voulez-vous des bagages d’Harare pour vos dollars américains ? »

Les étals de fleurs d’Unity Square à Harare, capitale du Zimbabwe, sont aujourd’hui le repaire des échangeurs de monnaie, car il s’agit là d’une des rares activités commerciales qui se développent encore dans ce pays.

Cosmos, 24 ans, s’est lancé dans cette activité il y a quelques années ; à l’époque, il travaillait dans un bar, où il donnait aux touristes de la monnaie locale contre des dollars américains, « la feuille verte », selon ses propres termes. Les quelque 150 dollars américains de bénéfices qu’il empoche chaque mois l’aident à subvenir aux besoins de sa mère et à payer les frais de scolarité de sa petite sœur.

Vêtu d’un vieux T-shirt portant le slogan « J’économise pour la retraite, et vous ? », Cosmos a confié à IRIN qu’une des mesures utilisées pour déterminer le taux de change du dollar américain par rapport au dollar zimbabwéen était le prix des carburants.

Ainsi, le 4 juillet, un dollar américain valait 35 milliards de dollars zimbabwéens, et un litre de carburant coûtait 60 milliards de dollars zimbabwéens.

Sonny, un autre vendeur de devises posté en face d’un hôtel chic, accostait des clients potentiels en leur lançant : « Voulez-vous des bagages d’Harare ? », un euphémisme employé pour désigner les liasses de billets zimbabwéens échangés contre des dollars américains.

Il doit y avoir ainsi des milliers d’échangeurs de devises à la sauvette à Harare, a estimé Sonny, tandis qu’une patrouille d’une demi-douzaine d’agents de la police anti-émeutes passaient par là, coiffés de casques et armés de matraques d’un mètre de long, interrompant brièvement ses activités.

À l’heure actuelle, au Zimbabwe, la coupure la plus importante vaut 50 milliards de dollars zimbabwéens (1,40 dollar américain) ; il ne s’agit toutefois pas d’un billet, mais d’une obligation au porteur. Comme d’autres coupures, elle a une date d’expiration et bien que bon nombre d’autres coupures, moins importantes, aient expiré, celle-ci reste en circulation tout simplement parce qu’on en a besoin.

Déjà, selon les dernières estimations officielles, annoncées en février 2008, le Zimbabwe affiche un taux d’inflation annuel stupéfiant de 165 000 pour cent. Mais les économistes indépendants le situent même aujourd’hui entre un million et 10 millions pour cent.

Les vendeurs de devises ont toujours de quoi s’occuper : ce ne sont pas les quelques touristes en visite au Zimbabwe qui leur donnent du travail, mais bien les plus de trois millions de Zimbabwéens qui auraient quitté le pays depuis 2000 et envoient de l’argent aux membres de leur famille.

Selon les estimations d’un analyste spécialiste de la sécurité alimentaire, qui n’a pas souhaité être nommé, ces transferts d’argent sont désormais supérieurs ou égaux au total des devises générées par la vente des récoltes de tabac zimbabwéennes, qui représentaient auparavant environ un tiers des réserves de devises du Zimbabwe.

« Nous en avons décidé ainsi en réaction aux tensions politiques observées au Zimbabwe, qui s’aggravent considérablement au lieu de s’apaiser, comme prévu, et nous avons pris en compte, dans cette décision, l’évaluation critique de la communauté internationale, du gouvernement allemand et du grand public »
La monnaie locale joue l’Arlésienne

Compte tenu des pressions inflationnistes et de la demande de plus en plus forte en change, il est déjà difficile pour les vendeurs de trouver assez de monnaie zimbabwéenne à échanger.

Sonny a expliqué à IRIN qu’il se procurait de grosses sommes d’argent auprès des « grosses huiles », propriétaires de commerces (notamment de magasins de vins et de spiritueux) où les achats s’effectuent en espèces ; il leur vend ses dollars américains contre de la monnaie locale à des taux préférentiels.

Selon un vendeur, qui travaille chez un concessionnaire automobile de luxe, les clients doivent déposer leurs devises fortes (dollars américains ou euros) à l’usine, en Allemagne, bien que certains habitants aient déclaré à IRIN qu’ils achetaient leurs produits essentiels en devises, et non en monnaie locale, dans les magasins.

La pénurie de monnaie (à l’origine des longues queues qui se forment devant chaque banque et sont devenues une caractéristique de la ville) devrait empirer considérablement depuis que Giesecke & Devrient, l’entreprise allemande qui fournissait le papier utilisé pour imprimer les billets zimbabwéens, a décidé de rompre son contrat avec la Reserve Bank of Zimbabwe (RBZ), invoquant la situation politique « de plus en plus grave » du pays.

« Nous en avons décidé ainsi en réaction aux tensions politiques observées au Zimbabwe, qui s’aggravent considérablement au lieu de s’apaiser, comme prévu, et nous avons pris en compte, dans cette décision, l’évaluation critique de la communauté internationale, du gouvernement allemand et du grand public », a déclaré Karsten Ottenberg, le directeur exécutif de la société.

À la suite des élections générales du 29 mars, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), parti d’opposition, a remporté la majorité au Parlement, mettant fin à la domination de la ZANU-PF pour la première fois depuis l’indépendance du pays face à la Grande-Bretagne, en 1980.

À l’issue du scrutin présidentiel, le président Robert Mugabe a terminé deuxième, derrière Morgan Tsvangirai, le candidat du MDC, bien que M. Tsvangirai n’ait pas réussi à obtenir la majorité absolue requise pour remporter une victoire incontestée aux élections présidentielles ; c’est pourquoi un deuxième tour était nécessaire. Mais à l’approche du scrutin présidentiel du 27 juin, les violences généralisées ont incité M. Tsvangirai à se retirer de la course et M. Mugabe est resté seul en lice.

Le deuxième tour a été vertement condamné par la communauté internationale, qui l’a qualifié de farce, et même les quelques missions d’observation africaines qui avaient été autorisées à surveiller le scrutin ont déclaré que les élections n’étaient ni libres ni justes.

Les planches à billets au chômage technique

« Les signes d’une pénurie de monnaie sont déjà là. En tant qu’hommes d’affaires, nous importons des matières premières et dépendons de la monnaie locale que nous parvenons à obtenir pour acheter des devises au marché noir, mais les vendeurs informels disent que la pénurie de billets perturbe leurs activités »
« Nous avons déjà connu de graves pénuries de monnaie, mais le retrait de la société allemande va nous plonger dans une situation bien plus désastreuse et, comme d’habitude, ce sont les consommateurs, pas les coupables politiques, qui vont en faire les frais », a indiqué à IRIN John Robertson, un économiste indépendant d’Harare.

« Ces derniers temps, nous avons vu la RBZ tirer des billets à tire-larigot, pour financer les élections, et donner aux fonctionnaires des salaires importants pour les  contenter à l’approche des scrutins (en vain, cependant, à cause de l’inflation galopante), mais la banque centrale avait le papier nécessaire. Désormais, ce ne sera plus le cas, et à mesure que les prix montent, il y aura de moins en moins d’argent en circulation », a averti M. Robertson.

Selon lui, parce qu’elle sera désormais moins en mesure d’imprimer de la monnaie, la RBZ ne sera pas non plus capable d’importer assez de produits essentiels, notamment de maïs, la denrée alimentaire de base.

« Les personnes qui effectuent des opérations bancaires et des transactions devraient poursuivre leurs activités comme à l’accoutumée, étant donné que cette évolution n’aura aucun impact sur l’économie », a déclaré Gideon Gono, gouverneur de la RBZ, dans les pages de The Herald, organe de presse étatique.

Selon Innocent Makwiramiti, économiste, homme d’affaires et ancien président-directeur général de la Chambre de commerce nationale du Zimbabwe (ZNCC), le retrait de Giesecke & Devrient aura au contraire des conséquences néfastes sur les affaires.

« Les signes d’une pénurie de monnaie sont déjà là. En tant qu’hommes d’affaires, nous importons des matières premières et dépendons de la monnaie locale que nous parvenons à obtenir pour acheter des devises au marché noir, mais les vendeurs informels disent que la pénurie de billets perturbe leurs activités ».

« Résultat : nous devons avoir recours à des transferts bancaires, qui n’impliquent pas l’échange d’espèces, mais cela veut dire que nous devons acheter la devise aux vendeurs [officiels] au double du prix auquel nous l’obtenons dans la rue », a indiqué M. Makwiramiti à IRIN.

Pour rester en activité, a-t-il expliqué, ils devront répercuter ces coûts sur les consommateurs, selon lesquels les prix des produits, montés en flèche depuis les élections du 27 juin, sont désormais inabordables.

D’après M. Makwiramiti, les commerçants qui parviennent à obtenir d’importantes sommes en espèces, fruit des ventes quotidiennes, se résolvent à les vendre particulièrement cher. M. Makwiramiti doute que la RBZ pourra résoudre ce problème d’espèces « dans un avenir proche ».

« D’autres fournisseurs de papier à billets pourraient n’être pas disposés à faire des affaires avec un gouvernement condamné par la communauté internationale, ou bien ils pourront demander une somme d’argent que la banque centrale ne pourra pas réunir », a-t-il fait remarquer.

fm/go/he/nh/vj


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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