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Corruption : La plus grande organisation humanitaire d’Irlande se remettra-t-elle du scandale ?

A shop in northern Syria involved in Irish charity GOAL's food voucher operation
A shop in northern Syria involved in Irish charity GOAL's food voucher operation

Frappée par une affaire de corruption et confrontée à une crise budgétaire, l’organisation non gouvernementale (ONG) irlandaise GOAL a commencé à licencier des employés. Selon sa propre présidente, l’ONG entre dans une « période critique ». Les spécialistes du secteur de l’aide humanitaire se demandent si elle survivra à cette épreuve.

Le directeur de l’exploitation et le PDG de GOAL ont tous deux démissionné à la suite d’une enquête visant à faire la lumière sur des soupçons de corruption dans l’aide transfrontalière entre la Turquie et la Syrie. La première victime de la réduction des effectifs est la section américaine de GOAL, dont la suppression de dix postes entraînera la fermeture. GOAL n’a pas souhaité faire de commentaire sur les rumeurs d’autres licenciements à venir ni sur l’ampleur de ses difficultés financières.

Une nouvelle directrice générale, Celine Fitzgerald, a pris les rênes de l’ONG le 1er novembre. « Experte en gestion du changement », selon une déclaration de GOAL, Mme Fitzgerald est chargée d’accompagner la « transition » et de renforcer la gouvernance et la gestion des risques. Comme l’a révélé un article d’IRIN publié en mai dernier, une enquête de l’inspecteur général de l’USAID a découvert que des fournisseurs turcs avaient conclu des ententes avec des employés de plusieurs maîtres d’œuvre de l’USAID chargés des passations de marché. Jusqu’à présent, 18 individus et fournisseurs en Turquie ont été cités dans le cadre de procédures américaines, ainsi que trois ONG : GOAL, le Comité international de secours et International Medical Corps.

Si les deux autres ONG ressentent bien entendu elles aussi les pressions de l’enquête américaine, GOAL risque, elle, de subir une « réduction catastrophique de ses effectifs », a déclaré une source bien placée au sein de l’ONG irlandaise. Selon cette personne, qui a souhaité garder l’anonymat, l’impact est d’autant plus grand que la direction et le conseil d’administration de GOAL n’ont pas réglé les problèmes sous-jacents.

A presentation from Noble House, a company set up by GOAL employees
These aid vouchers are for Syria and say "aid from the people of Ireland"

« S’il s’agissait d’un club de football, l’équipe entière se serait fait virer il y a des mois », a commenté cette source.

La présidente du conseil d’administration de GOAL, Anne O’Leary, a reconnu l’ampleur du problème dans un courrier électronique adressé à IRIN : « Les 12 prochains mois seront une période critique pour GOAL, car nous cherchons à rétablir et à renforcer la confiance de nos bailleurs de fonds et du public en général tout en poursuivant la mise en œuvre de nos programmes humanitaires à travers le monde. »

Conflit d’intérêts

D’après la source anonyme d’IRIN, GOAL pâtit plus de cette enquête que les autres ONG impliquées en raison de la manière dont elle a fait face à un conflit d’intérêts entre l’organisation caritative et des prestataires. Dans une série de révélations accablantes, Irish News a dévoilé que l’ONG faisait affaire avec une entreprise logistique créée en 2013 par plusieurs de ses propres employés, dont le directeur de l’exploitation. Pour compliquer encore plus l’histoire, le frère jumeau de l’actionnaire principal de l’entreprise était membre du conseil d’administration de la section britannique de GOAL.

L’entreprise, Noble House Business PLC (rebaptisée Pinnacle Business PLC depuis), a été créée pour proposer ses services aux organisations humanitaires en Turquie et ailleurs au moment même où les financements transfrontaliers à destination de la Syrie étaient au plus haut. La demande augmentait et les principales organisations humanitaires devaient accroître rapidement leurs activités. Noble House comptait parmi ses clients une agence des Nations Unies, qui a dépensé un total de 663 756 dollars auprès de l’entreprise en 2014 et 2015. Contrairement aux agences des Nations Unies, la plupart des ONG n’ont pas l’obligation de publier les informations concernant leurs passations de marchés. Les principales sources financières de Noble House de 2013 à 2015 restent donc inconnues. IRIN a représenté les renseignements disponibles sur les entreprises mentionnées dans les médias dans le graphique ci-dessous (dont l’objectif n’est que de démontrer l’enchevêtrement des rapports d’influence, sans la moindre présomption de malversation). 

D’après les réponses données au journal Irish Mail on Sunday, GOAL a passé contrat avec Noble House à hauteur de 90 000 euros (114 200 dollars) en 2015, une somme relativement modeste. Les comptes de Noble House présentent un tableau mitigé avec, d’une part, un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars en 2013-2014 et, d’autre part, un déficit d’exploitation de 400 000 dollars en 2015. Les détails demeurent maigres : GOAL n’a fourni que peu d’informations sur les contrats passés avec Noble House ou, plus généralement, sur l’ensemble des affaires visées par l’enquête de l’USAID. Le conseil d’administration de GOAL n’a par ailleurs donné aucun détail sur l’enquête interne commandée au cabinet d’audit BDO.  

Selon l’Irish Times, Jonathan Edgar, personne hautement placée liée à l’affaire Noble House, a démissionné de sa fonction de directeur de l’exploitation de GOAL au cours des dernières semaines. Le PDG de GOAL, Barry Andrews, a lui aussi quitté l’ONG. Quant à Andrew Godson, frère de l’actionnaire de Noble House Jonathan Godson, il a mis un terme à son rôle au sein du conseil d’administration de la branche britannique de GOAL début septembre.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Union européenne représentaient en tout 77 pour cent des bénéfices de GOAL en 2014. GOAL dépend de cette poignée de bailleurs de fonds et une baisse de confiance de leur part pourrait entraîner un grave effondrement de ces soutiens. « Si quelque chose se passe mal, cela produira un effet domino », a dit à IRIN un spécialiste des ONG.

Augmentation des besoins

En juillet 2014, une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies a explicitement permis aux Nations Unies d’acheminer de l’aide à travers les frontières syriennes, mais de nombreuses ONG le faisaient déjà avant. La guerre civile s’aggravant, les États-Unis et d’autres bailleurs de fonds ont commencé à accélérer la cadence de leurs opérations humanitaires de Turquie vers les zones syriennes contrôlées par l’opposition.

Cette hausse des activités s’est produite dans une atmosphère de secret pour des questions de sécurité et dans le souhait de faire profil bas en Turquie comme en Syrie. Le dispositif opérationnel, qui comprenait l’achat et le transport de gros volumes à travers la frontière vers une zone de guerre complexe, devait faire face à de multiples difficultés, souvent mal gérées, ont dit à IRIN des responsables connaissant bien ces opérations.

GOAL a alors presque quadruplé ses bénéfices, d’environ 60 millions d’euros en 2011 à 210 millions d’euros en 2015, et ce, grâce à une série d’importantes subventions de l’USAID pour la Syrie. Malgré l’enquête, les États-Unis continuent de verser des fonds à l’ONG dans le cadre d’accords de subvention déjà mis en place.

 

 

Dans une interview accordée à Irish News cette année, l’ancien PDG de GOAL, Barry Andrews, a reconnu que l’organisation avait grandi trop vite. « Les circonstances de l’enquête du Bureau de l’inspecteur général menée ces sept derniers mois ont été extrêmement inconfortables pour GOAL et nous travaillons dur pour corriger les faiblesses identifiées et pour offrir toutes les garanties nécessaires à nos bailleurs de fonds », a-t-il écrit dans un message d’adieu aux bailleurs de fonds.

Bouée de sauvetage ?

Selon le spécialiste des ONG, qui a souhaité garder l’anonymat, les chances de survie de GOAL dépendent largement de la volonté du gouvernement irlandais de lui lancer une bouée de sauvetage. Irish Aid annoncera dans les prochaines semaines des appels à projets sur plusieurs années, appelés « programme grants ». Sans un tel apport de fonds de l’État, les problèmes financiers de GOAL ne s’atténueront pas, ont dit des observateurs. Plus de 10 millions d’euros de fonds d’Irish Aid sont déjà suspendus dans l’attente du résultat de l’enquête de l’USAID. 

« Les bénéfices de GOAL ne sont pas totalement épuisés »

Cependant, les bénéfices de GOAL ne sont pas totalement épuisés. L’ONG a reçu 37 millions de dollars de financements humanitaires de la Communauté européenne, des États-Unis, de l’Irlande et de l’Allemagne en 2016, selon le Service de surveillance financière des Nations Unies, ainsi que des subventions de fonds communs gérés par les Nations Unies.

GOAL compte environ 3 000 employés — locaux ou expatriés — à travers le monde. Le choix de la direction de GOAL et de son conseil d’administration de tenter « de se tirer d’affaire » plutôt que de régler les problèmes de corruption met ces emplois en jeu, a dit la source interne.

(PHOTO DE COUVERTURE : Une boutique du nord de la Syrie participant au programme de bons alimentaires de GOAL. Photo: GOAL)

bp/ag-ld/amz 

 
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