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Les leçons à retenir de l'opération Survie au Soudan

Beneficiaries waiting in line to collect their ration at a food-distribution taking place at the UNMISS-compound in Malakal, Upper Nile State, South Sudan (May 2014) Jacob Zocherman/IRIN
Beneficiaries waiting in line to collect their ration at a food-distribution taking place at the UNMISS-compound in Malakal, Upper Nile State, South Sudan (May 2014)

Lorsqu'elle a débuté il y a de cela 25 ans, l'opération Survie au Soudan (OSS) avait pour objectif de venir en aide aux millions de personnes aux prises avec la seconde guerre civile soudanaise (1989-2005) et qui étaient dans le besoin.

Aujourd'hui, la communauté internationale fait face à une crise ruineuse au Soudan du Sud. Au cours des dix derniers mois, des milliers de personnes ont trouvé la mort et beaucoup d'autres ont été blessées. Au moins 1,4 million de Sud-Soudanais ont fui leur foyer. Environ 469,000 personnes ont se sont installées dans des pays voisins tels que l'Ethiopie, le Kenya, le Soudan et l'Ouganda. Une opération humanitaire de grande envergure a été organisée et la communauté humanitaire a lancé un appel de fonds de 1,8 milliard de dollars en 2014.

Les journalistes d'IRIN reviennent sur les leçons apprises, ou à apprendre, de l'expérience de l'OSS.

Coordonner, coordonner

L'OSS était l'opération humanitaire coordonnée la plus importante au monde ; elle « a permis la participation de bailleurs de fonds et d'ONG [organisation non gouvernementale] qui n'avaient pas pu, ou pas voulu, déployer des efforts de secours eux-mêmes ou sous d'autres auspices », note un rapport du Secure Livelihoods Research Consortium (SLRC).

D'après le rapport, la coopération entre les ONG était un « fruit de l'OSS en général et des négociations des règles fondamentales en particulier ».

La coordination reste une composante essentielle de la réponse humanitaire. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) est chargé de « rassembler les acteurs humanitaires pour intervenir de façon cohérente dans les situations d'urgence ».

Les règles fondamentales de l'OSS prévoient la fourniture d'« une aide humanitaire aux personnes qui en ont besoin, quelle que soit leur appartenance », a dit Dan Maxwell, un professeur de l'Université Tufts et le chef d'équipe du SLRC. Les Nations Unies et les agences d'aide humanitaire menaient des négociations avec les parties en guerre pour obtenir un accès et distribuer des denrées alimentaires et d'autres produits d'urgence. Si l'OSS a fait l'objet de critiques systématiques - de la part de la communauté internationale et des protagonistes - elle a duré environ 16 ans avant de prendre fin en 2005 avec la signature de l'Accord de paix global (Comprehensive Peace Agreement, CPA).

Engager le dialogue avec toutes les parties prenantes pour résoudre les problèmes de sécurité et d'accès

Comme lors de l'OSS, des problèmes logistiques, politiques et de sécurité entravent les efforts de secours au Soudan du Sud.

L'accès par voie terrestre est resté difficile pendant les périodes de pluie, ce qui a contraint les agences d'aide humanitaire à s'appuyer sur des ressources aériennes de plus en plus coûteuses. D'après certains travailleurs humanitaires, il était plus rentable d'utiliser les ressources aériennes pendant l'OSS, car les produits d'urgence étaient transportés depuis les zones de rassemblement des pays voisins comme l'Ethiopie, le Kenya et l'Ouganda. Aujourd'hui, la majeure partie de l'aide humanitaire est acheminée en avion depuis Juba, une ville éloignée des zones touchées par la crise. Les livraisons transfrontalières en provenance du Soudan vers le Soudan du Sud ont débuté il y a peu de temps.

Le Soudan du Sud est le troisième pays le plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires après l'Afghanistan et la Syrie. D'après OCHA, 74 incidents liés à l'accès ont été signalés au mois de septembre (contre 58 au mois d'août ; la majorité des incidents concernaient « des violences contre des personnels/des biens combinées avec des actes d'agression, de harcèlement et d'embuscade/d'enlèvement spécialement dans l'Etat d'Equatoria-Central, et des arrestations/mises en détentions dans les Etats d'Unité et de Jonglei). En août, un hélicoptère des Nations Unies a été abattu non loin de Bentiu, dans l'Etat d'Unité.

Au Soudan du Sud, l'équipe de pays pour l'action humanitaire - qui se compose des Nations Unies, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), d'ONG internationales et de représentants de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge - « établit un dialogue étroit avec toutes les parties au conflit pour [les] informer de l'impact des contraintes liées à l'accès sur les programmes d'aide humanitaire », note un instantané sur l'accès d'OCHA.

« L'équipe d'accès d'OCHA dialogue avec toutes les parties au conflit pour surmonter les contraintes et faciliter l'accès, y compris obtenir des assurances pour le bon déroulement des vols et des convois », poursuit le document.

Négocier avec les parties en conflit pour éviter les malentendus


Les négociations avec les parties au conflit ont permis à l'OSS d'être la première opération d'urgence dans le cadre d'un « conflit non international » actif, ce qui « a étendu le champ des possibles de l'aide d'urgence et de la réponse humanitaire », note le rapport du SLRC.

Outre la capacité de coordination et l'égide officielle de l'OSS, l'accès négocié a introduit « le concept de 'gouvernance humanitaire', ou l'utilisation de l'aide humanitaire et des principes en matière des droits de la personne pour influencer le comportement d'un Etat ou d'acteurs non étatiques », ajoute-t-il.

Le rapport du SLRC établit un parallèle avec la période pendant laquelle l'OSS s'est déroulée, lorsque l'aide acheminée dans les zones contrôlées par le MLPS était perçue par le gouvernement de Khartoum comme un soutien aux rebelles. Une évaluation indépendante du Département des affaires humanitaires des Nations Unies (DHA) a reconnu : « Si les accords signés dans le cadre de l'OSS reconnaissent la souveraineté ultime [du gouvernement du Soudan], dans la pratique, le secteur sud a développé une autonomie précaire par rapport aux parties en guerre ». En effet, ceux qui critiquent l'OSS voyaient l'accès négocié comme « l'expression programmatique de l'acceptation de la violence qui perdure ».

Les interventions de l'OSS étaient limitées par les parties au conflit. Les populations vivant dans les zones comme les montagnes Nuba - le long de la nouvelle frontière sud du Soudan - restaient en grande partie coupées de l'aide.

Il existait peu « d'alternatives pour fournir de l'aide », selon M. Maxwell du SLRC, qui a indiqué que le fait d'ignorer le processus de négociation pour l'accès aurait pu se révéler dangereux pour les travailleurs humanitaires et aurait pu déstabiliser l'opération entière.

D'après le rapport du SLRC, la leçon à tirer de l'OSS est qu'il faut maintenir le dialogue avec les deux parties à un conflit tout en respectant la souveraineté.

Dans les années 1980, la négociation de l'accès avec les parties en conflit a donné lieu à des critiques selon lesquelles l'OSS perpétuait le conflit - avec l'aide distribuée aux déplacés dans le Sud et aux déplacés originaires du Sud, les factions du Sud auraient eu moins d'incitations à mettre un terme au conflit.

Le changement d'orientation amorcé par l'OSS - de l'aide d'urgence vers un programme plus axé sur le développement - après 1991 dans le secteur sud a été perçu « comme une tentative des gouvernements occidentaux d'aider le M/APLS à résister à l'offensive du gouvernement de Khartoum », indique le rapport.

Dans la crise actuelle, le gouvernement de Juba a exprimé des sentiments négatifs vis-à-vis des Nations Unies à cause de l'idée erronée selon laquelle la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) fournissait un appui aux rebelles.

Profiter des réseaux locaux

L'OSS a été critiquée pour « ne pas avoir saisi l'occasion d'embaucher du personnel local » et pour ne pas avoir pris en compte les points de vue des observateurs et des bénéficiaires soudanais, d'après le rapport du SLRC.

Luka Biong, le directeur du Centre d'études sur la paix et le développement de l'université de Juba, a noté qu'à cette époque, « les ONG internationales devenaient des gouvernements de fait. Elles ont oublié les institutions présentes sur place ».

M. Biong a ajouté : « L'idée selon laquelle les institutions traditionnelles sont détruites par la guerre n'est pas une conclusion définitive ». Pour M. Biong, en l'absence de stratégie de repli, lorsqu'une crise se termine et que les agences commencent à partir, il n'y a plus personne pour poursuivre le travail.

Au cours de ces dernières années, les agences d'aide humanitaire internationales ont davantage eu recours aux personnels locaux. Dans un éditorial du mois d'août, Toby Lanzer, le coordinateur humanitaire au Soudan du Sud, a dit : « Avant la crise [avant décembre 2013], 90 pour cent des membres du personnel des ONG internationales au Soudan du Sud étaient sud-soudanais ».

Mais le conflit a affecté le déploiement des travailleurs locaux de différentes ethnies vers certaines zones difficiles. « Comme les tensions ethniques alimentaient les violences, certains travailleurs humanitaires sud-soudanais n'ont pas pu intervenir dans les zones où les populations avaient le plus besoin d'eux, car cela mettait potentiellement en danger leur vie » a ajouté M. Lanzer.

Cependant, les réseaux locaux jouent un rôle crucial dans la réponse humanitaire. Kibrom Tesfaselassie, le responsable des missions de réponse rapide de l'UNICEF dans certaines des zones les plus isolées et les plus dangereuses du Soudan du Sud, a dit à IRIN que son équipe n'est déployée que lorsque que « les représentants de la communauté entrent en contact avec les partenaires présents sur le terrain et indiquent qu'il y a des besoins ».

Malgré cela, il y a encore de la rancour à l'égard du gouvernement de Juba qui a récemment annulé une directive qui interdit l'embauche de certains travailleurs étrangers pour donner plus de travail aux personnels locaux.

Rester flexible

Si l'OSS a été mise en place dans un contexte différent et ne peut offrir que des indications limitées sur l'attitude à adopter dans le cadre politique actuel au Soudan du Sud, les vétérans des campagnes humanitaires précédentes disent qu'il reste des leçons à apprendre. John Ashworth, qui a une grande expérience dans le domaine de la construction de la paix au Soudan et au Soudan du Sud, mais qui a travaillé avec des groupes religieux plutôt que par le biais de l'OSS, a dit que la flexibilité était un élément crucial.

Le système de l'OSS était « très inflexible », a dit M. Ashworth. « La situation pouvait évoluer très rapidement sur le terrain. Mais faire remonter le message au département responsable de la logistique . ils pouvaient avoir plusieurs semaines de retard ».

D'après le rapport du SLRC, « le calendrier de la distribution de l'aide alimentaire était souvent repoussé en raison de problèmes logistiques et de l'insuffisance des infrastructures ainsi que de contraintes bureaucratiques, politiques, sécuritaires et environnementales ».

Si l'actuelle réponse est plus rapide, le manque de ressources reste souvent un problème.

« On peut tout faire si on a de l'argent », a dit Tariq Riebl, le directeur pays d'Oxfam au Soudan du Sud. Le Plan de réponse à la crise au Soudan du Sud, qui a reçu 70 pour cent du 1,8 milliard de dollars requis,  est en concurrence avec les crises qui surviennent ailleurs dans le monde, y compris l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest.

Résoudre les causes sous-jacentes, exploiter les opportunités de construction de la paix

L'OSS a été critiquée pour son manque de viabilité et parce qu'elle « ne répondait qu'aux besoins immédiats et qu'elle ne proposait pas de solutions aux causes sous-jacentes de la crise », note le rapport du SLRC.

Malgré les tentatives visant à accroître la production alimentaire locale au milieu des années 1990, « la grande opération alimentaire était rarement liée à des améliorations durables des moyens de subsistance des populations - et [il y avait] une controverse sur le fait qu'elle y soit associée ou non ».

L'OSS ne visait pas à mettre un terme aux hostilités entre les parties en guerre au Soudan, mais elle avait des bases en matière de construction de la paix qui, selon des critiques, auraient pu être mieux utilisées. « Il y avait un lien profond entre l'OSS et les opportunités de paix, même si la paix n'était pas l'objectif déclaré. L'opération a été élaborée pour soulager les souffrances causées par la famine provoquée par la guerre ; ainsi, l'établissement de la paix constituait l'ultime solution au problème », note une évaluation de l'OSS.

Le soutien des moyens de subsistance constitue un élément clé de la réponse à la crise qui se joue actuellement, avec la fourniture de denrées alimentaires, de soins de santé, d'abris, d'assainissement et d'autres besoins élémentaires. Au mois d'avril, M. Lanzer a appelé les parties au conflit à envisager l'instauration d'un « mois de tranquillité » pour permettre aux populations de se déplacer librement pour cultiver ou s'occuper de leur bétail « ou même pour chercher asile dans un pays voisin si elles le souhaitent ».

Avant le début de ce conflit, les agences d'aide humanitaire présentes au Soudan du Sud déplaçaient leurs actions vers le développement. Lors d'un discours prononcé à l'occasion du lancement du Processus d'appel consolidé 2013, Awut Deng Acuil, qui était alors le ministre sud-soudanais des Affaires humanitaires et de la Gestion des catastrophes, a dit : « Placer la résilience et les institutions nationales au premier plan du travail humanitaire favorisera la création d'un Soudan du Sud mieux à même de s'occuper de ses citoyens dans les situations de crise ». Mais le conflit a retardé ces projets.

ag/aw/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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