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Promouvoir la paix par la guerre : l’interventionnisme africain*

Gambia celebrates @Steve Cockburn, Amnesty International
Gambia celebrates

L’Afrique, le continent le plus pauvre du monde, est confrontée à de nombreux enjeux sécuritaires. Ses chefs d’État ne tardent cependant pas à intervenir dans les crises lorsqu’ils peuvent le faire. C’est ce qu’a découvert récemment Yahya Jammeh en Gambie.

À la suite du refus du chef d’État sortant d’accepter sa défaite au scrutin du 1er décembre dernier, une coalition de soldats ouest-africains a franchi la frontière sénégalo-gambienne. L’avancée se poursuivra jusqu’à la capitale, Banjul, à moins que M. Jammeh se résigne à quitter ses fonctions. La menace militaire a finalement suffi à le convaincre.

Ces dernières semaines ont été marquées par une intense activité diplomatique : des délégations de leaders se sont rendues à Banjul pour offrir l’amnistie ou l’exil à M. Jammeh en échange de son départ pacifique du palais présidentiel.

Jeudi dernier, les événements se sont précipités : le vainqueur du scrutin, Adama Barrow, a prêté serment à l’ambassade de la Gambie au Sénégal ; le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution appuyant l’intervention militaire ; et, quelques heures plus tard, les troupes sénégalaises ainsi que des unités de l’armée de l’air nigériane ont franchi la frontière sénégalo-gambienne.

Les actions politiques et militaires mises en oeuvre par les États d’Afrique de l’Ouest ont été guidées par des principes, mais aussi par un certain opportunisme. Dans ce cas, toutefois, l’intervention a été facilitée par le fait que les forces armées gambiennes ne comptaient que 1 000 hommes.

M. Jammeh s’est finalement envolé pour la Guinée équatoriale samedi dernier. Selon certaines informations, il aurait dérobé plus de 11 millions de dollars dans les caisses de l’État avant de partir en exil. Rappelons que l’ancien président gambien était le dernier leader ouest-africain à avoir obtenu le pouvoir à la suite d’un coup d’État. Par ailleurs, deux pays importants de la région – le Ghana et le Nigeria – ont récemment connu un transfert pacifique du pouvoir politique par les urnes.

Depuis les années 1990, les 15 membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont lancé des interventions militaires complexes et controversées au Liberia, au Mali et en Sierra Leone et imposé des sanctions à la Guinée, à la Guinée-Bissau et au Niger à la suite de coups d’État.

Comme d’autres organisations régionales, la CEDEAO fait partie de l’architecture sécuritaire de l’Union africaine (UA). L’UA, le principal organe politique du continent, s’est donné pour mandat de chercher des solutions africaines aux problèmes africains.

L’UA a mis en place d’un système de gestion de crise ambitieux – mais sous-financé – qui s’appuie sur la prévention des conflits, la médiation et, lorsque tout le reste échoue, l’intervention. Cette option finale exige cependant l’accord des États membres, l’appui des Nations Unies et le financement des bailleurs de fonds, des conditions qui ne sont pas toujours réunies.

L’Afrique s’est malgré tout montrée remarquablement proactive. Voici quelques exemples des principales opérations de maintien de la paix menées sur le continent :

Liberia

1990-1997 : Pour mettre fin à une guerre brutale qui déstabilise la région, les pays d’Afrique de l’Ouest prennent l’initiative sans précédent d’envoyer une force de maintien de la paix, le Groupe de contrôle du cessez-le-feu de la CEDEAO (Economic Community Cease-Fire Monitoring Group, ECOMOG).

L’ECOMOG réussit à empêcher la prise de Monrovia et à y installer un gouvernement transitoire, mais le reste du pays est toujours sous le contrôle du Front national patriotique du Liberia (NPFL, selon le sigle anglais) du seigneur de guerre Charles Taylor. Après au moins 13 tentatives de paix ratées, un accord de cessez-le-feu est conclu en 1996. Il permet de jeter les bases pour le scrutin de 1997, que Taylor remporte. La population espère en effet que son élection permettra de mettre un terme au bain de sang. En dépit de ses nombreux problèmes, et notamment de sa mauvaise réputation liée aux pillages dont se sont rendues coupables ses troupes, l’ECOMOG bénéficie d’un soutien considérable de la part des Libériens. Le Nigeria a assumé la majeure partie du fardeau financier et militaire de cette opération.

Sierra Leone

1997-1999 : Le conflit en Sierra Leone est lié à celui du Liberia, mais l’intervention menée par l’ECOMOG dans ce pays a eu moins de succès. La rébellion du Front révolutionnaire uni (Revolutionary United Front, RUF), tristement célèbre pour sa pratique de couper des mains, commence en 1991 avec le soutien de Charles Taylor. En 1997, un coup d’État porte au pouvoir des membres du RUF. Cette période est marquée par l’anarchie et le chaos. L’ECOMOG intervient, mais le RUF riposte en lançant l’opération « No Living Thing » [plus rien de vivant]. Il marche sur Freetown en 1999. Le bras armé de la CEDEAO réussit finalement à l’en chasser, mais ce sont les troupes britanniques, arrivées en 2000, qui infligent au RUF sa défaite finale.

AMISOM troops
AU-UN IST/Stuart Price
AMISOM troops in Somalia

Lesotho

1998 : Une mutinerie menée par la Force de défense du Lesotho éclate à la suite de troubles postélectoraux. La rébellion est finalement matée par les forces sud-africaines et botswanaises, mais l’intervention ne fait pas l’unanimité. L’Afrique du Sud affirme en effet que l’intervention est une mission de maintien de la paix de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC, selon le sigle anglais) alors que l’organe régional n’a pas encore accepté de propositions en lien avec les coups d’État dans son traité constitutif. Pretoria justifie l’intervention en disant que ses forces armées et celles d’autres pays voisins ont été invitées par le Premier ministre du Lesotho.

Somalie

2007 à aujourd’hui : La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) est une mission d’imposition de la paix. Elle a pour mandat de soutenir le gouvernement somalien dans sa lutte contre les combattants d’Al-Shabab et d’entraîner les forces de sécurité somaliennes. L’AMISOM a réussi à réduire la superficie du territoire contrôlé par Al-Shabab, mais la victoire est loin d’être acquise. La mission, qui compte actuellement 22 000 soldats originaires du Burundi, de Djibouti, de l’Éthiopie, du Kenya et de l’Ouganda, est en sous-effectif et sous-équipée. Elle dépend par ailleurs du soutien logistique des Nations Unies et de la générosité des bailleurs de fonds internationaux, notamment pour le versement des salaires. Plusieurs pays ont ainsi menacé de se retirer à la suite des baisses de salaire imposées par l’Union européenne (UE).

Comores

2008 : Des soldats de l’Union africaine originaires de la Tanzanie et du Soudan font un assaut amphibie sur l’île comorienne d’Anjouan pour y renverser un chef militaire rebelle. Ce dernier a en effet refusé d’organiser un scrutin sous l’égide de l’UA et s’est lui-même déclaré président d’Anjouan, au mépris du gouvernement fédéral. Des élections sont finalement organisées à la fin de l’année. Les contingents de l’UA se retirent en dépit des demandes du gouvernement central, qui souhaite bénéficier plus longtemps de leur présence stabilisatrice.

Guinée-Bissau

2012-2017 : La mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau, connue sous le nom d’ECOMIB, est déployée à la suite d’un coup militaire. Elle a pour mandat de contribuer à l’établissement d’un gouvernement de transition civil dans ce pays notoirement instable. Des élections ont finalement lieu en 2014. La mission de l’ECOMIB, forte de 650 soldats originaires du Burkina Faso, du Niger, du Nigeria, du Sénégal et du Togo, devait initialement prendre fin en juin 2016, mais elle est prolongée pour permettre l’entraînement de l’armée bissau-guinéenne.

Mali

2013 : Après l’échec de plusieurs initiatives de paix, la CEDEAO déploie la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) pour aider le gouvernement à faire face aux menaces des rebelles séparatistes et des combattants islamiques dans le nord du pays. L’opération n’est pas un succès et les Nations Unies se montrent tièdes face à l’intervention. La MISMA ne réussit pas à atteindre les effectifs requis et ses opérations sont paralysées par des problèmes logistiques. L’intervention des forces françaises et tchadiennes marque un réel tournant dans le conflit. La MISMA est par la suite intégrée à une opération onusienne beaucoup plus vaste et mieux dotée.

Bassin du Lac Tchad

2015 à aujourd’hui : La Force multinationale conjointe (Multinational Joint Task Force, MNJTF) a été créée par les pays du bassin du Lac Tchad – le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad – pour lutter contre Boko Haram. Elle gagne progressivement du terrain en dépit de difficultés logistiques, techniques et financières.

oa/ag-gd/amz

PHOTO DE COUVERTURE : En Gambie, les partisans de l’opposition célèbrent la victoire électorale. CRÉDIT : Steve Cockburn/Amnesty International

*Traduction publiée le 23 janvier 2017

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