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Pas beaucoup d’armes, mais beaucoup de frustration

En Sierra Leone, où quelque 72 490 combattants ont été désarmés en moins de deux ans, on trouve désormais étonnamment peu d’armes pour un pays qui, il y a six ans à peine, en regorgeait, selon les observateurs. Le mérite en revient aux programmes de désarmement et de démobilisation des Nations Unies et du gouvernement, qui ne sont toutefois pas parvenus à régler les causes mêmes du conflit armé, à en croire bon nombre de personnes.

Les efforts déployés en vue de réinsérer les anciens combattants dans la société ont été, en grande partie, infructueux, selon les observateurs.

« La Sierra Leone ne devrait pas être rayée de la liste des pays en situation d’après-guerre susceptibles de replonger dans le conflit », a estimé Ibrahim Bangura, directeur de PRIDE, une organisation non-gouvernementale qui travaille auprès des anciens combattants. « Si les conditions propices sont réunies, tous les efforts de consolidation de la paix déployés à ce jour pourraient s’effondrer ».

La campagne menée à l’heure actuelle en vue des élections présidentielles du 8 septembre en est un présage, selon lui, puisque chacun des principaux partis s’est entouré d’anciens combattants, qui leur servent de gardes du corps et assurent leur sécurité.

D’après M. Bangura, les forces de sécurité du Congrès de tout le peuple (All People’s Congress), un parti d’opposition, sont dirigées par l’ancien soldat rebelle Idrissa Kamara, surnommé « Bottes de cuir », qui vient à peine d’être libéré de prison, où il était détenu pour trahison.

Quant aux forces de sécurité du Parti du peuple de Sierra Leone (Sierra Leone People’s Party), elles sont dirigées par Tom Nyuma, un ancien responsable de l’armée, connu pour avoir été accusé de multiples violations des droits humains.

Des groupes de jeunes partisans des deux partis se sont battus dans plusieurs villes urbaines et rurales du pays, à coups de pierres, de bâtons et parfois de machettes ; des affrontements qui ont fait plusieurs blessés et au moins un mort.


Photo: David Hecht/IRIN
Des jeunes déambulant dans les rues de Makeni, en Sierra Leone, bastion des ex-rebelles - Septembre 2007
« Imaginez s’il y avait encore des armes en circulation », a noté M. Bangura. « Beaucoup plus de personnes auraient été tuées, et la situation pourrait facilement dégénérer ».

Malgré les nombreux affrontements qui ont lieu à l’approche des élections, à ce jour, personne n’aurait eu recours aux armes à feu, hormis la police pour tirer en l’air.

Où sont passées toutes les armes ?

Les anciens combattants ont été persuadés de rendre les armes en 2002, en échange d’une compensation financière. Les bailleurs ont versé 80 millions de dollars pour financer le Désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR), selon le compte rendu des activités menées par la section DDR des Nations Unies en Sierra Leone, que l’on peut lire sur le site de l’entité.

...« Nous sommes impuissants…mais en colère...»
Chaque combattant en Sierra Leone aurait reçu 150 dollars pour chaque arme restituée. Néanmoins, selon les statistiques de la section DDR, si environ 72 490 combattants ont été désarmés, les armes récupérées n’atteignent pas la moitié de ce nombre.

Selon Allan Quee, le fondateur de PRIDE, récemment retourné du Liberia, où il occupait le poste de consultant DDR au sein de la mission des Nations Unies (MINUL), cela s’explique entre autres par le fait qu’un grand nombre des armes qui circulaient en Sierra Leone se sont retrouvées au Liberia.

En effet, le programme de DDR libérien offrait une compensation deux fois plus élevée que celle proposée en Sierra Leone. Selon lui, d’autres armes risquent également d’avoir été envoyées en Côte d’Ivoire, où le programme de DDR permet d’obtenir une compensation quatre fois plus élevée.

Quelle que soit la façon dont cela s’est passé, la Sierra Leone – et notamment les régions rurales – est aujourd’hui en grande partie débarrassée de ses armes, selon Mohamed Kamara, qui dirige la dernière phase de désarmement en Sierra Leone, par le biais d’un programme de développement des Nations Unies intitulé Armes pour le développement.


Photo: David Hecht/IRIN
Conteneurs censés contenir des armes, mais vides. Mohamed Kamara dirige la dernière étape du processus de désarmement en Sierra Leone, à travers le programme des Nations Unies intitulé Armes pour le développement - Septembre 2007
Ce projet permet aux communautés de recevoir des primes d’encouragement au développement d’un maximum de 60 000 dollars pour chaque chefferie, lorsque celles-ci parviennent à obtenir la qualification « sans armes » ; toutefois, sur plus de 6 000 armes récupérées par le programme Armes pour le développement à l’échelle nationale, la plupart sont de vieux fusils de chasse, selon M. Kamara.

« Aujourd’hui, le problème, c’est que les paysans se plaignent que des buffles et autres animaux sauvages détruisent leurs champs et qu’ils n’ont aucun moyen de les chasser », a expliqué M. Kamara. « Nous essayons d’aider le gouvernement à élaborer une législation qui redonnerait aux gens le droit de posséder des armes, pour des raisons légitimes ».

« Nous sommes impuissants…mais en colère »

L’autre bonne nouvelle pour la Sierra Leone, c’est que non seulement l’ancien Front révolutionnaire uni (RUF) a été désarmé, mais, selon les observateurs, faute d’armes, la structure directrice du groupe rebelle a également été en grande partie dissolue. Après la mort de son leader, Foday Sankoh, en 2003, le groupe armé n’est même pas parvenu à se muer en parti politique.

Pourtant, les anciens combattants sont toujours là, et la plupart sont sans emploi, désœuvrés et frustrés.

Selon bon nombre de personnes, ces anciens combattants ont l’impression d’avoir été dupés par la DDR. « On nous a fait des promesses sur ce qui nous arriverait après le désarmement, mais ces promesses étaient creuses », a déclaré à IRIN un ancien combattant, qui a refusé de donner son nom.

« Aujourd’hui, nous sommes impuissants, mais en colère », a-t-il ajouté, depuis Makeni, l’ancien bastion du RUF.

Les enseignements tirés

Entre autres conclusions tirées du programme mené par la DRR en Sierra Leone, selon le compte rendu de ce programme présenté par la DDR elle-même, l’attention portée à la réinsertion des anciens combattants n’a pas été suffisante. « La durée de la formation professionnelle (six mois) était insuffisante et n’a pas permis aux bénéficiaires d’acquérir l’expérience requise pour être compétitifs sur le marché du travail », peut-on lire dans le compte rendu de la DDR.

Environ 54 439 anciens combattants ont acquis différentes compétences : ils ont notamment été formés à la charpenterie et à la maçonnerie. De même, 45 000 anciens combattants, ainsi que les personnes à leur charge, ont reçu de la nourriture et des ustensiles de cuisine.

Malgré tout, selon une analyse reposant sur une enquête indépendante réalisée auprès des anciens combattants et publiée dans le numéro d’août du Columbia Journal of Conflict Resolution, peu de preuves permettent de démontrer que les anciens combattants qui ont suivi le programme de DDR se sont réinsérés plus aisément dans la société que les autres.

« Les personnes qui n’ont pas participé au programme de DDR s’en sortent tout aussi bien que celles qui se sont inscrites au programme officiel de démobilisation », selon les auteurs du rapport.

La DDR des Nations Unies déplore également que les anciens combattants n’aient pas pu bénéficier d’aides supplémentaires, par le biais d’autres programmes post-conflit lancés en Sierra Leone. « Les liens peu étroits entre le programme de DDR et d’autres programmes de réinsertion et de rétablissement à plus long terme, mis en place dans le pays, ont perturbé la bonne transition vers le rétablissement à plus long terme ».

Allan Quee de PRIDE abonde dans ce sens. « Le problème, c’est que la DDR et la reconstruction étaient perçues comme deux choses distinctes », a-t-il estimé. « Les organisateurs des projets [de reconstruction des] infrastructures n’ont pas pensé à faire appel aux anciens combattants pour faire ce travail ».

Qu’adviendra-t-il alors des dizaines de milliers d’anciens combattants désœuvrés ? Personne ne le sait. « Le futur lointain de ce pays dépend de notre capacité à trouver une réponse à cette question », selon M. Quee.

dh/cb/nh/ads


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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