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Boko Haram au Nigeria : la bataille est remportée, mais pas la guerre ?

Nigerian soldier Obi Anyadike/IRIN

Espiègle et légèrement débraillé, Usman Abakyari est de ces personnes qui forcent la sympathie. Mais à peine est-il question de Boko Haram, l’insurrection djihadiste qui traumatise le nord-est du Nigeria depuis sept ans, que l’ingénieur-hydraulicien devient grave.

Il tient Boko Haram — mouvement né dans sa ville natale de Maiduguri — pour responsable de la mort sa femme, et s’est juré de prendre sa revanche si l’occasion se présentait.

En tant que fonctionnaire, M. Abakyari était une cible. L’objectif de l’insurrection est la destruction d’un État nigérian corrompu, et son remplacement par un califat intègre renvoyant à un passé précolonial. D’après lui cependant, le dessein des hommes armés qui ont tenté de s’introduire une nuit dans son appartement de Locos, en périphérie de Maiduguri, n’était autre que le vol.

Le profil des membres de Boko Haram est pluriel. Dans ses rangs cohabitent des idéologues érudits, des opportunistes en quête de pouvoir ou d’argent, et des hommes et des femmes kidnappés et enrôlés de force. À Locos, comme dans les autres parties de la ville autrefois sous leur contrôle, ils tuaient et extorquaient sous le nez des forces de sécurité, taxant qui leur chantait pour le simple fait de respirer.

Lorsqu’ils ont frappé à la porte de M. Abakyari, sa femme leur a tenu tête. Tandis qu’il se cachait sous la douche, elle leur a refusé l’entrée en prétendant qu’il était absent. Lorsque les hommes en armes ont fini par partir, elle s’est effondrée dans l’embrasure de la porte. Il n’a pas pu la ranimer. « Elle m’a protégé », raconte-t-il à IRIN.

Cette guerre a fait plus de 20 000 victimes, forcé plus de 1,8 million de personnes à l’exil et en a affamé plus de deux millions. Il semblerait que l’effroyable conflit s’engage à présent dans une phase nouvelle et incertaine.

Boko Harama contrôlait autrefois l’essentiel du nord-est de l’État de Borno, avec des points d’ancrage dans les États voisins de Yobe et d’Adamawa. L’effectif du groupe a à jour été estimé à 15 000 hommes. C’est aujourd’hui l’armée qui semble gagner du terrain. Boko Haram reste actif à Borno, mais le dernier territoire sous son contrôle se trouve au nord, dans la bande de désert à la frontière avec le Tchad et le Niger.

Suicide bomber flyer
Les membres de Boko Haram continuent de s’attaquer aux postes de l’armée, et à poser des bombes. Les explosions sont rarement médiatisées – il s’agit presque exclusivement d’attentats perpétrés par d’« insignifiantes » jeunes filles dans des centres urbains bondés, rappelant de façon déconcertante le dessein meurtrier de l’insurrection.

Mais le conflit s’essouffle. Le bilan meurtrier des derniers mois de 2016 n’avait jamais été aussi bas depuis février 2013, d’après le groupe de suivi ACLED (le début d’une légère hausse se dessine toutefois).

Aux problèmes de Boko Haram vient s’ajouter la scission du groupe. L’État islamique autoproclamé semble avoir destitué Abubaker Shekau, ce chef charismatique et coléreux parlant l’arabe classique. L’EI soutient désormais Abu Musab al-Barnawi, qui a remis en cause le recours aveugle à la violence caractérisant Shekau. Mamman Nur, un autre chef puissant, se serait lui aussi aligné sur al-Barnawi.

L’heure du dialogue est-elle venue ?

Nombreux sont les antécédents, parfois grotesques, de « pourparlers secrets » avec les djihadistes. Mais la libération de 21 écolières de Chibok en octobre indique que des contacts plus solides ont été établis. Le gouvernement a confirmé que d’autres jeunes filles pourraient être relâchées sur les 195 encore retenues captives depuis 2014.

Zannah Mustapha, l’un des médiateurs impliqués dans les négociations, envisage une issue plus prometteuse encore. Il entrevoit la possibilité d’un accord portant sur une zone tampon sécurisée et un accès humanitaire aux zones contrôlées par Boko Haram, aboutissant in fine à l’arrêt des hostilités.

Les pourparlers, menés par téléphone avec des dirigeants de Boko Haram parfois fantasques, sont coordonnés par le Service de sûreté de l’État nigérian avec le soutien du gouvernement suisse. Le Comité international de la Croix-Rouge tient le rôle d’« intermédiaire neutre ».

Conclure la paix demanderait un investissement politique colossal de la part du gouvernement. Le Nigeria est trop souvent divisé suivant des lignes de clivage régionales, l’insurrection étant considérée comme un problème relevant du nord dans un pays où les théories conspirationnistes sont très ancrées. L’armée nigériane devrait également être de la partie pour mettre fin à un conflit dont ses officiers et ses hommes les plus entreprenants retirent certains avantages.

Mustapha est avocat. L’école qu’il dirige à Maiduguri accueille aussi bien des orphelins de Boko Haram que des forces armées. Pour lui, le choix est difficile. Il se penche en avant sur sa chaise pour appuyer ses propos : « Que veut-on ? Poursuivre cette guerre ou y mettre fin ? Si l’on veut y mettre fin, il faut trouver le courage politique de le faire. »

Le contre-argument est simple : il n’est pas dans l’ADN d’un absolutiste de Boko Haram de signer des accords de paix. Si de l’argent est versé pour la libération des lycéennes de Chibok, il sera investi dans « davantage d’armes pour mener davantage de guerres », a dit un responsable de la sécurité ayant demandé à rester anonyme.

Abubaker Shekau
Africanews
Abubaker Shekau
On voit difficilement comment un accord pourrait être de l’intérêt du commandement de Boko Haram. Aucune amnistie ne sera jamais accordée à Shekau (voir photo), auteur de multiples exactions, ni à Nur, soupçonné d’être le cerveau de l’attaque contre le siège des Nations Unies à Abuja qui a fait 23 victimes en 2011.

Une tentative d’approche plus raisonnée de cette guerre est toutefois en cours. Bien que les dirigeants de Boko Haram soient tenus à l’écart de tout accord de paix, plus de 4 500 subalternes se seraient rendus en vertu d’une initiative de « couloir sécurisé ». Ils sont actuellement retenus dans des lieux gardés secrets à travers le pays.

L’objectif du programme est de « réhabiliter les repentis de Boko Haram et de les réintégrer dans leurs communautés respectives en tant que citoyens honnêtes et productifs. » Si l’on pouvait convaincre les combattants qu’une réconciliation est possible, cela motiverait davantage de défections.

L’initiative a été mise au point par le Bureau du conseiller à la sécurité nationale (ONSA) dans le cadre d’une stratégie anti-insurrectionnelle d’initiative civile. Ferdinand Ikwang, qui en est l’instigateur, a expliqué que les combattants informaient l’ONSA de leur intention de se rendre, abandonnaient leurs armes à un endroit prédéfini, et étaient ensuite arrêtés. L’armée était délibérément maintenue à l’écart en raison des atteintes aux droits fondamentaux dont elle s’est rendue coupable par le passé.

« Le risque est de se réveiller dans cinq ans, pour découvrir que ces hommes sont solidement établis. Ils pourraient être présidents [du gouvernement local], être majoritaires. » — Ferdinand Ikwang, ancien fonctionnaire de l’ONSA

Mais le programme est désormais aux mains des militaires, qui tâchent de coordonner les divers ministères et agences gouvernementales avec des ressources limitées. Au-delà de leur désintérêt apparent pour le portefeuille, le manque de transparence menace ce qui s’annonçait comme une initiative historique pour contrer l’extrémisme violent.

Un an plus tard, un cadre juridique reste à créer pour couvrir les sites de détention secrets et l’incarcération à durée indéfinie des prisonniers. Sur le plan opérationnel, les catégories d’ex-combattants remplissant les conditions requises pour bénéficier du programme n’ont pas été dévoilées. Le processus de « réintégration » n’a pas non été dûment expliqué.

Par ailleurs, nombre d’analystes jugent la période de « déradicalisation » de 12 mois excessivement courte, et aucun fichage biométrique n’est effectué pour surveiller les anciens combattants.

L’avis de Maiduguri

Autre oubli flagrant, les communautés censées accueillir les anciens combattants n’ont pas été consultées. Un programme pilote impliquant une poignée de détenus passés par un camp de « déradicalisation » à Gombe, dans le sud de l’État de Borno, s’est mal terminé. Au moins deux des anciens combattants ont été assassinés à leur retour chez eux.

Est-ce vraiment surprenant ? Dans un rapport en date d’avril dernier, l’ONG internationale Mercy Corps donnait la parole à d’anciens membres ayant quitté le groupe pour rentrer chez eux par eux-mêmes. La grande précarité de leur situation actuelle y était décrite.

Malgré leur absence d’implication dans des massacres, ils faisaient l’objet d’une surveillance constante de la part de la communauté et risquaient d’être éliminés par la Force d’intervention civile conjointe (CJFT) ou l’armée. Certains estimaient plus sûr de s’établir ailleurs.

L’auteur du rapport, Balarabe Musa, se souvient du cas d’un rapatrié, l’un des tout premiers hommes à avoir rejoint Boko Harama avant que la guerre n’éclate en 2009, que la CJTF hésitait à tuer. Au lieu de cela, l’homme a été conduit au poste de police où il a signé une déclaration, puis devant le bulema, le chef communautaire, face auquel il a juré sur le coran ne pas avoir de mauvaises intentions.

Il a été relâché. M. Musa a expliqué que la population locale avait souvent connaissance du degré d’implication des rapatriés. « Nous savons qui appartenait à Boko Haram et ce qu’ils y faisaient », a-t-il dit.

Pour les anciens combattants bénéficiant du programme de couloir sécurisé, c’est très différent. Il s’agit d’hommes ayant pris les armes et parfois commis des crimes, susceptibles d’appartenir encore à Boko Haram.

M. Ikwang, l’ancien fonctionnaire de l’ONSA, alerte du danger inhérent au programme. « Le risque est de se réveiller dans cinq ans, pour découvrir que ces hommes sont solidement établis. Ils pourraient être présidents [du gouvernement local], être majoritaires. »

Damboa
Obi Anyadike/IRIN
Damboa - one of many towns torched by Boko Haram

Pas chez moi

Suite à l’échec du projet pilote de Gombe, l’ONG locale de recherche Centre pour la démocratie et le Développement (CDD) a organisé un « dialogue entre parties prenantes » avec la communauté de Maiduguri au sujet de l’initiative du couloir sécurisé. Les requêtes formulées par la communauté lors de la réunion de juillet 2016 étaient claires : une période d’apaisement minimum de 10 ans avant le retour d’ex-combattants ; la priorité donnée au bien-être des personnes déplacées et affectées par les violences ; et leur participation à l’élaboration et la mise en œuvre de l’effort de réintégration.

« [L’islam prône] la réconciliation, mais c’est très difficile. » — Abba Munguno, fonctionnaire à la retraite

Huit mois plus tard, leur position n’a guère évolué. M. Abakyari est l’un des représentants communautaires ayant pris part à l’atelier organisé fin mars à Maiduguri par le programme de stabilisation de Mercy Corps. Y participaient également des chefs religieux, des fonctionnaires, des organismes de sécurité (à l’exception de l’armée) et un haut responsable de la CJFT. La conversation oscillait entre responsabilité du gouvernement et responsabilité des personnes dans l’ascension de Boko Haram : « Qu’avez-vous fait pour empêcher votre enfant de s’enrôler ? » est une question rhétorique qui a réduit la salle au silence.

Le profond manque de confiance dans la capacité du gouvernement à protéger ses citoyens ressortait clairement. Boko Haram a commencé comme mouvement religieux communautaire intolérant, avec d’influents soutiens politiques. Les signes avant-coureurs des violences à venir ont été ignorés.

Défiantes à l’égard du système judiciaire, rares sont les personnes à s’être opposées lorsque M. Abakyari a déclaré sans ménagement qu’il ferait justice lui-même si son chemin croisait celui des hommes s’étant présenté à sa porte cette nuit-là. « [L’émotion générée par ce conflit] n’est pas comme un interrupteur que l’on peut éteindre et allumer », a-t-il expliqué.

Dans le nord, la tradition veut que l’islam régisse la résolution des conflits. Les chefs religieux devraient être les premiers à prôner le pardon et la réconciliation. En dépit des banalités sur le thème de la « justice de Dieu », les participants à l’atelier ne se berçaient pas d’illusions. « Même si vous être très croyant, la gravité des faits rend les choses très difficiles », a dit Abba Munguno, un fonctionnaire à la retraite. « [L’islam prône] la réconciliation, mais c’est très difficile. »

Les femmes retenues captives seraient accueillies, ont confirmé d’un hochement de tête les personnes assises à la table. L’accueil des enfants nés de combattants de Boko Haram a également été approuvé à contrecœur. Quant aux jeunes garçons forcés à combattre, ils pourraient également être pardonnés. Mais il est clair que la réintégration ne peut faire l’objet d’une approche générique.

« C’est une avancée », a dit Harriet Atim, la responsable du programme de stabilisation de Mercy Corps. « L’an dernier, les gens se levaient et quittaient la pièce à la seule mention du mot réintégration. »

IDP woman from Gwoza
Obi Anyadike/IRIN
Adama Umoru

Les victimes

Il a encore quelques années, pas une seule agence des Nations Unies ou ONG internationale n’était présente à Maiduguri. Aujourd’hui, toutes les salles de réunion de l’hôtel où Mercy Corps tient son atelier accueillent des séminaires financés par des donateurs anticipant l’après-conflit.

Sous son hijab sale et déchiré, Adama Umoru affiche une expression de sidération permanente. Elle est arrivée de Gwoza il y a un an. La ville, située à environ 135 kilomètres au sud-est de Maiduguri, à la frontière avec le Cameroun, a été prise par Boko Haram en 2014 et proclamée capitale de son califat. Son mari, un membre de la CJFT, a été tué dans l’attaque. Les insurgés ont également abattu son père. Un homme appelé Abdulahi Abubaker, qui vendait des condiments au marché, l’a livré aux hommes armés. Enceinte de quatre mois, Mme Umoru a dû creuser la tombe de son père elle-même.

À Maiduguri, elle subvient aux besoins de ses deux enfants en faisant frire des acarajés. Elle s’en sort mieux que bon nombre de déplacés, mais n’établit aucun contact visuel et semble profondément inquiète. Concernant un éventuel retour à Gwoza, elle est formelle : « Je n’y retournerai pas, j’ai enterré mon père. »

Dr Fatima Akilu
Neem Foundation
Dr Fatima Akilu

Les gens forment une communauté, et le besoin de guérir est l’enjeu non résolu de la réconciliation, affirme la psychologue Fatima Akilu (voir photo). Elle est favorable aux processus de vérité et de réconciliation comme moyen de faire avancer une société fracturée. « Les gens n’arrêtent pas de me dire : “Personne ne m’avait encore laissé raconter mon histoire”. »

Toutes ses économies sont parties dans l’ouverture du premier centre de traumatologie pour enfants du Nigeria, à Maiduguri, et elle propose des services de consultation au sein de la communauté. Mais Mme Akilu, qui a créé le programme de déradicalisation nigérian alors qu’elle était directrice de l’ONSA, s’inquiète pour l’avenir. « On ne s’attaque pas aux raisons fondamentales motivant les gens à rejoindre Boko Haram : le manque d’accès à la justice, la marginalisation... [pour n’en citer que quelques-unes] », a-t-elle dit. « L’idéologie a été semée. »

Les autorités ne semblent toujours pas préparées. Il n’existe pas de système complet d’alerte précoce vers lequel se tourner ; aucune garantie qu’une réponse sécuritaire sera mise en place, ou que les personnes dénonçant des abus seront protégées. Les imams ne sont pas enregistrés, et le nord-est continue d’accuser un retard éducatif.

« Nous sommes incapables de planifier à long terme », a dit Mme Akilu. « Or cette insurrection exige une planification à long terme, et que nous gardions notre sang-froid. »

oa/ag-xq/ld


Cet article est l’un des volets d’une série sur l’extrémisme violent au Nigeria et dans le Sahel, réalisée dans le cadre d’un projet en collaboration avec l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA)

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