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À l’heure des élections, le métier de journaliste est risqué au Burundi

Soldiers from the Burundian armed forces sit next to a makeshift polling station in the Musaga neighbourhood of Bujumbura, Burundi, on June 28, 2015.Burundians are set to vote in legislative elections tomorrow, which opposition parties have called to boyc
Pour les familles de journalistes - comme moi - au Burundi, la vie est un enfer ces derniers temps, surtout depuis que les manifestations ont commencé en avril pour protester contre la volonté du président de se représenter pour un troisième mandat.

Depuis, les enfants ne vont plus à l’école. Chaque jour, mon fils me demande quand il fera ses devoirs. Il se souvient que les manifestations ont éclaté alors qu’il rentrait de l’école un vendredi avec des devoirs à faire. Un jour, j’ai dû demander à son professeur d’ouvrir les portes de l’école ne serait-ce que quelques minutes afin qu’il trouve un certain réconfort. Ça n’a pas marché.

Le discours officiel se veut rassurant, mais le déclin économique, politique et social se poursuit.

Nos familles ne comprennent pas comment nous avons pu choisir ce métier. « Ce métier, c’est la mort », m’a récemment dit ma sœur.

« Papa, ils ont tiré sur ton ordinateur ? », m’a demandé mon fils un jour. Il aime les ordinateurs. Les ordinateurs de nombreux journalistes ont été criblés de balles lors d’attaques ciblant des sociétés de presse privées au lendemain de la tentative manquée de coup d’État du mois de mai.

« Mon fils, il est temps de faire autre chose. J’ai peur pour toi », m’a dit ma mère lors d’une conversation téléphonique larmoyante, il y a peu.

Pour les journalistes travaillant pour des médias privés ou étrangers, c’est comme si notre travail était devenu un crime.

Mais il faut comprendre que c’est toute la communauté qui est menacée. Aujourd’hui ce sont les journalistes, demain ça pourrait être les commerçants ou les médecins.

En tant que journaliste et citoyen, j’ai toujours espéré que le Burundi ne connaîtrait pas la situation que nous vivons aujourd’hui. Les événements semblent évoquer les vieux démons de la destruction et de la violence (le Burundi a été ravagé par la guerre civile de 1993 à 2005). Avant même le scrutin législatif du lundi 29 juin, les élections ont déjà fait des victimes : des dizaines de milliers de personnes ont fui le pays et de nombreuses autres se sont également déplacées à l’intérieur de ses frontières. 

Depuis la tentative de coup d’État, les reporters se cachent – c’est mon cas et celui de collègues travaillant aussi bien pour des médias privés que publics. Personnellement, j’ai choisi de ne pas quitter le Burundi pour un pays voisin, mais près de 50 journalistes ont fui et certains vivent dans des camps de réfugiés.

La fermeture des médias privés « constitue un sérieux revers pour la liberté d’expression, car il n’y a plus personne pour contredire la version du gouvernement, plus de sources indépendantes pour couvrir les événements actuels », m’a dit Jean-Régis Nduwimana, un professeur de communication.

Il a ajouté qu’il craignait que le pays devienne la proie « d’un régime quasi-totalitaire qui souhaite ne faire entendre que sa propre voix dans les médias publics ».

Il est très risqué de se promener avec un enregistreur audio, un ordinateur portable ou un smartphone ces derniers temps. Il est impossible de rester chez soi tout le temps, mais les déplacements doivent se faire avec la plus grande précaution. De nombreux journalistes affirment être suivis. Le domicile de certains d’entre eux a été attaqué. Le cas le plus récent est celui de la reporter de Voice of America, Dianne Nininahazwe, qui a également été suivie.

Cette semaine j’ai vu des hommes gisant à terre dans leur sang, après que des grenades ont été jetées depuis les fenêtres d’une voiture. Être journaliste aujourd’hui, c’est vivre la souffrance des autres et oublier la sienne. Nous avons tous perdu des proches par le passé, mais les roues de l’histoire tournent encore au Burundi, et les mêmes histoires se répètent. Nous continuons de verser des larmes pour nos familles et amis. Les Burundais enterrèrent encore leurs êtres aimés.

La plus grande malédiction de notre pays, c’est que les gens n’essaient jamais de se mettre à la place des autres.

J’ai entendu dire que les représentants du gouvernement traitaient les manifestants d’oiseaux de malheur. La situation a progressivement évolué en conflit, bien que le gouvernement affirme que 99,9 pour cent du pays est en paix. Mais il n’est pas normal que des personnes fuient leur pays à l’approche d’élections. Plus de 100 000 réfugiés, pouvez-vous l’imaginer ? Des enfants arrachés à leurs parents, déscolarisés, incapables de trouver le sommeil, vivant dans des camps, menacés par le choléra et la malnutrition ?

Environ dix jours après la tentative de coup d’État, les journalistes travaillant pour des médias étrangers et les correspondants de visite au Burundi furent convoqués par le Conseil national de la communication. Je suis arrivé en retard. J’avais envisagé de ne pas m’y rendre du tout ; j’ai pensé qu’on me jetterait en prison. Cet endroit vous rend paranoïaque. Pendant la réunion, on a été avertis, accusés de ne couvrir que les manifestations alors que le parti au pouvoir était en pleine campagne, d’encourager les manifestants, de ne parler que des réfugiés alors que 10 millions de personnes étaient restées au Burundi.

Un jour, le témoin d’une attaque que je tentais d’interroger a refusé de me parler car il craignait pour sa vie.

Des fusillades et des tirs de grenade ont retenti dans certains quartiers de Bujumbura samedi soir, et à nouveau dimanche soir. Pendant des heures, nous n’avons pas su qui tirait et pour quelles raisons. La radio publique a annoncé que trois personnes étaient mortes samedi soir. Étrangement, le porte-parole de la police était injoignable.

Tout cela engendre un climat de peur. Je ne vois aucune raison d’être calme. Les anciens partenaires du Burundi se sont retirés, ainsi que les observateurs des élections.

Des échanges de tirs dans un pays dont le gouvernement affirme qu’il est en paix, le retrait de l’opposition de la course aux élections, et les nombreux appels de la communauté internationale à reporter les élections sont autant de signes que nous nous trouvons en terrain glissant et qu’il sera difficile d’en revenir.

dn/am-xq/amz 
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