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Essai clinique du Tenofovir : une question d’éthique

Le gouvernement du Cameroun pourrait suspendre l’essai clinique d’un médicament susceptible de prévenir l’infection au VIH s’il s’avère que les principes éthiques ne sont pas respectés, comme l’affirment des activistes de la lutte contre le sida. Le Réseau camerounais Ethique, droit et sida (REDS) et l’organisation Act Up-Paris dénoncent le peu d’information donnée aux 400 volontaires sur les risques encourus, ainsi que l’absence d’une prise en charge thérapeutique gratuite en cas d’infection par le VIH au cours de l’essai. Le Tenofovir, un antirétroviral important dans les traitements qui soulagent les personnes vivant avec le sida, fait actuellement l’objet d’essais cliniques aux Etats-Unis, en Thailande, au Botswana, au Ghana et au Nigeria, financés à hauteur de 6,5 millions de dollars par la Fondation Bill et Melinda Gates. Au Cameroun, cet essai est mené depuis septembre sur un groupe de 400 travailleuses du sexe non infectées par le VIH. Un autre essai est prévu sur des hétérosexuels au Malawi. Au Cambodge, où le Tenofovir devait également être testé, la controverse autour de la charte éthique a poussé le ministre de la Santé à annuler l’essai. Au Cameroun, un audit du projet est en cours à Douala, la capitale économique du pays, pour vérifier le strict respect des principes contenus dans le protocole d’expérimentation, selon un communiqué du ministère de la Santé, rendu public lundi. “Le rapport de la mission déterminera la décision des autorités quant à la poursuite ou l’interruption de l’expérimentation”, affirme le communiqué. REDS et Act Up-Paris exigent, eux, la suspension immédiate de l’essai sur le Tenofovir. Selon ces ONG, les conditions dans lesquelles cet essai est mené piétinent les règles éthiques en usage dans le milieu de la recherche biomédicale internationale. “C’est un essai certes très prometteur mais nous contestons la manière dont il est conduit dans les pays du sud. Il ne répond pas aux principes éthiques élémentaires”, a dit à PlusNews Fabrice Pilorgé, qui coordonne la commission traitement et recherche d’Act Up. “La sensibilisation aux modes de prévention doit être renforcée et la prise en charge thérapeutique et psychosociale doit être assurée par les promoteurs de l’essai. C’est un minimum qui est respecté dans tous les pays du nord”, a dit Pilorgé. Le Tenofovir est commercialisé depuis trois ans sous le nom de Viread par le laboratoire américain Gilead. Ce dernier a confié à l’organisation américaine Family Health International (FHI) le soin de conduire l’essai sur ses éventuelles propriétés prophylactiques pour prévenir l’infection à VIH. Si l’essai est concluant, Gilead s’est engagé à fournir le Tenofovir à prix coûtant aux pays à faibles revenus. Des examens médicaux gratuits pour appâter les volontaires Au Cameroun, seuls les examens gynécologiques et médicaux, ainsi que les tests VIH et de grossesse que les prostituées doivent passer tous les mois, sont pris en charge par le projet, géré sur place par Care and Health Programme (CHP), une ONG locale trés active dans la prévention contre le VIH/SIDA. Selon FHI, chaque prostituée bénéficie d’une surveillance médicale gratuite d’une valeur de 50 à 60 dollars par mois et d’un remboursement de leur frais de transport, soit environ cinq dollars par mois, l’équivalent de deux passes avec leurs clients. “Ceux ou celles qui auraient des problèmes médicaux liés à leur participation à l’essai recevront un traitement gratuit”, affirme un document de FHI, daté d’octobre dernier et transmis à PlusNews. Faux, répond Calice Talom, le président de REDS. “Ces chercheurs sont des aventuriers”, a-t-il dit à Eric Colomer, auteur d’une enquête diffusée mi-janvier par la télévision française France 2. “On se sert des citoyens en leur faisant miroiter des examens médicaux gratuits”, a-t-il poursuivi. Dans le tout récent bâtiment construit pour le projet dans une banlieue populaire de Douala, seuls trois médecins et une infirmière accueillent les 400 personnes qui, régulièrement, viennent consulter et s’approvisionner en préservatifs. Bien que la plupart des prostituées sont illetrées, les informations relatives à leur adhésion à l'essai et aux conditions de son déroulement leur ont été fournies en anglais, selon Calice Talom, le responsable de REDS à Douala. FHI a néanmoins tenu à préciser que les documents de consentement volontaire, qui doivent être signés par les bénévoles avant qu’elles ne s’engagent à participer à l’essai, sont désormais disponibles en français, comme l’attestent les copies remises à PlusNews. Une centaine de préservatifs (masculins) est offerte chaque mois à chaque volontaire et elles peuvent se fournir régulièrement auprès de l’ONG, à condition de se rendre au centre d’essai. “Il y a un évident conflit d’intérêt entre faire de la prévention et mener un essai pour un médicament préventif”, a expliqué Fabrice Pilorgé. “L’essai ne peut fonctionner que si les filles sont exposées et s’infectent.” Après les premiers essais encourageants sur des singes, Gilead a souhaité mener un essai randomisé Tenofovir contre placebo : il s’agit de comparer les résultats des deux groupes, l’un recevant effectivement la molécule, l’autre un comprimé ne contenant pas de principe actif. Aucune d’entre elles ne sait quel comprimé elle prend, mais toutes ont été recrutées entre juillet et décembre 2004 sur la base de leur exposition au VIH et des risques importants d’infection qu’elles courent dans l’exercice de leur activité.
Map of Cameroon
Le taux d’infection au VIH parmi les prostituées au Cameroun s’élevait à 34 pour cent à la fin de la décennie 90, contre un taux de prévalence moyen de sept pour cent fin 2003, selon l’Onusida. Désormais, les associations de lutte contre le sida craignent que ces femmes ne prennent encore plus de risques, se croyant protégées par le Tenofovir. Des risques accrus d’infection “Une amie qui a accepté d’être dans l’essai m’a dit qu’elle était vaccinée, qu’elle ne pourra plus attraper le sida”, a confié à France 2 Anne, une jeune travailleuse du sexe occasionnelle qui a refusé, sur les conseils de son médecin, de participer à l’essai. La branche suisse de l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) a dit à PlusNews que des personnes participant à l’essai et infectées par le VIH étaient actuellement prises en charge par leur centre de santé de Douala. “Ces filles ont atterri dans notre centre de santé parce qu’il n’y aucune prise en charge prévue par le laboratoire au cours de l’essai”, a expliqué à PlusNews Aymeric Peguillan, porte-parole de MSF-S à Genève. “On ne se substitue pas au ministère de la Santé, on essaye juste de prendre en charge les patients dans la mesure de nos capacités”, a-t-il dit, ajoutant que MSF-S prend déjà quelque 500 personnes en charge à Douala. Selon Laurence Gaubert, la chef de mission interrogée par France 2 à Douala, MSF-S a demandé à ce que ces personnes infectées lui soient référées après s’être aperçu qu’aucune prise en charge n’était prévue par le protocole d’expérimentation. Ce n’est pas l’avis du professeur Anderson Sama Do, le coordinateur du programme Ténofovir au Cameroun qui devrait présider la commission de vérification qui va enquêter sur l'essai Ténofovir. “Nous prenons en charge les séroconvertis qui sont volontairement entrés dans l’étude”, a-t-il dit à PlusNews. “Nous sommes dans les règles, le protocole a été bien établi et approuvé par notre Comité national d’éthique.” Le Comité national d’éthique a été créé en 1987 au Cameroun mais il possède peu de moyens et n’a pas la capacité d’agir dans un pays particulièrement permissif en ce qui concerne ce type d’essais cliniques. Selon le professeur Sama Do, trois femmes ont été infectées par le VIH au cours de l’essai, qui a démarré, pour les premières recrutées, en septembre 2004. “Nous avons des centres agréés, les personnes y sont référées et le projet et FHI prennent tous les frais en charge”, a-t-il affirmé. Pourtant, dans le formulaire de consentement signé par les travailleuses du sexe et lu par PlusNews, FHI mentionne : “En cas d’infection (…) nous ne procurons pas de traitement contre le sida. Nous pourrons vous aiguiller vers des cliniques où vous devrez payer.” Malgré une baisse significative des prix des antirétroviraux, décidée en octobre, le traitement, de l'ordre de huit dollars par mois, demeure hors de portée des citoyens camerounais -- 51 pour cent de la population au Cameroun vivent avec moins de deux dollars par jour, selon les Nations Unies. Pourtant, selon Jean-François Delfraissy, le responsable des essais thérapeutiques sida dans le monde pour l’Agence française de la recherche sur le sida, tout essai mené par l’ANRS dans les pays du sud utilise une charte éthique, qui comprend une prise en charge à long terme des personnes infectées et quelques fois de leur famille. Les activistes camerounais affirment que 50 essais clandestins sur des médicaments contre le VIH/SIDA sont menés chaque année au Cameroun, qui présente la particularité de rassembler tous les sous-types du VIH. Sans autorisation des autorités, des laboratoires étrangers expérimenteraient des protocoles thérapeutiques sur des personnes très exposées au VIH, ont-ils dit. Cela représenterait, selon eux, 17 pour cent de l’ensemble des essais illégaux menés tous les ans dans ce pays d’Afrique centrale, dépourvu d’un cadre juridique en matière de recherche biomédicale. Environ 40 pour cent des essais médicaux au Cameroun seraient conduits de manière illégale.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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