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Un accaparement de terres peu ordinaire

The Arigh Ayagh School on the bank of the River Amu Darya has disappeared in recent years as the river has both grown and shifted course. The river runs between Afghanistan and Uzbekistan. Joe Dyke/IRIN
La distance s’accroît d’année en année entre l’Afghanistan et l’Ouzbékistan. Et personne ne le sait mieux que les enfants de l’école Arigh Ayagh, située près de la frontière, en territoire afghan.

L’école, construite en 2007, se trouve à environ 3 kilomètres du fleuve Amou-Daria qui longe la frontière entre les deux géants d’Asie centrale. Elle a été financée par le Programme national de solidarité – un programme de développement en grande partie subventionné par la Banque mondiale.

Mais de cet investissement, il ne subsiste qu’un pan de mur, en équilibre au bord d’un précipice. Deux adolescents, assis à l’ombre du mur, ont les yeux braqués sur le large fleuve qui avale leur terre natale.

Chaque année depuisune dizaine d’années, les eaux de l’Amou-Daria gagnent environ 500 mètres sur le territoire afghan, recouvrant de larges étendues de terres et laissant des centaines de familles sans abris. Et alors que la frontière officielle entre les deux pays passe au milieu du fleuve, l’Ouzbékistan a revendiqué des centaines de kilomètres de terres afghanes.

Deux cents garçons étaient scolarisés à l’école Arigh Ayagh. Ils sont aujourd’hui accueillis par l’école des filles. L’établissement – qui compte 500 écolières ainsi que des écoliers déplacés – se trouve à seulement quelques mètres des berges, dont l’érosion se poursuit.

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Les habitants ont perdu leur foyer à cause des changements climatiques et d’une des guerres froides les moins médiatisées au monde.

Il y a cinquante ans, le fleuve qui traversait cette zone mesurait environ un kilomètre de large, explique Abdul Basir Barak, coordinateur des programmes de l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Organization of Human Welfare. Au cours de ces vingt dernières années, ajoute-t-il, il s’est considérablement élargi – il mesure désormais plus de dix kilomètres de large à certains endroits. « Si vous utilisez Google Maps, regardez les cartes d’il y a quelques années, vous verrez à quelle vitesse il s’est élargi », dit-il.

Mais le fleuve ne s’est pas seulement élargi, il a également changé de cours. Andrew Scanlon, directeur pays du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en Afghanistan, a expliqué qu’il est naturel qu’un fleuve se déplace – pour changer de cours au fil des ans. « L’Amou-Daria a été détourné dans les années 1940 et 1950 pour l’irrigation des cultures, mais à long terme, cela n’est pas la bonne stratégie de lutte contre les inondations, en raison de son déplacement », a-t-il dit.

Les politiques mises en œuvre influent sur le déplacement du fleuve. Depuis les années 1970, les relations entre les Ouzbeks et les Afghans sont tendues et parfois hostiles, notamment parce que le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, une organisation militante, a des soutiens dans le nord de l’Afghanistan.

C’est pour cette raison que les Ouzbeks ont tenté de boucler la frontière – à commencer par le fleuve. Si des échanges commerciaux se poursuivent, l’Ouzbékistan a clôturé sa frontière en installant des barbelés et des clôtures électriques tout le long de ses 210 kilomètres de frontière, ce qui en fait l’une des frontières les mieux gardées au monde. Le pont qui relie l’Afghanistan à l’Ouzbékistan, ironiquement nommé pont de l’Amitié, est le seul point de passage officiel.

Les hostilités ont également eu une influence sur le débit fluvial. Avant même la chute de l’Union soviétique au début des années 1990, les Ouzbeks ont tenté de protéger leur frontière contre l’érosion en installant des murs de protection en béton dans le lit du fleuve. En revanche, les Afghans n’ont presque rien fait pour protéger leurs berges, dont le sol est mince et s’érode rapidement.

En renforçant leurs propres berges, les Ouzbeks se sont, sans le vouloir, assurés que les érosions auraient lieu du côté afghan et que le débit du fleuve s’accélérerait. Résultat : le fleuve s’est élargi et a progressivement inondé le territoire afghan.

M. Scanlon a expliqué : « On peut comparer cela à un grand entonnoir relié à un tuyau. Si une quantité d’eau plus importante passe dans l’entonnoir, puis dans le tuyau, sa vitesse augmente et elle sort du tuyau avec une plus grande force et charrie [beaucoup] de sédiments, de cailloux et de roches. Dans le cas d’un long fleuve sinueux, les forces de la rivière sont aussi obliques, alors l’inondation est naturelle », a-t-il dit.

« Cependant, si l’on se contente de construire des ouvrages tels que des murs de protection latérale sur un fleuve, la vitesse du fleuve s’accélère, ce qui provoque davantage de dégâts en aval. Cela ne constitue pas une bonne gestion du fleuve ».

Les Afghans accusent même les Ouzbeks d’ingérence directe. M. Barak explique qu’ils entendent régulièrement parler de bateaux retirant du sable afin de dévier le cours du fleuve ou de forces ouzbèkes détruisant délibérément les berges situées du côté afghan en plein milieu de la nuit. Il a ajouté qu’ils ne pouvaient pas vérifier de manière indépendante ces informations. Le gouvernement ouzbek n’a pas répondu immédiatement aux demandes de commentaire.

Peu de solutions à long terme


Depuis la rive afghane du fleuve, on peut voir les fortifications qui bordent la rive ouzbèke. Face à cette perspective peu encourageante, Mirwais Hatak, le gouverneur du district local, ressemble au Roi Knut qui, selon la légende bien connue, ordonna aux vagues de se retirer.

M. Hatak, qui plisse les yeux à cause du soleil, montre le point où le fleuve est le plus étroit, à un kilomètre en amont. « Il n’y a que deux mètres de profondeur à cet endroit-là. S’ils le ferment là et qu’ils construisent un barrage, nous n’aurons pas de problèmes ici », dit-il d’un ton optimiste. Comme pour le roi Knut, il semble que cette tentative d’écarter les vagues ne puisse empêcher les populations d’avoir les pieds mouillés.

D’autres solutions plus pratiques ont également été proposées. L’ONG internationale Action Aid essaye demettre en place un système d’alerte précoce qui permettrait aux habitants de se préparer en cas de déplacement.

De la même manière, ils ont fait des expérimentations avec des barrages biologiques – des petites barrières souvent faites de sacs de sable qui, grâce au génie biologique, permettent de protéger les berges de l’érosion.

Ces projets ont fonctionné au Népal, mais l’organisation ActionAid reconnait que toutes ses tentatives ont échoué jusqu’à présent, car le manque d’accès à la base du fleuve entrave souvent ses actions. M. Hatak ajoute que le gouvernement afghan a dépensé des millions pour essayer de lutter contre l’érosion, mais en vain.

Les experts s’accordent à dire que le gouvernement afghan et les bailleurs de fonds internationaux devraient chercher des solutions à long terme. Georg Petersen, un expert de l’Afghanistan qui travaille pour la société de conseil HYDROC, a dit qu’il fallait augmenter les investissements pour aider les Afghans à contenir le fleuve.

« On peut concevoir des ouvrages de génie civil efficaces, mais à en juger par ce que j’ai vu jusqu’à présent en Afghanistan, ils connaissent un taux d’échec élevé », a-t-il dit. « Cela est dû aux mauvaises conditions de mise en œuvre qui résultent du manque d’équipements de construction adaptés ».

Il a ajouté que les tentatives entreprises pour maintenir le fleuve dans son cours actuel reviendraient à se battre contre son cours naturel. Des « approches plus globales », comme la gestion durable des bassins, devraient être explorées pour garder un débit durable, a-t-il ajouté.

M. Barak compte sur le nouveau gouvernement d’unité nationale afghan pour pousser à des accords sur la gestion du cours d’eau avec les Ouzbeks. « Sans cela », dit-il, « il continuera à détruire de vastes étendues de terres et des milliers d’autres personnes seront déplacées ».

Sur la berge du fleuve, trois jeunes garçons scolarisés à l’école Arigh Ayagh regardent des adultes qui débattent des actions à mener pour sauver leur école temporaire. Que feront-ils si leur nouvelle école disparait, leur demande-t-on. Ils haussent les épaules.

Il faut peut-être s’attendre à ce que d’autres personnes soient victimes de l’accaparement de terres le plus étrange du monde.

jd/lr/cb-mg/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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