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Visas humanitaires : l’Europe doit-elle suivre l’exemple du Brésil ?

Jusque récemment, les Haïtiens qui fuyaient leur pays ravagé par le tremblement de terre de 2010 empruntaient des voies terrestres dangereuses à travers l’Amérique du Sud - souvent en remettant leur vie entre les mains de passeurs sans scrupule - dans l’espoir de trouver une vie meilleure au Brésil. Aujourd’hui, les choses sont simples : il leur suffit de se rendre dans un bureau de la capitale haïtienne Port-au-Prince et de déposer une demande de visa humanitaire. Plus besoin de passeurs, plus besoin de franchir la frontière clandestinement.

Le Brésil a instauré un système similaire pour les réfugiés syriens qui peuvent se rendre dans les consulats du Brésil au Moyen-Orient et déposer une demande de visa spécial. L’obtention d’un visa facilite leur voyage jusqu’au Brésil. Une fois arrivés dans le pays, ils déposent une demande d’asile. Jusqu’ici, 8 000 visas ont été délivrés à des ressortissants syriens.

Les experts exhortent les dirigeants politiques européens à adopter cette approche, en particulier pour les Syriens qui n’ont d’autres choix que de faire appel aux passeurs et de tenter la périlleuse traversée de la Méditerranée simplement pour introduire une demande d’asile en Europe. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, a recommandé de renforcer la délivrance de visas humanitaires pour ouvrir de nouvelles voies de migration légale afin que les réfugiés rejoignent l’Europe en sécurité.

Les Etats membres de l’Union européenne délivrent des visas humanitaires à titre exceptionnel, conformément au code des visas en vigueur dans l’UE, mais ils se refusent depuis longtemps à étendre leur utilisation. Depuis que la catastrophe migratoire qui se joue tous les ans en Méditerranée est devenue une véritable crise des réfugiés cette année, les dirigeants européens ont opté pour des programmes limités de réinstallation et/ou l’augmentation de l’aide dans les camps de la région, en affirmant qu’il était préférable que les réfugiés restent au plus près de leur pays d’origine.

A lire : L’Europe n’est pas confrontée à une crise des migrants, mais à une crise syrienne

Pots-de-vin, vols et nouveaux pots-de-vin

Ernson Etienne, âgé de 20 ans, est l’un des derniers migrants haïtiens à être entré au Brésil en empruntant la périlleuse voie terrestre. Il a rejoint l’Etat d’Acre, situé au nord-ouest du pays, après un périple d’un mois sur une route utilisée par environ 45 000 Haïtiens depuis 2010. 

Parti d’Haïti, il a traversé la frontière avec la République dominicaine et pris un vol pour Bogota, la capitale colombienne. Il s’est ensuite envolé pour l’Equateur. Une fois dans le pays, il a franchi la frontière avec le Pérou et fait le reste du trajet par voie terrestre. 

C’est au Pérou que ses problèmes ont commencé. Des policiers corrompus ont menacé de déporter M. Etienne s’il ne leur versait pas un pot-de-vin et des trafiquants d’êtres humains lui ont demandé des sommes exorbitantes pour le transporter de villes en villes. Il est finalement entré au Brésil en passant par la Bolivie ; il a dépensé environ 3 500 dollars pour payer les frais de déplacement, les passeurs et les pots-de-vin.

M. Etienne vit aujourd’hui dans un centre d’accueil pour immigrants et réfugiés situé en périphérie de Rio Branco, la capitale de l’Etat d’Acre, à environ quatre heures de la frontière avec la Bolivie. Il attend que son frère lui envoie de l’argent pour acheter un billet de bus et le rejoindre dans l’Etat prospère de Santa Caterina, au sud du pays, où il espère trouver du travail dans la construction ou l’agriculture.

« J’ai tellement de chance d’être ici. Le trajet a été très dur », a-t-il dit à IRIN.

Les migrants haïtiens ne sont pas couverts par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ils ne fuient pas une persécution ou un conflit (la Convention ne couvre pas ceux qui fuient une catastrophe naturelle), mais le Brésil considère qu’ils constituent une catégorie spéciale de migrants économiques et, en 2011, il a créé un « visa humanitaire » spécialement pour eux. 

Mais seul un nombre limité de migrants ont pu déposer une demande de visa humanitaire en Haïti, car le consulat du Brésil à Port-au-Prince n’en délivrait que 100 par mois. La demande dépassant l’offre, des milliers de migrants ont choisi de se déplacer illégalement plutôt que d’attendre. Ils ont fait appel à des passeurs qui demandent des sommes élevées pour les guider, mais qui bien souvent les escroquent et les abandonnent dans la ville suivante, où ils sont de nouveau la proie de groupes criminels ou de policiers corrompus.

« Ils ont pris tout mon argent ainsi que le téléphone dans lequel j’avais enregistré tous mes contacts », a dit Alnet Benot, 46 ans, qui a essayé de rejoindre le Brésil pendant trois mois. Il a subi plusieurs vols et souvent passé plusieurs jours sans manger pendant le trajet. D’autres migrants l’ont finalement aidé à entrer au Brésil.

Un vol direct ?

Ces situations chaotiques ont pris fin il y a un mois. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a ouvert un bureau à Port-au-Prince et les Haïtiens peuvent déposer une demande de visa humanitaire, dont le montant s’élève à 260 dollars, avant de prendre un vol direct pour le Brésil, sans avoir à faire appel aux passeurs.

« Le visa est considéré comme un moyen de limiter les départs clandestins dangereux, en offrant une alternative légale, transparente et bien moins onéreuse », a expliqué Dimitry Poletayev, chef de projet au centre de l’OIM à Haïti.

Les politiques adoptées par le Brésil sont généralement favorables aux migrants qui, dès qu’ils obtiennent leurs papiers, peuvent bénéficier du système d’aide sociale. Le pays a une plus grande capacité d’absorption des migrants que l’Europe – ils représentent seulement environ 0,5 pour cent de la population contre huit pour cent au Royaume-Uni et 13 pour cent en Allemagne – et ses partis politiques traditionnels ne défendent pas une politique anti-immigration.

A l’origine, les migrants haïtiens sont venus au Brésil, attirés par la perspective de trouver un emploi lié à l’organisation de la Coupe du monde de 2014. Comme M. Etienne, la majorité des migrants rejoignent les riches Etats du sud du pays - Sao Paulo, Santa Caterina ou Rio Grande de Sul. Mais le Brésil n’a pas les ressources nécessaires pour procurer un réel soutien aux migrants fraichement arrivés. En raison du manque de places d’hébergement dans les quartiers pauvres des villes du Sud, les migrants sont souvent contraints de louer des logements privés, alors qu’ils ont des difficultés à trouver une place sur le marché du travail, notamment en raison de la barrière de la langue. 

Le ralentissement économique

Le Brésil connait aussi une crise économique aigue. Sa devise, le réal, a perdu plus de 70 pour cent de sa valeur face au dollar américain depuis 2010, ce qui veut dire que les migrants haïtiens envoient moins d’argent à leur famille restée au pays.

L’année dernière, le pays a perdu plus d’un million d’emplois, notamment dans l’industrie du bâtiment, l’un des secteurs qui recrutent le plus de travailleurs migrants. Des médias brésiliens ont indiqué que des Haïtiens rentraient au pays, mais d’autres continuent de faire le chemin inverse. 

« Je suis arrivé il y a six jours et je me rends déjà compte que les choses ne sont pas telles que l’on me les avait décrites », a dit Jean-Marc Richard, 22 ans, un ressortissant haïtien hébergé au centre de Rio Branco. Celui-ci a accueilli jusqu’à 1 200 migrants au début de l’année, dont une majorité d’Haïtiens, mais il ne compte plus que 150 occupants dont la moitié environ sont originaires d’Haïti.

Certains pensent que le nombre d’Haïtiens entrant au Brésil pourrait baisser en raison de la crise économique, mais les experts ne manquent pas de rappeler que la situation en Haïti est bien pire.

« Haïti est dans une situation tellement déplorable qu’il est peu probable que la crise (économique) change quoi que ce soit pour ceux qui souhaitent venir ici », a dit Mauricio Santoro, professeur en sciences politiques à l’université de l’Etat de Rio de Janeiro.

L’économie brésilienne perd des emplois et M. Santoro a expliqué que les réactions défavorables aux migrants haïtiens se multipliaient. Si la majorité des Brésiliens font preuve de bienveillance à l’égard des réfugiés syriens - dont le nombre reste relativement peu important - qui entrent dans le pays, les Haïtiens sont plus susceptibles d’être victimes du racisme.

Les attaques violentes restent rares mais, récemment, un Haïtien a été frappé et poignardé à mort par dix hommes dans l’Etat de Santa Caterina. Des incidents similaires ont été signalés à Sao Paulo.

« La crise (économique) se poursuit et je crains que le nombre d’attaques à caractère xénophobe n’augmente », a dit à IRIN M. Santoro.

Les rapports sur le chômage, la faiblesse de la monnaie brésilienne et les actes de violence contre les Haïtiens ne semblent pas affecter M. Etienne. Plongé dans une partie de dominos dans le jardin du centre d’accueil de Rio Branco, il fait peu de cas de ces informations.

« Je suis venu au Brésil pour travailler. Peu importe ce que je trouve ici, ce sera mieux qu’en Haïti », a-t-il dit.

sc/ks/ag-mg/amz 

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