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Méfions-nous du pouvoir de l’argent

Les ONG locales commettront-elles les mêmes erreurs que leurs cousines du Nord ?

Several NGOs and other organizations are trying to do development projects in Karamoja, like this one, where men are paid to build rock catchments for holding water. The Karamoja region of Uganda, near the border of Sudan and Kenya, has not seen as many d Glenna Gordon/IRIN

Nous savons que l’argent n’achète pas l’amour et qu’il ne fait pas non plus le bonheur. Mais il peut acheter l’allégeance d’une organisation non gouvernementale (ONG) et une aide humanitaire répondant aux intérêts stratégiques d’un bailleur de fonds plutôt qu’aux besoins des populations sur le terrain. Il peut aussi vous placer dans la ligne de mire de l’ennemi de votre donateur.

Nous savons que l’argent peut acheter tout cela, car nous savons que c’est déjà le cas. Ce sont d’ailleurs les conséquences de cet achat — la réponse des organisations humanitaires internationales souvent tardive, partisane et soumise à la politique de l’offre — qui motivent le redéploiement des ressources vers les intervenants humanitaires locaux (ce qu’on appelle la « localisation »). Mais si les ONG locales reçoivent plus de fonds, les mauvaises habitudes en matière de financement de l’aide ne risquent-elles pas de se reproduire sous une nouvelle forme ?

Le premier Sommet mondial sur l’action humanitaire a suscité de nombreuses critiques, mais les spécialistes du secteur semblent s’accorder sur un point positif : la localisation. Les parties prenantes se sont engagées sur ce point central consistant à réorganiser le système humanitaire international, pesant et hiérarchisé, principalement en allouant « 25 pour cent des financements aux intervenants nationaux et locaux aussi directement que possible à l’horizon 2020 ».

Les responsables de l’élaboration des politiques humanitaires sont depuis longtemps clairs sur ce point : un financement rapide, flexible et sur plusieurs années est nécessaire (le Good Humanitarian Donorship, un premier ensemble de réformes adopté en 2003, s’est soldé par un échec). Comme l’a conclu une étude de l’OCDE, « de puissants freins institutionnels empêchent de “faire les choses différemment” », en l’absence de « leadership politique et d’un soutien explicite et prévisible des plus hautes instances institutionnelles. »

Il est difficile de s’opposer au fait de donner aux acteurs locaux et aux communautés les moyens de réagir lorsque des crises surviennent. Le problème n’est pas l’enthousiasme que génère la localisation, mais l’uniformité de cet enthousiasme, qui la déclare gagnante, gagnante et encore gagnante. Les ONG du Sud accusent souvent férocement et à raison les projets humanitaires de néocolonialisme, de paternalisme et de normativisme et leur reprochent de ne pas répondre aux besoins spécifiques des populations. Le problème, c’est la polarisation actuelle du plan de localisation sur les voies de financement et la nature faustienne de cette « Grande Négociation ».

Un modèle de financement qui a déjà miné l’indépendance et l’efficacité des ONG internationales n’est pas ce qu’il a de mieux pour donner aux organisations locales les moyens d’agir dans leur propre pays et communauté. Même si les modes de financement deviennent moins rigides, comme l’a observé un récent rapport d’HERE-Geneva (dont je suis l’auteur principal), « [i]l est important pour les humanitaires de pouvoir compter sur des financements flexibles. Ces derniers ne sont cependant pas un gage d’indépendance. »  

Outre la question des risques, les débats concernant la localisation devraient faire preuve de plus d’ambition. Ne pourrions-nous pas imaginer que les ONG locales puissent choisir un modèle différent, se basant par exemple sur la détermination de Médecins Sans Frontières à faire appel à des bailleurs de fonds privés plutôt que gouvernementaux ? Quand verrons-nous une organisation appelée Collecte de Fonds Sans Frontières, qui soutiendrait la croissance d’un secteur d’ONG indépendantes dans le Sud ?

Même si l’on reconnaît que les organisations locales ont systématiquement été marginalisées, on peut espérer que leur critique radicale s’étendra aux questions de financement. Se fonder sur l’idée que les bénéfices du pouvoir de l’argent dépassent les conséquences néfastes de l’argument selon lequel la fin justifierait les moyens est une dangereuse tactique.  

Voici ce que nous devons éviter : transformer les ONG et les associations locales du Sud en auxiliaires du Nord, en exécutants du « soft power », en assesseurs des intérêts (sécuritaires) nationaux des puissances occidentales, en partenaires de ce secteur privé mondial qui est à l’origine du sous-développement et des inégalités et en instruments des programmes libéraux et néo-libéraux.

La Grande Négociation soulève les questions suivantes pour les ONG locales, qui peuvent peut-être encore choisir une autre voie : 

Lorsqu’une catastrophe survient, voulez-vous agir tout de suite ou commencer à remplir des appels à financements ? La capacité du secteur à intervenir rapidement aux urgences ou à agir de manière préventive au lieu de se contenter d’atténuer les effets des crises est encore gravement insuffisante
 

Lorsqu’une catastrophe survient, voulez-vous agir tout de suite ou commencer à remplir des appels à financements ? La capacité du secteur à intervenir rapidement aux urgences ou à agir de manière préventive au lieu de se contenter d’atténuer les effets des crises est encore gravement insuffisante
 

Lorsque la situation change, vous adapterez-vous aux besoins ou accomplirez-vous jusqu’au bout vos obligations contractuelles (en construisant, par exemple, des centres de traitement d’Ebola qui n’accueilleront jamais aucun patient) ? 
 

Mettrez-vous en œuvre des programmes audacieux testant de nouvelles méthodes et privilégiant les plus démunis ou des programmes classiques ayant plus de chances d’honorer les contrats en temps et en heure ? Comme l’a démontré cette étude, le besoin de garanties financières des bailleurs de fonds institutionnels a créé « une culture étouffante de la conformité et de l’aversion aux risques ».
 

Quelle part de votre système organisationnel peut être consacrée à l’aide humanitaire et à la protection des populations en situation de crise plutôt qu’à obtenir et à gérer ces fonds et à rendre des comptes concernant leur utilisation ? Une récente étude du CIAB présente en détail la transformation de l’action humanitaire en bureaucratie humanitaire et son impact sur les petites ONG.  
 

Comment répondrez-vous aux besoins des plus démunis si vos fonds proviennent d’un gouvernement étranger militairement actif (en Afghanistan, en Irak ou en Somalie, par exemple) ou là où des soupçons de soutien de la politique occidentale (ou même des Nations Unies) pourrait saper la confiance en vos intentions ?
 

Que ferez-vous si des personnes âgées déplacées ont besoin de programmes urgents, mais que des fonds ne sont disponibles que pour des activités destinées aux enfants et aux mères ? L’organisation basée sur l’offre s’est depuis longtemps montrée peu à même de s’adapter aux besoins du terrain et bloque la contextualisation des interventions.

Il faut faire en sorte que la possibilité pour le Sommet mondial sur l’action humanitaire de concrétiser la promesse de localisation — qui permettrait à l’aide humanitaire d’être organisée et dirigée localement — ne se limite plus à l’objectif étroit et contreproductif d’allouer 25 pour cent des fonds directement aux acteurs locaux (sans mentionner les difficultés pratiques d’une telle hausse des financements). Nous devons nous livrer à une analyse plus critique des stratégies à adopter pour la mise en œuvre de cet engagement. Faute de quoi la localisation risque de reproduire trop de défauts qui minent depuis longtemps les performances des ONG internationales et des agences des Nations Unies et qui ont laissé trop de personnes vulnérables sur le bas-côté.

En bref, ce redéploiement des financements en faveur des organisations locales rendra-t-il l’aide plus sensible aux besoins des populations ou celui qui paye les violons continuera-t-il de choisir la musique et de couvrir cette mélodie ?


Actuellement conseiller humanitaire indépendant, analyste et blogueur, Marc DuBois a travaillé pendant 15 ans pour Médecins Sans Frontières et a dirigé MSF-UK de 2008 à 2014.

(Photo de couverture : Projet de réservoir d’eau, Ouganda - IRIN/Glenna Gordon)

mdb/bp/ag-ld/amz 

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