Les enseignants et les éducateurs qui exercent dans la vallée de Swat, au Pakistan, ont exprimé des préoccupations au sujet de l’insécurité croissante constatée dans la zone, depuis que de nouvelles flambées de violence ont éclaté dans cette région autrefois idyllique de la Province de la Frontière du Nord-Ouest (PFNO).
« Si la situation reste ce qu’elle est, elle aura des conséquences néfastes sur l’éducation », a estimé Mohammed Iqbal, directeur de l’Université pour garçons de Mingora, la plus grande ville du district de Swat, situé le long des rives de la Swat, à environ deux kilomètres de Saidu Sharif, la capitale provinciale.
M. Iqbal s’exprimait à la suite d’un grave attentat à la bombe, perpétré à l’encontre d’un convoi des forces de sécurité près de Mingora le 25 octobre, au lendemain du déploiement de 2 500 soldats dans la zone. Au cours de cet attentat, pas moins de 30 personnes ont trouvé la mort – dont une majorité faisait partie des forces de sécurité – et des dizaines de personnes ont été blessées, dont bon nombre de civils.
Cette attaque est la plus récente d’une vague d’attentats perpétrés à l’encontre de l’armée depuis que les soldats du gouvernement ont pris d’assaut la mosquée rouge d’Islamabad, dont les ulémas et les élèves avaient mené campagne en faveur d’une application de la loi islamique (charia) dans la capitale pakistanaise.
La bataille pour le contrôle de la mosquée et de l’école islamique qui la jouxte a pris fin le 11 juillet, au terme d’un siège sanglant qui avait duré une semaine et causé la mort de plus d’une centaine de personnes.
« Ces attentats semblent être la conséquence directe du militantisme croissant auquel nous assistons depuis quelques mois », selon Badar Zaman du Front de la jeunesse de Swat (SYF), une ONG locale qui gère 39 écoles primaires communautaires pour filles.
Connu pour sa beauté, Swat est devenu le foyer d’un militantisme islamiste qui risque d’avoir un impact durable, selon bon nombre de personnes. Un grand nombre des actes de violence commis visent en effet à l’élimination des espaces publics, déjà très restreints, réservés aux femmes.
Les établissements scolaires ont reçu l’ordre de fermer leurs portes les 24 et 25 octobre en prévision de troubles, mais ceux-ci deviennent la norme à Swat ces jours-ci.
L’éducation des filles en péril
De nombreux parents continuent de retirer leurs enfants de l’école, particulièrement les filles, une réaction qui traduit les préoccupations des habitants.
Le SYF, qui se focalise sur l’éducation des filles dans la région, pâtit déjà des crises actuelles.
« Nous avons dû demander aux femmes qui travaillent sur le terrain de prendre des congés prolongés. Dans un environnement aussi hostile, mobiliser les parents pour les inciter à envoyer leurs filles à l’école devient une démarche de longue haleine, et juste au moment où on pense tenir enfin le bon bout, tout s’effondre et on se retrouve à la case départ », a rapporté Mme Zaman, visiblement frustrée.
Photo: Kamila Hyat/IRIN |
Des parents préfèrent aujourd'hui envoyer leurs enfants dans des madrasas plutôt que de risquer de devenir les cibles d'extrémistes religieux |
« On constate une certaine résistance, de la part d’élèves plus âgées, à l’université », a révélé Farkhanda Saifullah, directrice du Public-Private Collaboration Girls’ College [Université pour filles en partenariat public-privé].
Des collègues l’ont informée que le ministère de l’Education avait ordonné à toutes les institutions publiques de veiller à ce que ces directives soient appliquées, a ajouté Mme Saifullah.
L’école publique pour filles de Sangota, la seule école missionnaire chrétienne de Swat depuis 1965, située à tout juste 10 minutes à pied de Mingora, a également été visée par cette directive.
« Comme toutes les autres écoles, nous avons, nous aussi, reçu cette lettre de menaces en septembre, qui nous enjoignait d’imposer la burqa, sous peine de voir l’école prise pour cible », a rapporté sœur Sima, la directrice de l’école, qui continue de porter l’habit, même en dehors de l’établissement.
A la suite de cet avertissement, l’école a fermé pendant une semaine, mais elle a rouvert ses portes et « pas mal de jeunes filles – certaines à peine âgées de 12 ou 13 ans – sont venues en burqa, bien qu’une dizaine d’autres aient arrêté l’école », a ajouté sœur Sima.
Etant donné qu’une burqa coûte entre 10 et 12 dollars, de nombreuses fillettes issues de foyers pauvres n’ont pas les moyens de s’en procurer ; dès lors, elles n’ont d’autre choix que de renoncer à leur formation scolaire.
Contrairement aux autres écoles de la région, Sangota a également reçu l’ordre de licencier trois enseignants chrétiens.
« C’est cela qui fait le plus mal », a déploré sœur Sima, qui a désormais l’impression qu’on a « permis à la foi de devenir un facteur dissuasif en matière d’éducation ».
Selon Mme Saifullah, les régions sous l’influence directe du Maulana Fazalullah, un ecclésiastique pro-taliban qui a rassemblé de très nombreux disciples, sont les plus touchées.
« [Certaines petites villes telles que] Manglor, Kabal, Mata ou Dehri ont enregistré une hausse de 30 pour cent des taux de déscolarisation chez les filles », a-t-elle observé, ajoutant : « Dès qu’une école reçoit une lettre de menaces, le taux d’absentéisme augmente dans toutes les écoles de la région ».
Bien que M. Fazalullah n’ait jamais ouvertement enjoint ses disciples de cesser d’envoyer leurs filles à l’école, de nombreux parents l’ont fait de leur propre chef, préférant envoyer celles-ci dans la madrasa (école religieuse) que l’ecclésiastique est en train de construire.
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