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La loi sur l’avortement change la donne en Éthiopie

Pregnant woman's belly. For generic use Dogs and music/flickr
Après des décennies de lutte contre les taux élevés de mortalité infantile – au moins un tiers des cas étaient dus à des avortements bâclés – l’Éthiopie a pris une décision : le pays a donné la priorité à la santé des nouveau-nés et à la santé maternelle. En 2005, il a décidé d’assouplir la loi sur l’avortement pour sauver la vie de femmes.

La nouvelle loi n’a pas légalisé l’avortement, mais l’a décriminalisé. Elle autorise également la femme à interrompre sa grossesse si elle a été victime d’un viol ou d’inceste, si le fœtus présente de graves malformations ou si la femme est âgée de moins de 18 ans et n’est pas capable d’élever son enfant. Avant 2005, l’avortement n’était autorisé que dans le cas où la grossesse mettait la vie de la femme en danger.

« À titre anecdotique, je dirais que [la loi] a eu un impact majeur sur la vie des filles et des mères », a dit Addis Tamire Woldemariam, directeur général du ministre de la Santé, avant d’ajouter qu’il n’avait pas de chiffres officiels sur l’impact de la loi. Les dernières statistiques disponibles datent de 2008 et indiquent que, parmi les femmes ayant avorté, 27 pour cent avaient eu accès à une procédure légale et sûre. Cela veut dire que plus de 70 pour cent des avortements avaient été réalisés dans des conditions dangereuses par des personnes non qualifiées, mais avant 2005, ce chiffre était plus proche de 100 pour cent.

« Avant, les femmes buvaient un thé à base de plantes pour déclencher l’avortement », a dit une agente de vulgarisation sanitaire de Mosebo, un village situé dans le nord du pays. Les femmes avaient ensuite des crampes extrêmement douloureuses suivies de saignements abondants – trop abondants, a-t-elle dit. « Cela va beaucoup mieux maintenant. Nous les encourageons à se rendre dans les centres de santé ou les cliniques ».

Mais l’une des principales raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas accès à des avortements sûrs est que la majorité des Éthiopiens vit dans des lieux encore moins accessibles que Mosebo, un village situé à quelques pas d’une route en gravier cahoteuse qui s’étend sur 43 km et permet de rejoindre Bahir Dar, ville du nord du pays. Il est extrêmement difficile de rejoindre un centre de santé qui dispense des soins liés à l’avortement.

À Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, Dawit Argaw dirige une « Blue Star Clinic » – un centre de santé privé associé à Marie Stopes, une organisation internationale qui dispense des soins de santé aux nouveau-nés et des soins de santé maternels, propose des moyens de contraception et pratique des avortements sans danger. Il a expliqué que, s’il ne réalisait pas les avortements demandés par les femmes qui se présentent à sa clinique, celles-ci finiraient par choisir une solution dangereuse. « La principale raison pour laquelle nous le pratiquons est que nous avons vu tellement de complications [suite à des avortements réalisés dans des conditions illégales], par des personnes [non qualifiées] », a dit M. Argaw. Il était fréquent que des femmes présentant des plaies perforantes ou de graves infections dues à des avortements bâclés viennent à sa clinique. « Mais depuis 2009 [quatre ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi], nous n’en avons vu que deux ou trois ».

Si la grande majorité des femmes désirant interrompre leur grossesse se font encore avorter dans des conditions dangereuses, dans les grandes villes comme Addis-Abeba, les femmes peuvent se rendre dans les cliniques et consulter des médecins plus facilement.

Mais la santé des femmes s’améliore aussi grâce à un meilleur accès aux contraceptifs et le nombre de femmes qui ont une grossesse non désirée est en baisse, car un nombre croissant de femmes recourent à la contraception. « Il y a dix ans, le taux de prévalence contraceptive était de 6 pour cent, et les derniers chiffres montrent qu’il est à 40 pour cent », a dit M. Woldemariam.

Reconnaissante pour le service rendu


À la clinique Marie Stopes d’Addis-Abeba, une femme est assise dans une petite salle dotée d’un bureau, d’un lit avec étriers et d’un mince rideau. Ici, elle reçoit des conseils en matière de contraception. « Nous parlons avec elle et nous lui demandons de choisir une méthode de planification familiale avant de réaliser l’avortement », explique Sœur Tihish, une infirmière. La patiente, qui n’a pas donné son nom, n’a pas dit comment elle était tombée enceinte, « mais bon nombre de femmes que nous recevons ont subi un viol », indique l’infirmière.

Les femmes qui ont subi un viol ou un inceste ne sont pas tenues de fournir des preuves. M. Woldemariam du ministère de la Santé a dit qu’il serait « immoral » et « inhumain » de faire revivre à une femme le traumatisme psychologique provoqué par un viol, alors bon nombre de médecins pratiquant l’avortement ont adopté une politique de « discrétion ». Pour beaucoup, cela révèle une importante lacune dans la loi et cela donne la possibilité aux femmes d’interrompre leur grossesse pour des raisons autres que celles qui sont prévues par la loi.

Le docteur Seyoum Antonio est violemment opposé à la libéralisation de l’avortement. Ce chirurgien généraliste explique que les contraintes ne sont pas assez strictes. « Regardez les livres disponibles dans ces cliniques, ils parlent tous de “viol, viol, viol” sans preuve », s’exclame-t-il. « Mon pays est présenté comme un pays de violeurs ».

Mais pour Khadija Ali, une femme de 29 ans qui a demandé à ce que son vrai nom ne soit pas révélé, l’accès à l’avortement a été une question de vie ou de mort. « Je travaillais comme gouvernante à Bahreïn lorsque mon employeur m’a violée », explique-t-elle, en se tordant les mains de douleur en raison des crampes provoquées par les pilules abortives qu’elle a prises quelques heures plus tôt et qui commencent à faire leur effet. « Je suis tombée enceinte et je suis tout de suite revenue en Éthiopie, car personne ne devait apprendre ce qu’il s’était passé ou alors j’aurais été gravement blessée ou même tuée ».

Une amie lui a parlé de la clinique Marie Stopes, qui pratique des avortements et dispense des conseils en matière de contraception. « Je suis très reconnaissante », a-t-elle dit, pour le service rendu. Mais Khadija indique qu’elle ne dira jamais à personne – ni même à son mari – ce qu’il s’est passé et qu’elle ne parlera jamais de l’avortement.

De la stigmatisation sociale


Khadija n’est pas la seule à garder le silence. « C’est un sujet très sensible au sein de la communauté », a dit M. Woldemariam. « Je veux dire que les gens le font, mais qu’ils ne veulent pas en parler », ce qui n’est pas un problème, a-t-il dit, tant que les femmes reçoivent les soins dont elles ont besoin.

La grande majorité des Éthiopiens sont conservateurs d’un point de vue social et théologique, quelle que soit leur croyance. Les leaders de la communauté chrétienne orthodoxe, majoritaire en Éthiopie, acceptent de parler de planification familiale avec les familles, mais ils n’évoquent jamais l’avortement. C’est le cas dans quasiment toutes les communautés, a expliqué M. Woldemariam.

Un prêtre du village de Mosebo a dit que c’est ce qu’il fait avec les familles et au sein de sa propre famille. « Les enfants sont un cadeau de Dieu, mais avoir des enfants que l’on ne peut pas nourrir est un plus grand péché encore », a-t-il expliqué. Magadesa Mugeda, une résidente de Mosebo enceinte de son deuxième enfant, partage ce point de vue. Elle a eu une fille il y a cinq ans et elle utilise un contraceptif injectable pour planifier sa famille. « Avec notre terrain et nos ressources, nous ne pouvions pas nous permettre d’avoir plus d’enfants », du moins pas tout de suite, a-t-elle dit.

Mme Mugeda s’est crispée lorsque le sujet de l’avortement a été abordé. « Je ne sais pas et je ne veux pas parler de ces choses-là ».

Pragmatique, Abebe Asrat, une sage-femme de la clinique Marie Stopes, partage le point de vue de Mme Mugeda. « Ne me demandez pas ce que je pense de la politique du gouvernement » en matière d’avortement, a-t-elle dit. « Quasiment tout le monde est opposé à l’avortement […] mais nous faisons ce que nous avons à faire », a-t-elle expliqué. Il y a des alternatives, a-t-elle insisté : il faudrait encourager les femmes à utiliser des contraceptifs et des méthodes de planification familiale pour prévenir toute cette épreuve.

M. Argaw a dit que, s’il ne constatait pas que les avortements sûrs sauvaient la vie des femmes, il aurait davantage de difficultés à accepter le fait que son travail soit en contradiction avec sa religion. « Du point de vue de la religion, [l’avortement] est interdit. Ma religion elle-même l’interdit. Mais pour moi, en tant qu’être humain, j’accepte le fait qu’il [est nécessaire] », admet-il. « C’est la raison pour laquelle je le pratique ».

dm/cb-mg/ld

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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