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Ouvrir la porte pour que la peur s’en aille

La maison de Pauline Ndongo est grande ouverte pour permettre à tous ceux qui en ont besoin d’y entrer, pour échanger leurs expériences ou partager leurs craintes, une attitude que la jeune femme juge nécessaire pour supporter la vie au quotidien avec le VIH. «Cette maladie ne vous quitte jamais la tête», explique Mme Ndongo. «On oublie quelque temps et puis ça revient, c’est comme une plaie ouverte : il faut être fort mentalement et pour ça, il faut parler. Le pire ennemi, c’est le silence». Pour briser les peurs et soutenir les personnes qui vivent avec le VIH et le sida, Pauline Ndongo dirige bénévolement le bureau provincial de l’Association des frères et sœurs unis, Afsu, l’une des principales associations de personnes vivant avec le virus au Cameroun. A Maroua, une ville conservatrice de l’extrême nord du pays, évoquer les ravages de la pandémie ou aborder les difficultés quotidiennes des patients, souvent rejetés par leur entourage, relève de l’exploit, et ce malgré la progression du virus : «Les gens préfèrent se taire», constate Pauline Ndongo. Elle ne fait pas exception à la règle : dès l’annonce de la séropositivité de son mari, puis de la sienne, en 1995, cette femme, alors âgée d’une trentaine d’années, a attendu la mort. Puis elle s’est rendu compte qu’elle avait mieux à faire. Il y a dix ans, les médecins de Maroua étaient aussi démunis que leurs patients séropositifs. Celui qui s’occupait de son mari n’a pu que lui conseiller «d’attendre son jour», raconte-t-elle. Le couple n’ayant pas les moyens de se procurer des traitements antirétroviraux (ARV) qui permettent de prolonger l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH/SIDA, le mari de Pauline Ndongo suit les conseils du médecin. «Je le voyais souffrir et je ne m’occupais que de lui, je ne pensais même pas à ma santé», dit-elle. Ce n’est qu’en octobre 2004 que le Cameroun a décidé de baisser de manière significative le prix des ARV, qui est ainsi passé de 36 dollars à huit dollars par mois grâce à un financement de 14 millions de dollars du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Quand son époux meurt, deux ans après l’annonce de sa séropositivité, Pauline Ndongo se prépare, elle aussi, à partir. «C’est normal, tu n’as plus de mari, plus de soutien, tu n’attends que ça», explique-t-elle. Une vie de militante, pour ses enfants Ce qui fait tenir «la Madame Sida de Maroua», comme l’appelle affectueusement son entourage, ce sont ses six enfants, «tous en bonne santé… Il fallait bien que quelqu’un s’en occupe !». Elle est fière de leur tolérance, de leur compréhension de la maladie et s’attendrit quand ils lui rappellent de prendre ses médicaments. «Tous les soirs avant de me coucher, ils viennent me voir pour savoir comment ça va, ils me demandent si je souffre… des petites attentions comme ça». Forte des acquis familiaux, elle s’engage en 2002 dans la vie associative et lutte contre la discrimination, le droit à la parole, au partage et à l’écoute dans une ville où parler du virus est toujours tabou. «Un jour, des malades sont venus témoigner et j’ai réalisé que ces gens là étaient comme moi : ils avaient le virus, mais ils étaient bien portants. Alors, je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose, surtout ici, et je me suis lancée», détaille-t-elle. Elle ne s’est plus arrêtée, car à Maroua, «dans chaque famille, il y a au moins une personne qui a le VIH». L’Afsu a ainsi identifié environ 3 000 enfants ayant perdu leurs parents infectés au VIH. Ils sont désormais pris en charge par l’organisation non-gouvernementale internationale Care. Selon les autorités médicales locales, le centre de prévention et de dépistage volontaire de l’hôpital provincial de la ville a estimé le taux de séroprévalence à plus de 20 pour cent en 2004 et 2005, bien au-dessus de la moyenne nationale, de l’ordre de 5,5 pour cent en 2004.
Map of Cameroon
La stigmatisation est forte dans l’extrême nord du Cameroun, une région où le sida est encore considéré comme un ‘mauvais sort’
Mais on ne parle pas du VIH/SIDA à Maroua où, malgré les campagnes de sensibilisation, les mentalités restent très conservatrices. «Les gens disent que c’est un mauvais sort, on t’accuse de tout, on dit que tu l’as bien cherché !» Malgré son engagement, elle a du mal à supporter les agressions verbales, les méchancetés au quotidien de la part des voisins, surtout quand elles s’excercent à l’encontre de ses enfants. Une maison ouverte sur l’espoir «Les enfants en font les frais à l’école et dans le quartier. Quand ils se bagarrent, il y en a toujours qui disent : toi, ton père est mort du sida et ta mère est malade», raconte Pauline Ndongo, agacée. «Je leur réponds : dites à ces enfants de conseiller à leurs parents de faire le test ! Est-ce qu’ils connaissent leur statut sérologique eux ? Sûrement pas !» Par ses témoignages en public et l’accompagnement des malades, elle combat, à sa façon, la stigmatisation des personnes qui vivent avec le virus. «Je leur explique tout : comment ça se passe pour la prise des médicaments, je les oriente vers les personnes et puis j’explique aux proches de ne pas les rejeter». Grâce à sa pension de veuve, Pauline Ndongo est à l’abri du besoin, ce qui lui permet de se consacrer à l’association, installée au cœur de l’hôpital provincial. Les 65 membres de l’Afsu se rencontrent aussi chez elle, où elle reçoit des visites, deux à trois fois par jour. «La maison est ouverte pour tout le monde, c’est normal !», s’exclame-t-elle, tout en nuançant : «Quand [les gens] viennent, ils regardent toujours à droite et à gauche pour voir s’il y a personne dans la rue, parce que tout le monde sait que je suis ‘Madame Sida’». Malgré sa grande capacité d’écoute et les huit conseillers bénévoles qui travaillent sur le terrain, Pauline Ndongo admet qu’il est difficile d’amener les personnes séropositives à démarrer un traitement ARV. «Dans l’extrême-nord, on est pauvre alors que la maladie coûte cher. Comment fait la personne qui n’a pas d’argent ? La majorité ne peut pas [se soigner]», constate-t-elle. Selon les responsables du centre de dépistage volontaire de la ville, 1 100 personnes reçoivent un traitement ARV à Maroua. Pauline Ndongo reconnaît qu’environ 80 pour cent des gens préfèrent se rendre chez les tradipraticiens, dont les tarifs ne sont pas toujours plus bas que ceux de la médecine moderne. «La plupart du temps, ils commencent avec le double traitement : des ARV et des médicaments indigènes. Quand ça va mieux, ils arrêtent parce que ça coûte trop cher. Et après, ils sont dans un état très critique», raconte-t-elle. Malgré la raréfaction des fonds publics, qui se sont réduits d’un tiers depuis 2002, l’Afsu, peut continuer à sensibiliser les habitants de Maroua sur les meilleurs comportements à adopter face à l’épidémie, grâce au soutien de Care. «On n’a pas besoin de beaucoup pour faire notre travail. Mais on pourrait faire plus… si au moins on avait des préservatifs», explique Pauline Ndongo. La lutte ne va pas s’arrêter pour si peu. «Je continuerai tant que mon corps le supportera, car nous avons déjà de grandes victoires : il y a des gens qui vivent normalement, qui ont repris l’école ou travaillent et d’autres qui ont même fait des enfants. Ca donne de l’espoir».

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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