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Les passeurs rendent la vie dure aux migrants africains

Les profondes inégalités de ressources de part et d’autre de la frontière invisible entre le pays arabe le plus riche et le plus pauvre – l’Arabie Saoudite et le Yémen – ont imprimé leur marque sur la petite ville d’Haradh au nord-ouest du Yémen, où les agences humanitaires s’efforcent tant bien que mal d’aider un nombre croissant de migrants africains abandonnés et maltraités.

Déjà connue pour son trafic d’armes et de drogues, Haradh est en train d’acquérir une triste réputation pour son rôle dans le trafic des migrants africains à la recherche de travail en Arabie Saoudite. Les citoyens de la Corne de l’Afrique y sont victimes de passeurs brutaux de diverses nationalités qui seraient assistés par les polices des frontières yéménite et saoudienne.

« Ils ont pris ma femme et ma cousine, » a dit Mohammed Abdullah tout doucement en arabe, avant l’arrivée de notre traducteur d’amharique en anglais. Mohammed, un Ethiopien de 23 ans, se déplace entre le Yémen et l’Arabie saoudite depuis six ans, mais ce n’est que récemment qu’il a été la proie de ce que certains travailleurs humanitaires considèrent comme une politique officieuse de l’Arabie Saoudite consistant à se débarrasser des migrants africains de l’autre côté de la frontière, en les laissant à la merci des passeurs.

Mohammed est parvenu en Arabie Saoudite il y a trois ans et a travaillé comme jockey, avant d’être finalement déporté. La semaine dernière, il a essayé de retraverser, cette fois avec sa jeune femme de 20 ans et sa cousine de 28 ans. Ils ont été capturés par les autorités saoudiennes, qui ont rempli deux bus d’Africains à déporter. Quand ils sont arrivés à la frontière, cependant, les soldats saoudiens ont téléphoné aux passeurs du côté yéménite.

« Les passeurs ont dit aux soldats d’envoyer d’abord les femmes, » a dit Mohammed. « Ils ont fait sortir les femmes des bus et leur ont fait passer la frontière à pied et là, elles ont attendu avec les soldats yéménites que les passeurs arrivent et les emmènent. Puis nous avons eu le droit de passer la frontière. Un soldat yéménite a tenté de prendre mon téléphone portable et il m’a battu quand j’ai refusé, » a t-il dit, en montrant une profonde coupure sur son cou. Après l’appel de Mohammed, un des passeurs a pris le téléphone de sa femme et a réclamé 50 000 rials yéménites (235 dollars) pour relâcher chaque membre de la famille.

On entend souvent parler de collaboration entre les passeurs et la police des frontières. Après avoir passé 10 jours dans les prisons saoudiennes avant d’être déportée, Kimya, une demandeuse d’asile éthiopienne, a dit que la police saoudienne l’avait amenée jusqu’à la frontière. « Ils ont dit : “Voilà le Yémen”. Ils ont tiré trois fois en l’air et nous ont dit de marcher. Quand nous avons traversé la frontière yéménite, nous avons été arrêtés par des soldats yéménites. Ils ont appelé les passeurs et les passeurs sont venus et nous ont emmenés. »

Kimya a dit que les femmes détenues chez les passeurs étaient  maltraitées. « Les femmes sont battues et forcées d’appeler leur famille en Ethiopie pour leur demander de transférer de l’argent. Ils menacent les femmes qu’ils veulent avec leurs armes et les violent. »

Une nouvelle réalité

Les histoires de ce genre sont de plus en plus courantes et s’expliquent par une nouvelle réalité au cours des derniers mois à Haradh : Depuis début septembre, des rapports font état de la mise en place par l’Arabie saoudite d’une politique agressive de déportation des migrants africains vers le Yémen.

Plus de 2 800 migrants africains sont enregistrés avec le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Haradh. Les associations humanitaires sont très présentes dans la ville, mais les Nations Unies et les agences partenaires s’y trouvent pour s’occuper des Yéménites déplacés qui ont fui le conflit de Saada entre les Houthis et le gouvernement yéménite. Quelque 17 000 familles déplacées à l’intérieur du pays vivent à Haradh et dans les environs, survivant principalement grâce aux rations fournies par le Programme alimentaire mondial. Déjà à court de fonds et débordés par cette crise humanitaire, marquée elle-même par une malnutrition largement répandue, les acteurs humanitaires essaient maintenant de faire face également à cette nouvelle situation.

Médecins sans frontières (MSF) a ouvert un hôpital, destiné à l’origine aux personnes déplacées (DPI), aux migrants, et le HCR a attribué du personnel pour répondre à la crise émergente.

L’organisation internationale pour les migrations (l’OIM) et le HCR ont alloué des fonds et de la main-d’œuvre pour faciliter le rapatriement volontaire des Ethiopiens d’Haradh. A la mi-novembre, 613 Ethiopiens avaient été rapatriés et 484 autres doivent rentrer en Ethiopie avant début décembre, selon Bill Lorenz, responsable des opérations à l’OIM. L’OIM est à la recherche d’un million de dollars pour aider à financer d’autres rapatriements.

« Cela fait partie d’une démarche holistique qui comprend des campagnes d’information en Somalie et en Ethiopie, en même temps qu’une collaboration avec les autorités de ce pays [le Yémen] pour améliorer la façon dont sont traités les migrants, » a dit M. Lorenz, faisant allusion aux efforts du Groupe de travail sur les migrations mixtes, un ensemble d’organisations non gouvernementales et intergouvernementales.

« Les femmes sont battues et forcées d’appeler leur famille en Ethiopie pour leur demander de transférer de l’argent. Ils menacent les femmes qu’ils veulent avec leurs armes et les violent »
Deux semaines de marche


Medina Mohammed, 25 ans, est l’une de ces femmes éthiopiennes qui regrette de ne pas avoir su les difficultés auxquelles elle s’exposait quand elle a entrepris son voyage. Elle a marché pendant presque deux semaines pour atteindre la côte de Djibouti, où elle a payé 6 000 birr éthiopiens (365 dollars) à des passeurs pour qu’ils l’emmènent au Yémen, un voyage de cinq heures.

« Dès que nous avons été lâchés sur la côte, des passeurs se sont saisis de nous et ont dit que nous devions encore leur donner de l’argent. Quand nous leur avons dit que nous n’en avions pas, ils se sont mis à nous battre. Ils nous ont fouillés pour chercher de l’argent, puis ils nous ont relâchés et nous avons dû reprendre notre chemin à pied. » Il a fallu encore trois semaines avant qu’elle n’arrive à Sanaa. Quand on lui a demandé comment elle avait pu survivre aussi longtemps sans argent, elle a répondu : « Les Arabes sont de braves gens. Quand nous leur disions avoir faim, ils nous donnaient à manger et à boire. »

Une fois parvenue à Haradh, elle n’a pas réussi à passer en Arabie Saoudite. « Nous n’avons pas pu entrer [dans le pays] parce que les soldats nous tiraient dessus. » En parlant du calvaire qu’elle a enduré depuis son départ d’Ethiopie, elle a dit : « Nous ne savions pas que ce serait si dur et si dangereux…Si seulement nous pouvions rentrer en Ethiopie ! ».

Le chef de la police d’Haradh

A Haradh, beaucoup de migrants vivent dans les rues, et les efforts pour les protéger des passeurs sont compliqués par la corruption.

Le chef de la police locale d’Haradh,  Abdul-Hafeez al-Khateeb, a dit être conscient de [l’existence] des réseaux de passeurs ; pour lui, les passeurs sont principalement yéménites, mais beaucoup viennent aussi de la Corne de l’Afrique, en particulier d’Ethiopie et de Somalie.

« Il se fait parfois des arrangements entre les passeurs et les gardes à la frontière entre le Yémen et l’Arabie Saoudite, » a t-il dit. « J’ai entendu dire que [les migrants] sont forcés d’appeler leur famille et de réclamer de l’argent. Il arrive que des femmes soient violées… Les gens ne viennent pas me raconter ça, car toute cette opération est illégale. Quand je reçois des informations, je prends des mesures. »

Un membre du HCR à Haradh a dit avoir accompagné M. al-Khateeb dans un raid contre la maison d’un passeur, au cours duquel 13 femmes ont été libérées. Hélas, certaines de ces femmes sont retournées chez les passeurs peu de temps après, dans l’espoir de pouvoir passer en Arabie Saoudite. Informé que la femme et la cousine de Mohammed Abdullah étaient retenues contre leur gré par des passeurs, le chef de police a dit qu’ils les ferait libérer, si la police arrivait à localiser les deux femmes. IRIN a appris depuis qu’elles ont été sauvées par M. al-Khateeb.

Quoique le chef de police ait aidé à libérer des migrants, les travailleurs humanitaires d’Haradh ont dit que les passeurs sont libres de circuler comme ils veulent à Haradh et que leurs maisons, tristement célèbres pour les sévices qu’elles abritent, sont connues de tous.

Dans l’ensemble, il est clair que cette politique saoudienne consistant à laisser les migrants aux portes de leur voisin le plus pauvre exacerbe les conditions de vie à Haradh. Le responsable par interim de l’OIM, Fawzi Zioud, a dit avoir parlé récemment avec l’ambassadeur d’Arabie Saoudite au Yémen et que les discussions continuent pour établir la meilleure façon de répondre à la situation, même si aucune solution n’a pour l’instant été trouvée.

Pour beaucoup de migrants, au moins, la prochaine étape est claire. « Comment pouvons-nous désormais aller en Arabie Saoudite ? Tout est fermé, » a dit Kahsa une Ethiopienne de 22 ans. « Nous voulons rentrer chez nous. »

dm/cb- og/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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