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Des électeurs de Jos en colère et divisés avant les prochains scrutins

La douceur du climat des hauts plateaux rocheux du Centre du Nigeria avait fait de cette ville le lieu de vacances favori des anciens administrateurs coloniaux britanniques.
 
Dans les premières années de l’indépendance, la région était très prospère, grâce à ses mines d’étain (le sixième gisement le plus important au monde), et très cosmopolitaine, puisqu’elle faisait figure de carrefour pour les Chrétiens du Sud et les Musulmans du Nord. Depuis, les choses ont bien changé.

La ville de Jos, capitale de l’Etat du Plateau, est aujourd’hui une cité économiquement exsangue, religieusement divisée et au bord de l’explosion.

En 2001, les tensions entre Musulmans et Chrétiens ont dégénérées en émeutes. Ces affrontements se sont poursuivis de manière intermittente jusqu’en 2004, année au cours de laquelle le gouvernement fédéral y a décrété l’état d’urgence. Des dizaines de milliers de personnes ont à présent déserté la région, comme du reste les opérateurs industriels et les investisseurs.

A la veille des grandes échéances électorales, la diversité confessionnelle de Jos est beaucoup plus perçue comme un handicap.

« Avec ces élections, les risques d’affrontements interconfessionnels sont très sérieux », a indiqué Shamaki Gad Peter, chargé de programme à la League for Human Rights, une organisation non gouvernementale (ONG) installée à Jos.

Selon lui, la première série de scrutins qui aura lieu le 14 avril pour l’élection du gouverneur de l’Etat du Plateau et des membres du parlement local présente plus de risques que les élections présidentielles et sénatoriales du 21 avril.

Des Chrétiens revendiquent l’exclusion des Musulmans

Avec la fermeture des mines d’étain et la corruption endémique de la classe politique locale, responsable du détournement des ressources financières que le gouvernement fédéral alloue à l’Etat, Musulmans et Chrétiens s’accusent mutuellement d’avoir contribué à l’appauvrissement général des habitants, un ressentiment qui ressemble plus à une réaction face à la perte de leur puissance d’antan.

« Nous nous sentons rejetés », a déploré Ado Ibrahim de son bureau de Congo Russia, un quartier peuplé majoritairement de Musulmans.

Ado Ibrahim est le secrétaire général de l’Association pour le développement de Jasawa (Jasawa Development Association, en anglais), une organisation défendant les intérêts de la communauté haoussa, le groupe ethnique majoritaire au sein de population musulmane du Nigeria.

« Nous avons été exclus du précédent gouvernement local et tel que les choses se présentent, nous seront également exclus du prochain gouvernement », a-t-il déclaré.

Les Haoussas, qui représentent un des groupes ethniques les plus importants du pays, sont majoritaires au sein du gouvernement et de l’armée, mais minoritaires dans l’Etat du Plateau où les postes politiques stratégiques sont confiés à des Chrétiens.
 
En outre, les Musulmans, qui n’ont qu’un seul représentant au parlement local, n’ont pas cherché à présenter un candidat sérieux pour briguer le poste de gouverneur.
Même les Chrétiens reconnaissent que les Musulmans sont sous-représentés au niveau des administrations de l’Etat du Plateau.

« Les Haoussas estiment qu’ils ont été écartés de la gestion des affaires publiques », a affirmé Caleb Ahima, le secrétaire de l’Association des Chrétiens nigérians de la région centrale Nord (Christian Association of Nigeria for the north-central zone, en anglais). « Mais je ne pense pas que l’Etat du Plateau fasse partie du Haoussaland », a-t-il renchéri.

C’est le genre de réflexion qui agace les Musulmans haoussas.

« Les Chrétiens pensent qu’ils peuvent nous écarter et continuent de sous-estimer notre menace », a dit M. Ibrahim. « Ils devraient se rappeler ce qui leur est arrivé lors des dernières émeutes qui se sont produites dans cette ville ».

Les violences interconfessionnelles

Il est difficile de déterminer le nombre de personnes tuées au cours des violences interconfessionnelles qui ont eu lieu à Jos.

Selon la ligue des droits de l’homme, ces violences ont fait près de 57 000 morts depuis 2001, alors que pour M. Shamaki, chargé de programme à la ligue, les chiffres pourraient être bien plus importants.

« Nous savons que toute une communauté de Chrétiens et de Musulmans a été massacrée, chacune d’elles comptait environ 30 000 personnes », a-t-il précisé. « Et il ne s’agit que de deux des nombreux incidents survenus à Jos ».

Les meurtres étaient commis de différentes manières.

« Certaines personnes étaient battues à mort à l’aide de matraques, d’autres avaient la gorge tranchée ou étaient tout simplement abattues. Des personnes ont été brûlées vives dans leurs maisons ou dans les mosquées, les églises et les seuls lieux de refuge étaient les dispensaires », a ajouté M. Shamaki.

Il faut également reconnaître que les autorités de l’Etat ont contribué à aggraver la situation, a-t-il poursuivi.

« Le jour où les incidents ont éclaté, elles n’ont pratiquement rien fait pour tenter de rétablir l’ordre dans la ville. Le deuxième jour, elles avaient dit aux habitants qu’ils pouvaient de sortir de leur cachette en toute sécurité, mais c’est à ce moment-là que de beaucoup de personnes avaient être massacrées », a-t-il affirmé.

La violence avait ensuite gagnée d’autres villes de l’Etat du Plateau et d’autres régions du Nigeria. Ainsi, dans la ville de Kano (Nord), les Chrétiens étaient pris pour cible pendant les émeutes de 2003 qui, de l’avis de certains, étaient des représailles aux meurtres d’Haoussas dans la ville de Jos.

Quant aux habitants de la ville de Jos, ils sont de plus en plus divisés.

« Certes, il existe encore quelques communautés où Chrétiens et Musulmans vivent ensemble, mais la plupart des habitants de la ville s’installent désormais dans des quartiers où ils se sentent plus en sécurité », a dit M. Shamaki.

La faute à qui ?

Bien que les Haoussas soient minoritaires dans l’Etat du Plateau, beaucoup de Chrétiens expriment leur crainte de voir la tendance s’inverser. « Ils arrivent du Nord et s’approprient ce qui nous revient de droit », a affirmé un habitant chrétien, sous le couvert de l’anonymat.

En effet, cette crainte trouve ses fondements dans l’histoire récente du Nigeria. Lorsque le Nigeria accédait à l’indépendance, le pays n’était divisé qu’en trois régions, et la région Nord, peuplée majoritairement d’Haoussas, dominait la ville de Jos et une bonne partie de la région centre (middle belt) du Nigeria.

A la fin des années 60, le gouvernement fédéral avait commencé à morceler les régions en Etats de plus en plus petits. C’est ainsi que fut crée l’Etat du Plateau, en 1976, où les Chrétiens étaient majoritaires.

Aujourd’hui encore, plusieurs responsables politiques et religieux chrétiens pensent que l’exclusion des Haoussas était le seul moyen de s’affranchir de la tutelle de ces derniers.

Dans l’Etat du Plateau, les habitants raisonnent également en termes de populations « autochtones » et « allogènes ».

Avec le système mis en place par les autorités fédérales pour déterminer le rattachement à un Etat, les Haoussas du Plateau se retrouvent avec un statut de « non autochtones » ou « d’allogènes ». Ils ne peuvent donc prétendre à aucune bourse scolaire, ni ne peuvent postuler à des emplois dans la fonction publique et l’armée.

Dans son rapport 2006, l’organisation Human Rights Watch qualifiait « d’apatrides » la plupart des Haoussas de l’Etat du Plateau, car ils ne peuvent retrouver leurs racines nulle part ailleurs au Nigeria. En effet, pour les Haoussas, la ville de Jos a été créée par leurs ancêtres.

« Je suis né ici, j’y ai passé toute ma vie », a déclaré Inuwa Ali ‘Turakin Jos’, 83 ans, chef de la communauté haoussa de Jos. « En 1967, le gouverneur m’avait nommé conseiller municipal sans que cela ne pose problème », a-t-il fait remarquer. « Aujourd’hui ce n’est plus possible ».

Le tristement célèbre Joshua Dariy, qui jusque récemment était gouverneur de l’Etat du Plateau, avait contribué à exacerber les tensions en déclarant que les Haoussas n’étaient que des « locataires » dans l’Etat du Plateau.

Quant aux autres groupes ethniques chrétiens, majoritaires, ils en étaient les vrais « propriétaires » et se devaient de rappeler à l’ordre les Haoussas, chaque fois que ces derniers se montraient un peu trop « indisciplinés ».

Jonah David Jang, le candidat favori à la prochaine élection au poste de gouverneur, semble moins virulent. Toutefois, lorsqu’il se présentait au scrutin de 2003, il avait qualifié d’irréalistes les revendications des Haoussas car ceux-ci ne pouvaient faire valoir aucun droit sur le territoire de l’Etat.

En effet, certains responsables haoussas envisageaient à l’époque de créer un gouvernement local dans les régions haoussas de l’Etat du Plateau.

Une démocratie décriée

Pour de nombreux observateurs, ce n’est pas un hasard si des émeutes ont éclaté à Jos, peu de temps après le retour de la démocratie au Nigeria.

« L’armée avait jusque-là réussi à maîtriser les foyers de tension qui couvaient », a souligné M. Shamaki. Plus important encore, a-t-il fait remarquer, lors de sa prise de fonction, le gouverneur Dariye, avait tenu des propos incitant à la haine afin de détourner l’attention de ses administrés pendant qu’il pillait les coffres de l’Etat.

Selon Alhaji Nuhu Ribadu, chef de la commission fédérale pour les crimes économiques et financiers, l’ampleur des détournements de deniers publics commis par M. Dariye est tout simplement « inimaginable ».

Il aurait ainsi détourné au moins 8 millions de dollars américains avant d’être arrêté au Royaume Uni en 2004 pour divers délits, dont le blanchiment d’argent et le détournement de fonds. Remis en liberté après le versement d’une caution, il s’était enfui pour rejoindre le Nigeria où le parlement avait voté sa destitution. Depuis, il est introuvable.

Entre temps, la ville est complètement laissée à l’abandon. Alors que Musulmans et Chrétiens se renvoient la responsabilité de l’incendie qui avait ravagé le marché central en 2003, aucune action n’a été entreprise pour tenter de le reconstruire. Les ordures ménagères ne sont plus ramassées, les routes sont devenues de véritables nids de poule, et l’eau et l’électricité se font rares.

Selon certains responsables de la ville, la population en a assez de la démocratie. « Elle n’a rien apporté à aux habitants au cours des quatre dernières années, et nous avons toutes les difficultés du monde à convaincre les électeurs d’aller voter », a indiqué M. Ibrahim. « Ils n’y voient aucun intérêt », a-t-il ajouté.

Sans représentation locale, les habitants risquent de recourir à des moyens plus violents pour exprimer leur colère, a fait remarquer M. Shamaki. Et à plus court terme, les fraudes électorales, si courantes dans le pays, pourraient déclencher de violentes manifestations.

« Les gens ont le sentiment de n’avoir pas eu en retour ce qu’ils méritent », a commenté M. Shamaki. « Des incidents peuvent éclater entre partisans de responsables politiques rivaux, puis se transformer en conflit confessionnels ».


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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