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La « solution » mise en œuvre par le Kenya pour faire face à la sécheresse redevient une menace majeure

Prosopis juliflora tree FAO

En 2006, une chèvre édentée a marqué l’histoire de la Justice au Kenya – et fait la Une des journaux à travers le monde – lorsqu’elle a été présentée devant un tribunal dans le cadre d’une action contre le gouvernement pour l’introduction délibérée d’une plante visant à aider les communautés rurales à s’adapter à la sécheresse quelques décennies plus tôt. Cette plante est devenue une espèce étrangère envahissante et continue à causer des ravages dans les régions arides du pays.

La chèvre n’avait plus de dents, car elle s’était nourrie des fruits très sucrés du Prosopis juliflora, un arbuste à feuillage persistant et à racines profondes qui résiste à la sécheresse. Originaire d’Amérique centrale, il est aussi connu sous le nom de mathenge dans certaines régions du Kenya et d’etirai en turkana.

Le juge a rejeté la requête déposée en 2006 – l’une des nombreuses poursuites similaires engagées – mais le Prosopis n’a pas disparu et, aujourd’hui, il complique encore davantage la vie des gardiens de bétail du comté de Turkana qui subissent l’un des pires épisodes de sécheresse jamais connus.

« Lorsque j’étais jeune, il n’y avait pas d’etirai ; il y avait de la pluie et de l’herbe », s’est souvenu Ekaru Lopetet sur un marché au bétail de Lodwar, la principale ville du comté de Turkana.

« Il a vraiment envahi nos pâturages. Nous ne pouvons rien faire pour nous en débarrasser – il faut le déraciner, ce qui demande beaucoup d’efforts, car si on se contente de le couper, il devient plus robuste, et il absorbe beaucoup d’eau… je ne sais pas comment on peut le vaincre ».

Johnstone Moru, un conseiller sur les questions de changement climatique au gouvernement du comté de Turkana, a dit à IRIN que l’arbuste « colonise les pâturages et consomme beaucoup d’eau ».

« Il s’épanouit même pendant la saison sèche, alors les zones qui avaient de l’eau auparavant s’assèchent », a-t-il expliqué. « Il est difficile de les éliminer, car les graines sont transportées par le vent et les animaux ».

Ewoton Epeot, une Turkana d’environ 70 ans qui cultive toujours un lopin de terre près du village où elle a grandi, a expliqué ce processus.

« Lorsque que la gousse arrive à maturation, les animaux la mangent, les graines passent dans leur tube digestif et se retrouvent dans leurs déjections », a-t-elle dit à IRIN. « Ensuite, le Prosopis pousse dans les champs au milieu de nos cultures ».

Un article abordant la question de l’économie du comté de Turkana et rendu public cette année a décrit le Prosopis juliflora comme « l’une des espèces de plantes envahissantes les plus destructrices au monde ».

De la solution à l’invasion

Cependant, il y a à peine quelques décennies, la plante était vue comme une solution plutôt que comme un problème.

La principale raison en était que cet arbuste à feuillage persistant et à croissance rapide qui produisait du bois et offrait une bonne source d’ombre et de fourrage semblait être le candidat idéal pour réhabiliter les zones appauvries des régions arides du Kenya. Le Prosopis juliflora a été délibérément introduit dans les districts kényans de Turkana et de Baringo dans les années 1980 et 1990.

Mais rapidement les inconvénients de la plante sont apparus, comme un article rendu public en 2011 dans le journal Biodiversity l’a expliqué.

« Une fois dans le sol, les graines peuvent rester dormantes pendant une longue période, jusqu’à ce que les conditions s’améliorent. Le Prosopis a des racines profondes et se couvre d’un feuillage abondant lorsqu’on le coupe au-dessus du sol. Ces facteurs en font une plante très envahissante et difficile à contrôler une fois qu’elle est établie », a-t-il noté.

Au début des années 2000, le Prosopis était présent dans sept des huit provinces du Kenya.

« Il était plus agressif sur les terres arides du Nord, où il formait des taillis épineux et impénétrables, particulièrement le long des cours d’eau, des plaines inondables, des bords de route et dans les zones habitées. Il envahissait les chemins, les habitations, les systèmes d’irrigation, les exploitations agricoles et les pâturages, nuisant de manière significative à la diversité biologique et aux moyens de subsistance des populations rurales », a ajouté l’article.

Une étude menée par les auteurs de l’article auprès des populations kényanes des zones affectées a montré que les habitaient citaient 18 aspects positifs du Prosopis, qui étaient éclipsés par 24 aspects négatifs, dont l’invasion des pâturages, des cultures et des fermes, et les effets néfastes des épines de la plante.

« Il était évident que dans les zones où le Prosopis était bien établi, les communautés n’avaient pas la capacité de contrôler son extension. L’invasion du Prosopis avait réduit la capacité des éleveurs à garder de grands troupeaux dans les zones affectées », a souligné l’article.

Un certain potentiel

Le plan d’investissement élaboré par le gouvernement du comté de Turkana ne fait qu’effleurer le Prosopis, indiquant simplement qu’il « était peut-être un mal pour un bien et qu’il devrait être exploité de manière durable pour la production commerciale de charbon de bois, de fourrage et de biocarburant ».

Son exploitation a été un succès dans d’autres pays du monde où le Prosopis est également répandu.

Un article rendu public en 2007 par l’Institut international de recherche sur le bétail sur la question de l’adaptation au changement climatique dans les zones arides du Kenya a noté que la plante avait été introduite dans les systèmes d’agroforesterie de certains pays, produisant non seulement du bois de chauffage et du charbon de bois, mais aussi des tanins et des colorants contenus dans l’écorce, et des préparations médicinales. Il a également évoqué son utilisation au Mexique pour produire un substitut au café, de la farine, un sirop sucré et même un alcool.

« Le Prosopis est connu pour améliorer la qualité et la structure des sols, il peut être utilisé pour contrôler l’érosion et peut être planté pour offrir des rideaux abris et des clôtures vives », a ajouté l’article.

Des projets mis en œuvre au Kenya visent à faire du Prosopis une ressource. Avec le soutien des Nations Unies et d’une ONG (organisation non gouvernementale) locale, les habitants voisins d’un camp de réfugiés installé non loin de la ville de Kakuma, dans le comté de Turkana, se servent de la plante pour produire du charbon de bois en utilisant des fourneaux à rendement élevé, puis ils vendent le charbon de bois qui est distribué aux plus nécessiteux des 180 000 résidents du camp. Pendant de nombreuses années, la forte demande du camp en combustible pour la cuisine a entraîné une déforestation effrénée.

Mais le plan quinquennal élaboré par le gouvernement a reconnu que le renforcement de l’utilisation durable du Prosopis nécessiterait des investissements importants dans les régions les plus pauvres et les plus marginalisées du Kenya.

Comme Sylvester Sulu de Tupado, une ONG locale, l’a dit à IRIN, pour l’instant, la plante reste « un coup très rude ».

« Il y en a partout », a-t-il expliqué. « Si vous observez cette zone depuis un avion, vous verrez du vert, [mais] l’herbe ne peut pas pousser ».

Sur le marché de Lodwar, M. Lopetet sait que les gousses de Prosopis restent coincées entre les dents de ses chèvres, ce qui les affaiblit et entraîne leur pourrissement et leur chute, mais il leur en donne malgré tout – 90 des 100 chèvres qu’il avait sont mortes au cours des derniers mois à cause du manque d’eau et de nourriture.

« Nous n’en donnons pas très souvent aux animaux », a-t-il dit. « Mais à cause de la sécheresse, il n’y a pas grand-chose d’autre à manger ».

am/ag-mg/

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