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L’effet Ebola piétine les acquis de la lutte contre la mortalité maternelle et infantile

Hawa Natou and her newborn at Kenema Government Hospital. Samwar Fallah/IRIN
Les taux de mortalité maternelle et infantile, déjà alarmants à l’heure actuelle, devraient augmenter au Liberia et en Sierra Leone. En effet, les femmes enceintes évitent les hôpitaux de peur de contracter le virus Ebola, et les travailleurs sanitaires, déjà en très nombre réduit, redoutent de les aider à accoucher.

« Au début de la flambée d’Ebola, les membres du personnel médical étaient les plus touchés par le virus – et beaucoup en mourraient. De plus, il n’y avait pas de structure pour accueillir les malades. Les gens ont commencé à être terrifiés et, lorsque la nouvelle s’est répandue, tout le monde a eu peur », a déclaré Augustin Kabano, responsable de la santé maternelle auprès du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Sierra Leone. « Certains centres ne possèdent que deux ou trois membres du personnel donc si l’un d’entre eux meurt, tout le système s’écroule. »

Le Liberia et la Sierra Leone affichent déjà les taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés au monde, même si ces taux ont reculé en l’espace de quelques années. Ainsi, il y avait 890 décès sur 100 000 naissances vivantes en Sierra Leone en 2010, contre 2 000 décès dix ans plus tôt. D’après l’UNICEF, au Liberia, sur 100 000 naissances vivantes, 770 mères sont mortes en 2010, contre 1 100 en 2005. Les progrès réalisés sont liés à l’introduction de soins de santé gratuits pour les femmes pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement, dans les établissements de santé publique. Le nombre de naissances en présence d’un professionnel de santé a également augmenté dans les deux pays, passant à 46 pour cent au Liberia et à 63 pour cent en Sierra Leone, en 2012.

Mais lorsque le virus Ebola a frappé la Sierra Leone en mai et le Liberia en août, le nombre de naissances en présence d’un professionnel de santé a fortement diminué. Il est passé de 52 à 38 pour cent au Liberia, tandis que le nombre de femmes qui accouchent à l’hôpital ou dans un centre de soins en Sierra Leone a baissé de 30 pour cent, d’après les systèmes d’information pour la gestion sanitaire (Health Management Information Systems). Ces taux de fréquentation vont entraîner une hausse des taux de mortalité maternelle et infantile, a déclaré M. Kabano, même s’il faut attendre les statistiques – telles que celles de l’étude complète des indicateurs de santé menée par le gouvernement et l’UNICEF en Sierra Leone, qui sera publiée en 2015 – pour connaitre l’ampleur du phénomène.

La peur ressentie par les travailleurs sanitaires, qui s’accompagne d’une pénurie de sages-femmes et de médecins disponibles pour assister à l’accouchement, a conduit au décès de Fatumatta Fofana qui attendait un enfant. C’est ce que pense Mohammed Sheriff, le frère de cette mère de cinq enfants originaire de l’île Bushrod, un quartier défavorisé de Monrovia.

Mme Fofana n’a pas pu être admise dans sa clinique locale, car il n’y avait pas d’infirmière ni de médecin disponibles. Elle s’est rendu aux hôpitaux Redemption et JFK, mais ces derniers été fermés, dans le cadre d’une mesure nationale de fermeture temporaire de tous les hôpitaux publics, face à la mortalité massive des travailleurs sanitaires. Mme Fofana s’est finalement tournée vers un petit établissement appelé clinique musulmane, mais l’administrateur Alieu Konneh a dit qu’il ne pouvait pas trouver de médecin pour l’aider à accoucher. Mme Fofana est décédée quelques heures plus tard et son bébé n’a pas survécu.

M. Sheriff rejette la responsabilité sur le gouvernement. « Ma soeur a eu quatre enfants. Je crois que si l’hôpital avait été ouvert, elle aurait pu accoucher sans problème, mais comme le gouvernement a fermé tous les hôpitaux, elle n’a pas pu. Pour moi, l’État est responsable de la façon dont elle est morte », a-t-il affirmé.

Depuis, l’hôpital JFK a rouvert sa maternité, mais uniquement pour les patientes recevant des soins prénataux, car le personnel est trop effrayé à l’idée de prendre en charge l’accouchement de femmes susceptibles d’être atteintes par le virus Ebola, a déclaré un médecin qui a préféré garder l’anonymat.

La hausse des honoraires des médecins

Les médecins réclament aussi des honoraires exorbitants aux femmes qui vont accoucher ; ce n’est pas une pratique nouvelle, mais les frais ont augmenté, a expliqué un médecin sous couvert d’anonymat, à cause du risque que présenterait la naissance d’un enfant atteint par le virus Ebola.

Lorsque Comfort Fayiah, originaire du quartier Paynesville de Monrovia, a voulu accoucher à l’hôpital Benson, dirigé par le ministère de la Santé, les médecins lui ont réclamé 400 dollars. Mais elle n’avait pas cet argent et a dû donner naissance sur le sol d’une église de fortune, à quelques mètres de l’hôpital, avec pour seule aide celle de Mère Reeves, qui y officie. Elle a donné naissance à des jumelles appelées Mercy et Faith.

La clinique locale a refusé de la prendre en charge, car il n’y avait aucun médecin ni sage-femme présents. « Je ressentais des douleurs et j’ai perdu connaissance avant de pouvoir atteindre la porte de l’église. C’est comme cela que le premier bébé est né avant que la religieuse n’ait le temps d’appeler un homme à l’aide », a déclaré Mme Fayiah, qui dort toujours sur un matelas à même le sol dans l’église. Elle a quatre autres enfants et son mari Victor n’a plus de travail – il vendait du bric-à-brac dans la rue, mais le commerce s’est interrompu à cause de la peur d’Ebola, a-t-il expliqué.

Le virus Ebola a décimé la population des travailleurs sanitaires de Sierra Leone et du Liberia.

Selon un rapport de situation de la feuille de route pour la riposte au virus Ebola de l’Organisation mondiale de la santé du 3 octobre, 371 travailleurs sanitaires auraient contracté le virus dans les trois pays les plus touchés (69 en Guinée, 188 au Liberia et 114 en Sierra Leone). Parmi ces personnes, 216 sont décédées (35 en Guinée, 94 au Liberia et 82 en Sierra Leone).

Dans le district de Kenema en Sierra Leone, le virus a tué 38 travailleurs sanitaires dans un seul hôpital, dont deux sages-femmes et le chef du service d’épidémiologie, Sheikh Umar Khan. Un mur du bâtiment principal de l’hôpital a été transformé en espace commémoratif en hommage aux victimes ; des photographies du personnel décédé et des messages de condoléances y sont affichés. L’une des sages-femmes de l’hôpital est morte après avoir soigné une femme atteinte du virus Ebola qui avait fait une fausse couche, a dit Margaret Fatoma, infirmière en chef de la maternité. La Sierra Leone ne compte aujourd’hui que deux gynécologues obstétriciens pour tout le pays.

Aucun protocole n’a encore été mis en place en Sierra Leone à l’attention des médecins et des sages-femmes sur la façon d’aider à mettre au monde l’enfant d’une patiente atteinte par le virus, mais c’est en cours de réalisation, a dit M. Kabano, de l’UNICEF.

Katherine Mueller est directrice de la communication de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) en Sierra Leone. Elle a déclaré à IRIN qu’il serait très difficile pour les infirmières d’aider à mettre au monde un enfant en portant des combinaisons de protection, car ces tenues tiennent terriblement chaud, ce qui peut s’avérer dangereux. Là-bas, les travailleurs sanitaires ne peuvent les porter que par intervalles de 15 minutes avant de devoir sortir de la zone à haut risque du centre de traitement anti-Ebola proche de Kenema.

Les décès des travailleurs sanitaires et le taux de mortalité élevé des patients atteints par le virus dans les hôpitaux et les centres de traitement effraient également de nombreuses femmes qui renoncent à accoucher en milieu médical, ont affirmé Mme Fatoma et des mères hospitalisées. Seuls quelques lits sont occupés dans la maternité de l’hôpital qui compte 25 places, et le nombre de patients est passé d’une moyenne de 150 à 90, a déclaré Alice Kabbah, sage-femme en chef du service. La maternité est pourtant située loin du centre de traitement anti-Ebola et dispose d’une entrée séparée.

Issa French, infirmier directeur adjoint au centre de traitement anti-Ebola de l’hôpital de Kenema, n’a pas su dire combien de femmes enceintes se trouvaient parmi les 488 patients traités.

Selon lui, environ la moitié des 1 000 malades atteints par le virus qui ont été admis depuis le début de la flambée d’Ebola, ont survécu.

Au milieu de toute cette horreur, l’histoire de Ruth* redonne un peu d’espoir. Cette jeune femme de 17 ans a été traitée dans le centre anti-Ebola et y a accouché en présence de sages-femmes en combinaison de protection. Elle et son bébé ont été soignés et tous deux ont survécu. D’après les sages-femmes, il faut redoubler d’efforts dans la formation du personnel médical, afin que ce dernier puisse effectuer l’accouchement de femmes atteintes par le virus Ebola en toute sécurité.

Les communautés locales reprennent possession de leurs hôpitaux

Les communautés locales réclament de plus en plus le retour à la normale dans leurs hôpitaux. Les habitants de la capitale, Freetown, ont tellement fait pression sur l’hôpital Connaught que ce dernier est en train de réduire la zone de l’hôpital réservée au traitement anti-Ebola.

De même, l’hôpital public de Kenema, qui comptait deux malades atteints par le virus lors de la visite d’IRIN et en avait admis deux autres le lendemain, est en train de réduire l’espace consacré au traitement anti-Ebola. En parallèle, le centre de traitement de la FICR s’élargit progressivement. À la date du 4 octobre et depuis son ouverture trois semaines plus tôt, le centre de traitement affichait 52 admissions, 22 décès et 13 autorisations de sortie.

Selon Yata Blango, puéricultrice, quand les hôpitaux auront repris une activité normale, les chiffres devraient à nouveau augmenter ; non seulement celui des femmes qui viennent accoucher, mais aussi celui des nourrissons et des enfants qui fréquentent les cliniques de soins de santé gratuits pour les moins de cinq ans. En effet, le taux de fréquentation a également diminué au plus fort de la crise, passant de 100 à 30 cas par semaine. Mme Blango et son équipe se rendent chez les habitants pour encourager les femmes à se rendre à l’hôpital. « La majorité [des femmes] sont encore trop effrayées et disent que les infirmières ont toutes le virus Ebola », a-t-elle déclaré à IRIN.

Mais toutes ne se laissent pas gagner par la psychose. Hawa Natou, 21 ans, a donné naissance à son premier fils à Kenema le 3 octobre. « Je n’ai pas eu peur de venir. Beaucoup de gens ont eu peur pour moi – mes amis, mes voisins – mais mes parents m’ont dit que c’était bon », a-t-elle déclaré à IRIN.

*nom d’emprunt

aj/sf/cb-fc/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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