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Réviser la loi suffira-t-il à mettre fin à la traite des personnes au Yémen ?

African migrants in Yemen Adel Yahya/IRIN
Un projet de loi yéménite envisageant de lourdes sanctions pour les personnes impliquées dans le trafic de migrants, notamment pour les cas d’enlèvement avec demande de rançon, pourrait enfin mettre un terme à plusieurs décennies d’exploitation.

Afin de dynamiser le processus, l’Organisation internationale du travail (OIT) a coorganisé un atelier de trois jours (6-8 septembre) avec le ministère yéménite des Droits de l’homme à Beyrouth, la capitale libanaise. Entités gouvernementales, agences internationales et groupes non gouvernementaux se sont réunis à cette occasion pour esquisser la feuille de route du Yémen en matière de lutte contre la traite des personnes.

« La traite des personnes est un problème sécuritaire – c’est aussi un problème social, de droits de l’homme, de relations étrangères », a dit Fouad AlGhaffari, directeur général du cabinet du ministre des Droits de l’homme. « Ça touche au droit des femmes, des enfants, de tout le monde. »

Au total, 37 971 migrants et réfugiés auraient traversé la mer Rouge pour rejoindre le Yémen entre janvier et juillet de cette année, d’après le Regional Mixed Migration Secretariat (Secrétariat régional sur la migration mixte, RMMS), essentiellement des Éthiopiens cherchant à rejoindre l’Arabie Saoudite dans l’espoir d’y trouver un emploi en dépit du durcissement des contrôles frontaliers et des règlements en matière d’immigration dans ce pays. Des milliers de Somaliens fuyant leur pays continuent également de tenter la traversée chaque année, et ils seraient actuellement 230 878 au Yémen, d’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

S’ils quittent généralement leur pays natal de leur propre gré, les migrants sont souvent vendus à des gangs armés par leurs passeurs à leur arrivée au Yémen. Les trafiquants transfèrent les migrants dans des camps d’attente, où ils sont détenus dans des conditions effroyables, et où les femmes et les fillettes sont souvent victimes de violences  sexuelles. Femmes et hommes sont indistinctement battus et torturés jusqu’à ce que leurs familles versent une rançon pour les libérer.

Depuis le début de l’année 2013, le nombre de migrants retenus en otage a grimpé en flèche, d’après le RMMS. Une fois libérés contre rançon, les migrants occupent souvent des emplois difficiles et mal rémunérés ou cherchent à rejoindre d’autres pays.

Avec le soutien de l’OIT, le ministère yéménite des Droits de l’homme s’est associé aux ministères de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur et de la Planification, entre autres, pour mettre sur pied un Comité de dialogue national pour la lutte contre la traite des personnes. Ce comité veillera à ce que le nouveau projet de loi aboutisse, enquêtera sur l’étendue du problème de la traite des personnes au Yémen et déploiera une stratégie nationale globale d’ici 2015.

« Que le Yémen, qui assiste sur son territoire à de graves violations des droits de l’homme, se saisisse du problème, est en soi une entreprise louable », a dit Helene Harroff-Tavel, du bureau régional de l’OIT dans les États arabes à Beyrouth.

Elle a toutefois ajouté que les progrès ne seraient pas simples. « Le défi législatif est grand du fait de la quantité de priorités concurrentes [pour le gouvernement], a dit Mme Harroff-Tavel.

En parallèle du projet de loi contre la traite des personnes, le gouvernement cherche à modifier la loi pour fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans, et ainsi mettre fin à la pratique consistant à épouser et exploiter de jeunes Yéménites, en particulier chez les visiteurs originaires d’États du Golfe plus riches. Le Yémen est l’un des rares pays dont la législation ne prévoit aucun âge minimum pour le mariage. Le projet de loi sur le mariage précoce s’est heurté à l’opposition du Conseil des ministres yéménite, et les militants affirment que cela pourrait bien compliquer les efforts visant à endiguer l’exploitation sexuelle des mineurs dans le cadre d’une loi contre la traite des personnes.

Mais les militants des droits de l’homme avertissent que même si la loi est adoptée en dépit des obstacles, les divisions politiques et l’insécurité pourraient en limiter l’impact.

Obstacles à venir

En mai, le bureau de Human Rights Watch (HRW) au Yémen a publié un rapport mettant en cause des représentants du gouvernement soupçonnés de complicité dans des opérations de traite des personnes.

Le rapport mettait en lumière le versement de pots-de-vin aux postes de contrôle, aux agents de la police judiciaire et aux forces de sécurité pour s’assurer que les trafiquants ne soient pas embêtés, et même l’implication de représentants du gouvernement dans la détention de migrants, ensuite livrés à des trafiquants contre de l’argent. D’après le rapport, jamais les poursuites engagées contre un trafiquant n’ont abouti. « Cette industrie ne peut exister sans une complicité du gouvernement à plusieurs niveaux », a dit Belkis Wille, chercheur chez HRW au Yémen, à IRIN. « Ce sujet ne peut être abordé sans parler du problème de la corruption chez les fonctionnaires. »

D’après M. Wille, les délibérations du gouvernement n’ont pour l’heure jamais donné lieu à des aveux de complicité, bien qu’un tel débat soit « essentiel dans le cadre d’une stratégie de lutte [contre la traite des personnes] ».

L’accès aux zones situées en dehors du contrôle du gouvernement reste un autre défi. À leur arrivée sur la côte yéménite, les victimes sont souvent transportées dans des bus traversant des zones aux mains de groupes tribaux, dans le nord du pays.

« Dans le nord, les trafiquants sont des chefs tribaux – ce sont des familles extrêmement puissantes, jouissant de contacts…avec leur propre influence politique », a dit M. Wille. Le gouvernement central de transition a eu bien des difficultés à imposer sa vision au pays, en particulier dans le nord et l’est.

En dépit de ces obstacles, les personnes impliquées dans l’élaboration du projet de loi restent optimistes. « Le gouvernement y adhère à 100 pour cent », a dit M. AlGhaffari. « Le Yémen est en proie à de nombreuses difficultés, mais je crois qu’il n’y aucune excuse pour ne pas y donner suite ». Les participants à l’atelier avaient bon espoir que la loi soit adoptée d’ici la fin de l’année.

Feuille de route

La première étape – soumettre au Parlement un projet de loi de lutte contre la traite des personnes – a déjà été franchie.

Bien qu’il faille encore l’améliorer, ce projet de loi constitue un net progrès par rapport aux infrastructures actuelles du Yémen en matière de lutte contre la traite des personnes, a dit l’OIT. Le projet de loi, qui puise dans les protocoles internationaux et les conventions de l’OIT, s’attaque à différents types de trafic, y compris à des fins d’exploitation sexuelle et d’exploitation par le travail, avec des peines de prison allant de 5 à 15 ans et de lourdes amendes pour les coupables.

Les participants à l’atelier de Beyrouth ont accepté d’aligner le projet de loi sur la convention 29 de l’OIT sur le travail forcé, ainsi que sur le protocole international sur la traite des personnes.

D’après Torsten Schackel, spécialiste des normes internationales en matière de travail auprès de l’OIT, le projet de loi comporte des dispositions mettant fin à la poursuite des victimes, ce qui est essentiel. « Les victimes sont doublement victimes - d’abord parce qu’elles sont exploitées, ensuite parce qu’elles encourent des sanctions du fait de leur présence illégale sur le territoire », a dit M. Schackel. Pour y remédier, la nouvelle loi prévoit l’identification des victimes comme telles, et privilégie leur protection plutôt que leur poursuite.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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