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Les éleveurs kenyans menacés par la sécheresse

Drought-ravaged rangeland in Turkana County, Kenya Fredrik Lerneryd/IRIN

Même dans les périodes les plus favorables, les conditions de vie au Turkana sont précaires. Près de la totalité des 1,3 million d’habitants de ce comté aride du nord-ouest du Kenya vivent dans une extrême pauvreté. Les taux de malnutrition y sont parmi les plus élevés du pays. La plupart des terres étant infertiles, la majorité de la population élève du bétail et parcourt de longues distances pour trouver de bons pâturages et de l’eau en quantité suffisante.

Actuellement, ces deux ressources se font désastreusement rares. La sécheresse, occasionnelle ou prolongée, fait partie du cycle pastoral ici, mais le Turkana et une bonne partie de l’Afrique de l’Est subissent depuis neuf mois l’un des pires épisodes de sécheresse jamais connus. En février, le gouvernement kenyan a déclaré l’état d’urgence nationale : 23 comtés sur 47 étaient touchés par la sécheresse et le nombre de personnes en insécurité alimentaire avait plus que doublé, passant de 1,3 million à 2,7 millions

 

Depuis, la situation s’est considérablement aggravée. Les « longues pluies » annuelles, qui tombent habituellement entre mars et mai, ont cessé plus tôt qu’à l’accoutumée, marquant la troisième saison des pluies consécutive à connaitre une pluviométrie faible ou insuffisante. En août, le nombre de Kenyans en insécurité alimentaire, c’est-à-dire n’ayant pas accès à assez de nourriture pour vivre sainement, était passé à 3,4 millions. Selon un appel éclair publié début septembre par OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, un demi-million de Kenyans se trouvent en phase d’« urgence humanitaire ».

Au Turkana, des taux de malnutrition aiguë globale « très sévères » (l’un des principaux indicateurs de crise humanitaire) de plus de 37 pour cent ont été enregistrés dans certains secteurs. C’est plus de deux fois le seuil d’urgence, qui est à 15 pour cent. Ces chiffres s’expliquent principalement par la hausse des prix des denrées alimentaires et par la pénurie de lait et de nourriture.

Mortalité animale élevée et raréfaction de la végétation

« Le Turkana est l’épicentre de la sécheresse », a commenté fin septembre le directeur du ministère de l’Économie pastorale du Turkana, Chris Ajele, à Lodwar, la capitale du comté. La sécheresse a « plongé certaines familles dans le dénuement. Au Turkana, l’économie repose sur le pastoralisme. C’est la vente et la consommation de bétail qui subvient aux besoins quotidiens de la population. » Dans les comtés arides comme le Turkana, la vente de bétail et de lait représente généralement environ 80 pour cent du revenu des foyers. Les bêtes sont aussi une importante réserve de richesse : de nombreux éleveurs ne possèdent qu’un tabouret en bois, un couteau et quelques ustensiles de cuisine, mais une centaine de chèvres et de moutons, valant chacun près de 60 dollars. Les chamelles, eux, valent dix fois plus.

« Nous avons perdu environ un demi-million de têtes de bétail [au Turkana], majoritairement des moutons et des chèvres, mais aussi des bovins et des chameaux », a précisé M. Ajele. Le bétail a aussi enregistré des taux de mortalité élevés dans les comtés de l’Isiolo, du Laikipia, du Marsabit, et du Samburu. Cette mortalité est principalement due au manque de fourrage. Or, selon un tableau de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la situation devrait s’aggraver dans les mois à venir : sur la carte du mois de novembre 2017, le pays est presque totalement rouge, couleur qui indique « un déficit de végétation extrême ». L’année dernière, les conditions fourragères étaient soit « normales », soit « très bonnes » dans une grande partie du pays.

Chart of forage coverage in Kenya
Food and Agriculture Organization
Forage conditions worsened dramatically in 2017

En outre, plus une sécheresse dure longtemps, plus l’herbe mangée par le bétail risque d’avoir du mal à se reconstituer, surtout en cas de surpâturage. Et les conditions fourragères sont étroitement liées à la malnutrition humaine. « Les sécheresses font partie de la vie des éleveurs, mais, avant, elles se produisaient une fois tous les dix ans, tandis que maintenant, à cause du changement climatique, les épisodes se rapprochent et deviennent imprévisibles », a dit Josephat Lotwel, chargé des mesures d’intervention contre la sécheresse au Turkana pour l’Autorité nationale de gestion des catastrophes. « Selon les prévisions, cette sécheresse va se poursuivre, la malnutrition va augmenter et les bêtes vont continuer à mourir. »

« Je vis comme un chien »

Tous les éleveurs rencontrés par IRIN au Turkana ont dit avoir perdu la majorité de leurs bêtes à cause de la sécheresse. « Deux cents de mes chèvres sont mortes », a dit Joseph Lopido sur un marché au bétail dans le village de Kerio. « Avant, j’étais un homme. Maintenant, je vis comme un chien, car je suis pauvre. » Selon lui, toute la population est touchée, car il est vraiment difficile de trouver assez à manger pour survivre. « Des membres de ma famille mangent des fruits sauvages pour survivre, et cela peut parfois entraîner des problèmes de santé. La seule chose qui nous aide, c’est la pluie. Lorsqu’il pleut, l’herbe pousse et les chèvres paissent. Comment peut-on survivre sans pluie ? »

M. Lopido s’était rendu au marché dans l’espoir de vendre ses deux dernières chèvres, mais les prix qui lui ont été proposés étaient si bas, qu’il a préféré les garder. D’après OCHA, les prix moyens du bétail au Kenya, « ont baissé de près de 40 pour cent, et la perte de revenus, associée à la hausse des prix des denrées alimentaires de base ont fortement réduit les termes de l’échange bétail/céréales ». Autrement dit, les chèvres, les moutons et les vaches valent beaucoup moins de maïs qu’avant.

Sur la route menant à Kerio, Ebei Lotubwa, éleveur de chameaux, tentait d’arrêter les voitures en agitant une bouteille d’huile de cuisson jaune dont la partie supérieure était coupée et qui lui servait de cruche. Il cherchait désespérément de l’eau. « C’est la pire des sécheresses. Il n’y a plus d’herbe. Il a plu le mois dernier, mais seulement quelques averses », a-t-il dit, expliquant que 16 de ses chameaux, qui sont pourtant des animaux connus pour leur capacité à survivre des mois sans boire, étaient morts durant cette sécheresse. « Nous devons parfois faire 30 kilomètres à pied pour trouver de l’eau pour nos bêtes. C’est pourquoi nous quémandons de l’eau aux voitures qui passent. Mais tout le monde ne s’arrête pas. »

« Lorsqu’il ne pleut pas, nos chameaux ne font pas de lait. »

Peter Okapelo, lui aussi éleveur, a dit avoir perdu 100 chèvres et moutons. Il ne lui en reste plus que 20. « La seule manière pour moi d’en avoir plus, c’est qu’ils se reproduisent. Mais si la sécheresse continue, les 20 qu’il me reste vont mourir aussi. Je ne sais pas ce que je ferai alors. » Interrogé sur l’avenir, M. Okapelo s’est montré peu optimiste : « Je pense que la sécheresse va mettre fin au pastoralisme. Toutes les bêtes meurent. »

Vulnérabilité face au changement climatique

En l’absence de sécheresses prolongées, le pastoralisme utilise généralement mieux les grands pâturages libres que d’autres systèmes agricoles et apporte une plus grande sécurité alimentaire. Le rendement par hectare est plus élevé que celui des ranchs, par exemple. Et si ce mode d’élevage est souvent considéré comme marginal, tant géographiquement qu’économiquement, l’Union africaine reconnaît que « les éleveurs pastoraux fournissent une quantité considérable de bétail au marché national, régional et international et contribuent de manière cruciale, bien que souvent sous-évaluée, aux économies nationales et régionales en Afrique ».

Les éleveurs pastoraux ont longtemps été aux prises avec de grandes variations de températures et de précipitations et en ont même tiré parti. Mais ils sont extrêmement vulnérables aux bouleversements météorologiques engendrés par le changement climatique, car ils y sont particulièrement exposés et sensibles et ont une capacité d’adaptation limitée. Comme l’explique un article de 2014 sur le pastoralisme et l’adaptation au changement climatique dans le nord du Kenya, ce changement se manifeste, en Afrique de l’Est, par « une hausse des températures et de la variabilité des précipitations […], qui augmente les probabilités de sécheresses plus fréquentes et plus longues », ce qui touche particulièrement les éleveurs kenyans. Selon une étude publiée en 2007 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Kenya se réchauffe en effet 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale. Les auteurs de l’article ajoutent que les éleveurs pastoraux kenyans sont particulièrement « sensibles », car leur bétail « dépend de la possibilité d’accéder à de l’eau et à des pâturages, ressources durement éprouvées par le changement climatique ». L’article explique également que si « les éleveurs pastoraux ont enrichi leurs connaissances et compétences en matière d’adaptation depuis des siècles, leur marginalisation socio-économique et politique a limité leurs possibilités d’adaptation et leurs atouts économiques. »

Water point in Turkana County, Kenya
Fredrik Lerneryd/IRIN
Without water points like this, many more animals would die

Selon Johnstone Moru, conseiller du gouvernement du Turkana sur le changement climatique pour le compte du cabinet de conseil allemand Ambero, « le gouvernement colonial et ceux qui se sont succédés par la suite [au Kenya] ne s’étaient pas dotés d’une stratégie digne de ce nom en matière de développement des terres arides et semi-arides, et notamment de pastoralisme. » L’International Livestock Research Institute résume bien les difficultés chroniques des habitants de ces terres : « L’absence d’autres moyens de subsistance, l’insuffisance de solutions de gestion des risques offrant un filet de sécurité en cas de choc, la raréfaction des pâturages et la multiplication des conflits violents rendent ces populations encore plus vulnérables aux différents risques auxquelles elles sont confrontées. »

Quelles solutions ?

Cela ne signifie pas que rien n’a été fait ou ne pourrait être fait pour faire du pastoralisme au Kenya une activité plus soutenable et plus résiliente au changement climatique. Plusieurs exemples d’investissement ont été mis en œuvre récemment : des transferts en espèces, un régime d’assurance indiciel, un programme du gouvernement qui achète du bétail en période de sécheresse pour que les éleveurs bénéficient à la fois d’un apport monétaire salutaire et de la viande des bêtes abattues, et des initiatives promouvant l’agropastoralisme et la transformation des sous-produits de l’élevage en vue de diversifier les sources de revenus.

Mais ces initiatives ne sont pas toutes parfaites : les magasins d’aliments pour animaux où les éleveurs sont censés dépenser leurs indemnisations pour assurer la survie de leurs bêtes sont souvent éloignés ; le programme de rachat du gouvernement offre généralement un prix plus bas que celui du marché ; les terres utilisées pour l’agriculture ont tendance à se trouver à proximité des rivières et donc à bloquer les itinéraires de migration ; et une tannerie créée pour augmenter le revenu des éleveurs grâce à la production et à la vente de produits en cuir, ouverte en grande pompe en avril près de Lodwar, était à l’arrêt lors de la visite d’IRIN en septembre et aucune date de reprise de son activité ne semblait être clairement définie.

L’adoption d’une nouvelle constitution au Kenya en 2010 a déclenché un processus de décentralisation politique et conduit à la création des gouvernements de comté, dans le but d’améliorer les services en les adaptant aux besoins locaux. Le plan d’investissement du Comté du Turkana pour 2016-2020 expose 16 axes de progrès pouvant avoir des retombées rapides pour le secteur de l’élevage, comme l’exportation de bétail vivant, la création de fermes d’engraissement et d’usines de transformation de la viande, la construction de nouvelles tanneries et la mise sur pied de projets de biogaz. Mais les éleveurs interrogés par IRIN semblaient loin d’être impressionnés. « La décentralisation n’a rien changé à mes yeux », a dit M. Lopido. « Le gouvernement local a construit des bâtiments, mais nos estomacs sont vides. »

am/ag-ld

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