Les quelque 150 colonies israéliennes implantées en Cisjordanie constituent peut-être le principal obstacle aux négociations de paix entre les dirigeants israéliens et palestiniens. Ces colonies, illégales aux yeux des Nations Unies, créent une fracture entre Israël et ses alliés : cette année, le président pro-israélien du Comité des Affaires étrangères du parlement britannique a déclaré que la décision de créer une nouvelle colonie était « la plus scandaleuse qu’il ait jamais entendue au cours de ma carrière politique ».
Malgré le gel officieux des projets d’implantation, le Comité de planification et de construction de Jérusalem a accepté de délivrer des permis pour la construction d’environ 400 logements sur des terres palestiniennes à Jérusalem à la fin du mois de décembre. Il a également donné son feu vert à un projet de construction de 1 850 logements supplémentaires dans un quartier à cheval entre Israël et la Cisjordanie.
Si les implantations sont souvent perçues comme étant associées à une quête religieuse et à la possibilité pour les Juifs de conquérir de nouveaux territoires, dans les faits, la majorité des colons s’y installent pour des raisons économiques – encouragés par les incitations mises en place par le gouvernement. Mais une fois installées dans une colonie, certaines personnes se radicalisent.
« Qualité de vie »
C’est un jour de semaine à Ariel, une ville de Cisjordanie. Des étudiants se retrouvent sur le campus le temps d’une pause cigarette. Deux femmes promenant un chien discutent dans un hébreu à l’accent russe. Rien ne semble distinguer Ariel des autres villes israéliennes.
Mais si cette ville, située à environ 16 km de la Ligne verte qui sépare Israël de la Cisjordanie occupée et abritant 19 000 habitants, n’est pas connue pour être imprégnée d’une forte idéologie ou pour de violentes attaques lancées sur ses voisins palestiniens, elle est bien une colonie.
Bon nombre d’habitants d’Ariel mènent le même style de vie que les banlieusards israéliens. Une autoroute relie Ariel à la ville de Tel-Aviv, à 40 km, et des bus desservent régulièrement la capitale. Quelques bus desservent également Jérusalem, à 50 km.
« Les gens s’installent ici pour différentes raisons », a dit Avi Zimmerman, le responsable du Fonds de développement et le porte-parole de fait d’Ariel. Ce Juif pratiquant qui cherchait une communauté hétérogène s’est installé à Ariel il y a huit ans.
« Ici, vous trouverez des gens qui sont venus pour la qualité de vie ou pour échapper à l’humidité de Tel-Aviv ».
Mais pour beaucoup d’habitants, les avantages financiers ont été décisifs. Les prix de l’immobilier ont augmenté rapidement en Israël au cours de ces sept dernières années, et le coût élevé de la vie et des denrées alimentaires a entraîné des manifestations de masse au cours de l’été 2011. Le prix moyen des appartements atteint 1 098 774 ILS (280 537 dollars) à Ariel, ce qui est sans comparaison avec le prix moyen des appartements à Tel-Aviv qui est de 2 363 268 ILS (603 386 dollars).
Mme Amit, 34 ans, est mère d’un enfant. Elle considère la colonie – même si elle ne la qualifie pas de colonie – où elle vit, à 5 km de la Ligne verte, comme une banlieue de Jérusalem. Elle et son mari vivaient dans la capitale, mais ils se sont lancés à la recherche du logement qu’elle voulait « une maison, un jardin et une place de parking … et les parcs verdoyants et la proximité avec Jérusalem étaient très importants ». Elle travaille à Jérusalem et son mari à Tel-Aviv : « Je ne la vois pas comme une terre contestée », insiste-t-elle, avant d’ajouter « pour moi, c’est la banlieue d’une grande ville et le soir, je rentre ».
Incitations gouvernementales
D’après le conseil Yesha, une organisation qui promeut la colonisation en Cisjordanie, la région comptait 382 031 colons juifs, sans compter Jérusalem Est - considérée par Israël comme non occupée - au dernier recensement de juin 2014. Cette migration au-delà de la Ligne verte a été encouragée par les gouvernements israéliens consécutifs.
La majorité de l’aide de l’Etat est allouée aux 75 pour cent environ de colonies bénéficiant du statut de « zones de priorité nationale » ainsi qu’autres zones perçues comme nécessitant un coup de pouce – les communautés proches des frontières avec le Liban ou Gaza, ou les communautés périphériques ou sous-développées.
Les zones de priorité nationale bénéficient de prix avantageux sur les terrains et de subventions pour les prêts immobiliers, et les zones reconnues comme zones de priorité nationale par le ministère de la Construction et du Logement reçoivent des investissements publics pour leurs infrastructures immobilières. Les zones qui ont la plus haute priorité bénéficient de réductions sur le prix des terrains et les dépenses de développement.
Les investissements dans les infrastructures des colonies, comme les routes, sont également essentiels, et les enseignants qui vivent dans les colonies reçoivent une aide généreuse, notamment une hausse de salaire de 15 à 20 pour cent, une prise en charge des frais de transport (à hauteur de 75 pour cent) et des frais de location immobilière (à hauteur de 80 pour cent), indique l’organisation non gouvernementale (ONG) israélienne B’tselem. Les colonies classées zones de priorité nationale bénéficient d’investissements additionnels pour l’éducation, comme une augmentation des heures d’enseignement et des fonds supplémentaires.
Les avantages directs dont bénéficiaient les colons ont, pour la plupart, étaient supprimés : l’allègement de l’impôt sur le revenu a été levé en 2003, ce qui a permis à bon nombre d’habitants des colonies de dire que les implantations devraient être considérées comme toutes les autres villes israéliennes.
Prix moyen des appartements, 2013 |
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Tel-Aviv – 603 000 dollars |
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Jérusalem – 433 000 dollars |
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Ariel – 280 000 dollars |
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Beitar Illit – 262 000 dollars |
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Maale Adimum – 323 000 dollars |
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Moodin Illit – 261 000 dollars |
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Source : ministère de la Construction et du Logement |
Avi Zimmerman, le responsable du Fonds de développement de la ville d’Ariel et le porte-parole de la ville, réfute l’idée selon laquelle des incitations économiques injustes attirent les colons sur des terres palestiniennes. « Les gens parlent beaucoup des mesures d’incitation à cause de ce qu’il se passait avant». Aujourd’hui, « il n’y a pas d’incitation directe – il n’y a pas de prêt bancaire, [par exemple] ».
Natan Sachs, un chercheur du Centre Saban pour la politique au Moyen-Orient de la Brookings Institution et un spécialiste de la politique israélienne, affirme qu’il n’y a « pas d’incitation directe au sens où il n’y a pas de subvention ».
Mais « il existe de nombreuses manières » de promouvoir la colonisation, « en particulier, les prix des terrains et les permis … il n’y a pas d’incitation manifeste, mais il y a toujours des incitations très élevées en termes réels ».
Radicalisation
L’amélioration de la « qualité de vie » des colons représente un changement majeur par rapport aux origines du mouvement des colons à la fin des années 1960 quand, après sa victoire contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie en 1967, Israël a commencé à envoyer ses citoyens dans la région de la Judée et de la Samarie, les noms bibliques de la Cisjordanie occupée.
Bon nombre des premiers colons voulaient reprendre ce qu’ils considéraient être l’Israël biblique, comme l’explique Elie Pierpz, le directeur des affaires extérieures du Conseil Yesha.
« Le religieux était un moteur important de la croissance dans les années 1970 et 1980. Il y a une capacité idéologique – il s’agit de la dernière frontière sioniste ; il y a cent ans, c’était Tel-Aviv, il y a 60 ans, c’était le Néguev [désert au sud d’Israël] et … [le nord du pays], et depuis 47 ans, c’est la Judée et la Samarie ».
Le profil des colons économiques est diversifié. Ainsi, la ville d’Ariel abrite un mélange d’immigrants issus de l’ancienne Union soviétique – des Juifs laïcs et pratiquants, mais qui ne sont pas ultra-orthodoxes.
Dror Etkes, un spécialiste de la question des implantations, soutient que la différence de terminologie entre les colons qui s’installent dans les colonies pour des raisons économiques ou pour des raisons de qualité de vie et leurs équivalents idéologiques ne peut pas vraiment se justifier – tous participent à un projet plus large d’occupation, que cela leur plaise ou non.
« Quand l’idéologie va de pair avec l’économie, c’est toujours mieux, et l’idéologie finit par coïncider avec l’intérêt personnel. Les gens se racontent des histoires … c’est très facile d’être un colon. Ce que l’on ne veut pas voir, on le voit pas ».
Et pourtant, le fait de vivre dans les colonies, y compris les implantations principalement habitées par des migrants économiques, peut entraîner une évolution vers la droite de l’opinion publique.
M. Etkes note que les dernières attaques violentes contre les Palestiniens étaient le fait de colons installés dans ces implantations qualifiées de « non idéologiques ». Le mois dernier, une école bilingue hébreu-arabe de Jérusalem a été incendiée. Deux des trois suspects, qui ont confessé leur crime, étaient originaires de Beitar Illit, une colonie qui n’était jusqu’alors pas connue pour ses militants d’extrême droite.
Et si les migrants économiques se considèrent comme non politisés ou s’ils se classent à gauche - Noa dit qu’elle a des opinions de « centre-gauche, parfois de gauche » - le vote des colons installés dans les implantations peut évoluer en fonction de leurs intérêts personnels.
Neve Gordon, un professeur de sciences politiques et gouvernementales à l’université Ben Gourion du Néguev et l’auteur du livre ‘Israel’s Occupation’, souligne que les partis qui représentent ce secteur ont changé de position. « Au début des années 1990, les partis orthodoxes étaient favorables à un compromis – aujourd’hui, ils le sont beaucoup moins, car une large partie de leurs électeurs vit dans le territoire occupé : l’environnement fait évoluer les consciences ».
Obstacle à la paix
Les colons qui s’installent dans les implantations pour des questions de qualité de vie sont entrés dans la conscience collective après la signature de l’accord d’Oslo en 1993 par les dirigeants israéliens et palestiniens et des discussions sérieuses concernant des échanges de territoire. On a longtemps cru que les grandes implantations, qu’elles soient proches de Jérusalem comme Ma’ale Adumim, Beitar Ilit, Modi’in Ilit, ou qu’elles soient trop importantes pour être déplacées ainsi que les implantations stratégiques comme Ariel seraient incluses dans une solution prévoyant la création de deux Etats.
Mais des enquêtes continues ont montré qu’un pourcentage important des colons non idéologiques serait prêt à quitter leur domicile et à s’installer à l’intérieur de la Ligne verte, contre une somme d’argent.
Mais en ce moment, a dit M. Sachs, « il y a une incitation perverse à ne pas partir ». L’opinion israélienne considère que le gouvernement a raté le désengagement de Gaza en 2005 : des colons contraints de quitter leur domicile se sont plaints à la télévision de l’insuffisance des compensations et de l’incapacité du gouvernement à les reloger dans des conditions décentes.
Selon M. Sachs, il est donc normal que cela ait éveillé la méfiance des personnes qui étaient prêtes à quitter la Cisjordanie. Un groupe fondé par un ancien dirigeant du Shin Bet, baptisé ‘Blue Light Future’, recommande une évacuation unilatérale et volontaire des colons contre une contrepartie financière.
Mme Amit a acheté sa maison à l’époque du retrait de Gaza. Elle a dit : « nous envisagions » la possibilité d’une évacuation. Sa ville a été évoquée à de multiples reprises comme étant suffisamment proche de Jérusalem pour être incluse dans Israël, et cela a été un élément déterminant.
« S’il y a une compensation [prévue par l’accord de paix], je ne nous vois pas dire ‘nous restons avec un gouvernement palestinien’ ».
Mais il y a également peu de chances pour que les grandes implantations comme Ariel soient déplacées, même en cas de signature d’un accord de paix avec les Palestiniens. D’une certaine façon, elles sont tout simplement trop grandes pour être déplacées.
Pour M. Zimmerman, qui vit à Ariel depuis huit ans, l’idée d’une indemnité n’est pas pertinente, car il ne voit pas le gouvernement israélien tenter une évacuation de la ville d’Ariel. « C’est le gouvernement élu qui va s’en occuper … ils font mener une campagne politique sur ce sujet et le consensus au sein de la classe politique israélienne est qu’Ariel fait partie d’Israël, point ».
C’est peut-être cette certitude qui a provoqué l’augmentation des prix de l’immobilier à Ariel : entre 2007 et 2013, les prix de l’ancien et du neuf ont augmenté de 104 pour cent. D’autres implantations ont constaté des augmentations, y compris Beitar Ilit (80 pour cent), la colonie majoritairement laïque d’Efrat (77 pour cent) et Oranit (65 pour cent). Si les prix de l’immobilier en Israël ont toujours dépassé ceux des colonies, la hausse des prix accroit la pression pour trouver de nouvelles colonies.
L’idée d’un nouveau projet de colonies plait à M. Pierpz. « Le fait que les communautés soient extrêmement soudées (où l’autostop est un mode de vie, les portes sont rarement fermées à clef, les jeunes enfants jouent en sécurité dans des rues non surveillées le soir) explique en partie que les gens souhaitent rester et voir de nombreuses générations vivre ici ».
Les responsables palestiniens ont dit qu’ils prendront en compte les motivations des colons lors des négociations sur le tracé des frontières du futur Etat palestinien. Au bout du compte, ils considèrent tous que les colonies empiètent sur le territoire palestinien, que les colons soient là pour prendre l’air et trouver des logements à un prix abordable ou par ferveur religieuse.
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