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Questions-réponses : Comment aider Haïti, une ‘maison en feu’

‘Il s’agit d’une maison en feu. Il y a des choses que nous pouvons faire dès à présent, et nous devons maintenir la pression pour qu’elles deviennent réalité.’

Police patrol the streets after gang members tried to attack a police station, in Port-au-Prince, Haiti April 25, 2023. Ralph Tedy Erol/Reuters
Police in Port-au-Prince patrolled the streets in April. Haiti called in October for international help to combat gang violence.

Apporter un soutien international au maintien de l'ordre ; responsabiliser le gouvernement ; et stopper la contrebande d'armes en provenance des Etats-Unis et d’autres pays, et à destination des gangs : ce sont les premières mesures qui peuvent être prises dès maintenant pour s'attaquer à la crise en Haïti, selon l'expert indépendant de l'Onu sur les droits de l'homme en Haïti, William O'Neill.

William O'Neill faisait partie de la délégation de hauts responsables de l'Onu - dont le Secrétaire général, António Guterres - qui s’est rendue en Haïti en juillet. Depuis cette visite, l’idée d'une intervention d'une force armée internationale en Haïti semble s'imposer, pour la première fois depuis que le premier ministre par intérim, Ariel Henry, a demandé, en octobre 2022, une aide extérieure pour lutter contre l'insécurité.

Mais une intervention étrangère ne suffira pas à régler les problèmes d'Haïti, selon William O'Neill. Les autorités haïtiennes doivent aussi y mettre du leur. « Beaucoup d'agents de la fonction publique ne font pas leur travail : ils ne rendent pas de comptes ; il n'y a pas de contrôles ; aucune sanction n'est prononcée », a-t-il déclaré dans un entretien au New Humanitarian à la mi-juillet. 

« Il y a des mesures qui ne sont pas très coûteuses et qui sont simples à mettre en oeuvre, que l'on pourrait engager dès maintenant, a-t-il ajouté. [Mais] pour cela, il faut une volonté politique, un engagement, une prise de conscience de l’urgence. Or, je ne vois rien qui aille dans ce sens. »

Au niveau international, le 14 juillet, le Conseil de sécurité de l'Onu a prorogé le mandat du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), qui est chargé d'apporter un soutien à la stabilité politique, à la réduction de la violence et à la promotion des droits humains. Il a également mis à disposition 70 policiers et spécialistes des questions pénitentiaires pour renforcer l’aide à la police nationale haïtienne. 

Le Conseil de sécurité a aussi donné 30 jours à António Guterres pour rédiger un rapport proposant des solutions pour lutter contre les gangs, qui sont légion dans ce pays. La Communauté des Caraïbes (CARICOM) a récemment revu sa position et a déclaré qu'elle soutiendrait une force internationale qui serait approuvée par le Conseil de sécurité.

Les gangs exercent un contrôle croissant dans la capitale d'Haïti, Port-au-Prince, depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, en 2021. Un événement qui a engendré un grand nombre d’enlèvements, de viols, de violences faites aux femmes et de meurtres. Les institutions du pays ne fonctionnent plus, beaucoup d'écoles, de postes de police, de tribunaux et de dispensaires ont fermé, et la violence ralentit les opérations d'aide humanitaire. 

Les barrages et le racket mis en place par ces gangs rendent presque impossible le ravitaillement de tout un pays mis à mal par la faim et par une épidémie de choléra. Début juillet, Médecins Sans Frontières a dû fermer l'un de ses hôpitaux : une vingtaine de membres d'un gang était entré de force dans ses locaux, emmenant avec eux un patient blessé qui se trouvait dans le bloc opératoire. 

William O'Neill, juriste international spécialisé en droit humanitaire, en droits humains et en droit des réfugiés, travaille depuis des décennies en Haïti et sur la situation dans le pays. Il a participé à la mise en place de la police nationale haïtienne en 1995. 

Lors de son entretien avec The New Humanitarian, il a évoqué le type de force internationale nécessaire selon lui en Haïti. Il a souligné les mesures prises par les responsables et par la société civile en Haïti. Il a aussi expliqué pourquoi il estime que la situation dans le pays n'est pas « sans espoir », et il a appelé le gouvernement haïtien et la communauté internationale à agir de toute urgence. 

« La situation s'aggrave de jour en jour et, plus le temps passe, plus il devient compliqué de régler ces problèmes car ils s'enracinent, a-t-il déclaré. Ce rapport qui doit être livré dans les 30 jours est un pas dans la bonne direction... Le temps presse. Par conséquent, il est crucial d’agir vite. »

L’interview suivante a été éditée de manière condensée par souci de clarté.

The New Humanitarian : Jusqu’à présent, aucun pays ne s’est porté volontaire pour diriger une force internationale qui interviendrait en Haïti. Pensez-vous vraiment que la pression qu’exerce à nouveau l’Onu sera suivie d’effet ?

O’Neill : Je l’espère. On sent une véritable dynamique depuis quelques semaines. Certains Etats membres voulaient savoir plus précisément à quoi ils s’engageraient, ce qui est tout à fait compréhensible. A mon avis, il ne s’agirait pas ici de mettre sur pied une force de maintien de la paix massive [comme la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti, opérationnelle de 2004 à 2017]. Ce n’est pas vraiment nécessaire. 

En revanche, nous avons besoin de spécialistes, expérimentés, qui soient issus du monde de la police – et pas des forces armées –, qui aient déjà eu affaire à des groupes armés, au trafic d’armes et de drogue, aux transferts financiers illégaux et au blanchiment d’argent, et qui aient une expérience du renseignement. C’est absolument crucial pour pouvoir aider la police nationale haïtienne, qui reconnaît ne pas avoir les compétences ou les moyens nécessaires pour lutter contre ces fléaux. L’idée n’est pas de la remplacer mais de l’accompagner : il faudrait simplement l’aider à planifier ses opérations.

Il ne s’agirait pas de déployer des milliers de personnes. Je crois que les gangs ne sont pas disposés à opposer une résistance à une force constituée de professionnels, de personnel qualifié. A ce stade, ils seraient beaucoup plus enclins à prendre part à des négociations. 

On m’a dit lors de ma visite que les gangs sont de plus en plus fatigués, que devoir payer et tenir leurs troupes les épuise. Cette semaine, certains gangs importants ont signé une trêve qui les engage à essayer de mettre fin à la violence et d’œuvrer pour la paix et la sécurité. 

Mais l’une des principales raisons pour lesquelles les gangs ont un tel pouvoir, c’est qu’ils ont facilement accès à des armes lourdes et à des munitions. Si vous leur enlevez leur puissance de feu, ils seront extrêmement affaiblis. Les Etats-Unis, la République dominicaine et la Jamaïque – les pays d’où proviennent la plupart des armes qui arrivent en Haïti – doivent faire preuve de davantage de fermeté pour mettre fin à cet afflux d’armes. Un embargo universel décrété par l’Onu et qui s’appliquerait à chaque Etat membre serait également important, symboliquement. 

The New Humanitarian : Vous avez dit que la situation n’est pas « sans espoir ». Qu’est-ce qui peut être fait ?

O’Neill : Si des personnes intègres, compétentes et qui veulent faire leur travail correctement sont aux commandes, le problème est à moitié résolu. En Haïti, souvent, la difficulté provient du fait que les agents de la fonction publique ne font pas leur travail. Ils ne rendent pas de comptes ; il n'y a pas de contrôles ; aucune sanction n'est prononcée.

En conséquence, des prestations fondamentales - notamment le respect des droits fondamentaux des populations comme l’accès à la justice, aux soins et à la nourriture - ne sont pas assurées. Personne n’a à en répondre, jamais. On parle d’impunité au sujet de massacres et d’assassinats politiques, mais les agents de la fonction publique jouissent aussi d’une forme d’impunité quand ils s’en tirent à bon compte alors qu’ils ne font rien. 

En dépit de l’insécurité et du manque de moyens, l’Etat haïtien pourrait faire bien davantage en faveur des droits humains. Mais j’ai pu identifier des responsables publics qui font de leur mieux, envers et contre tout. La société civile, les organisations de défense des droits humains, les organisations de défense des femmes, les associations de journalistes et du barreau font aussi leur possible pour améliorer la situation.

J’ai rencontré un directeur de la police à Cap-Haïtien, dans le nord du pays, qui est sur le terrain en permanence et qui s’entretient avec des organisations de la société civile et des droits humains. Ses policiers effectuent des patrouilles, aux principales intersections de la ville ou bien à l’aéroport. Ils parlent avec les gens et leur montrent qu’ils sont là pour assurer leur protection, qu’ils sont à leur service. Ce qui fait que les gens leur font confiance et qu’ils leur donnent des informations pour qu’ils puissent localiser les gangs. En conséquence, il n’y a pratiquement pas de problème de gangs à Cap-Haïtien. 

Par ailleurs, le nouveau procureur de Port-au-Prince, qui a pris ses fonctions en juin dernier, a déjà fait davantage que l’ensemble de ses cinq prédécesseurs. Ce n’est pas si compliqué, ça ne coûte pas cher, et cela ne demande pas des années et des années de formation. Simplement, ce sont des gens qui font leur travail et qui en subiraient les conséquences s’ils ne le faisaient pas. 

The New Humanitarian : Quelles stratégies recommandez-vous pour aider à régler les problèmes à traiter en priorité en Haïti ?

O’Neill : Le contraste entre Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, et Port-au-Prince est saisissant. Cap-Haïtien fonctionne. La ville est un peu comme Haïti autrefois, bien plus calme. Les gens sont beaucoup plus décontractés, il y a un grand nombre d’écoles et de magasins, tout est ouvert tard le soir. Il y a des touristes et les hôtels travaillent. 

Au lieu de se focaliser sur Port-au-Prince, on devrait se concentrer bien plus sur le reste du pays. Ces régions ne sont pas autant dominées par les gangs, tout se passe relativement bien, et il y a des programmes qui marchent, pour l’éducation, les soins ou encore l’approvisionnement en eau potable.

Le problème, c’est que les agences humanitaires ont beaucoup de mal à acheminer l’aide dans ces régions du pays parce que tout doit toujours transiter par Port-au-Prince. Les services des douanes sont particulièrement lents, et j’ai entendu dire qu’ils taxent autant les agences humanitaires que les entreprises privées. Ensuite, il faut faire sortir l’aide de la capitale, ce qui veut dire que vous devez franchir les barrages contrôlés par les gangs et leur payer des taxes supplémentaires. Il arrive aussi que cette aide ne sorte jamais de la ville parce que les gangs la volent. 

On devrait faire de gros efforts pour développer les ports et les aéroports à Cap-Haïtien et dans d’autres régions du pays, où l’on peut apporter de l’aide humanitaire, entre autres, en évitant les gangs. La situation n’est certes pas formidable en zone rurale, mais elle est bien meilleure qu’à Port-au-Prince. Cela permettrait aussi de montrer à la population de Port-au-Prince que la vie en dehors de la capitale est plus agréable. Etant donné que beaucoup de gens n’en sont pas originaires, cela les incitera peut-être à retourner dans leur région d’origine. 

The New Humanitarian : Qu’est-ce qui est fait pour subvenir aux besoins des quelque 165 000 personnes déplacées en Haïti ?

O’Neill : Le nombre de personnes déplacées est sous-estimé, et de beaucoup, comme l’est aussi le nombre de cas de violences sexuelles. Ces deux phénomènes sont liés, les femmes déplacées étant particulièrement exposées aux abus sexuels. Le déplacement des populations est un problème majeur auquel on n’accorde pas suffisamment d’attention. Il ne va faire qu’empirer si la violence continue et si on ne trouve pas de solution à la question de l’accès à la nourriture et aux soins. 

Le gouvernement haïtien devrait être bien plus ouvert et beaucoup plus franc sur cette question. Il a fait preuve de beaucoup de réticence quand les agences humanitaires ont demandé l’autorisation d’ouvrir des centres d’accueil en bonne et due forme pour les personnes déplacées. Je crois qu’il redoute l’image véhiculée par la notion de camps. Mais les gouvernements ont des obligations, et le peu qui existe en ce moment est totalement insuffisant et bafoue toutes sortes de principes ayant trait à l’humanitaire et aux droits humains. 

The New Humanitarian : Que vous ont dit le premier ministre par intérim, Ariel Henry, et d’autres hauts responsables gouvernementaux au sujet de la situation dans le pays, quand vous les avez rencontrés ?

O’Neill : Ils disent qu’ils doivent relever des défis immenses, ce qui n’est pas faux ; ils disent que les gangs et la sécurité posent problème, ce qui est le cas ; et ils disent qu’ils manquent de ressources, ce qui est en partie vrai. Alors j’essaie simplement de trouver un moyen pour les encourager à être davantage force de proposition. 

Je n’ai pas eu l’impression qu’ils aient conscience qu’on a affaire à une véritable crise. Il s’agit ici d’une maison en feu. Il y a des choses que nous pouvons faire dès à présent, et nous devons maintenir la pression pour qu’elles deviennent réalité.

The New Humanitarian : Pensez-vous qu’il y aura bientôt une force internationale pour Haïti ?

O’Neill : Je déteste faire ce genre de pronostic. Tout dépend de ce que vous entendez par « bientôt ». Je le souhaite, je l’espère, mais je suis dubitatif. Le contexte géopolitique (Russie, Ukraine, Chine) interfère avec la situation en Haïti, ce qui fait qu’il est beaucoup plus compliqué de faire quelque chose, et c’est vraiment regrettable.

Traduction par Béatrice Murail.

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