« Nous parlons des taux d’homicides et des morts. Or la peur fait partie intégrante du mandat de protection, et nous ne la mesurons pas bien », a dit Ronak Patel, directeur du programme Urbanisation et crises de l’Initiative humanitaire Harvard. Il a ajouté que les études menées au cours des dernières années dans les bidonvilles de la capitale kényane, Nairobi – c’est-à-dire en temps de paix et dans un contexte « hors crise » – montraient que 34 pour cent des habitants modifiaient leurs activités quotidiennes par crainte de la violence et qu’un quart avaient peur dans leur propre foyer.
« Cet élément, s’il n’est pas mesuré comme le taux de mortalité ou l’incidence des viols, a malgré tout un impact énorme, et la communauté humanitaire doit tenter d’y remédier. » Cette crainte affecte par exemple la capacité d’une femme à se rendre au marché, sur un lieu de travail potentiel ou au dispensaire pour y obtenir des soins de santé, a-t-il dit.
À l’occasion d’une conférence récente, Carlos Vilalta, professeur et chercheur auprès du Centre de recherche et d’enseignement économiques (CIDE) à Mexico, a présenté les résultats préliminaires d’une recherche menée actuellement au Mexique.
En se basant sur des données gouvernementales, il a estimé qu’en 2010, il en coûtait environ 611 dollars à une famille fuyant son foyer par crainte de la violence des gangs pour se réinstaller ailleurs, alors que le revenu mensuel moyen est d’environ 800 dollars. Il existe très peu d’études sur la peur du crime : selon M. Vilalta, c’est un sujet qui mérite davantage d’attention.
« Les gouvernements et les forces de police, en particulier, travaillent très fort pour combattre le crime. Ils semblent toutefois oublier que la peur du crime est aussi un problème pour la société civile et une affaire de politique pénale. »
Il a ajouté que la prémisse selon laquelle la réduction des crimes entraînerait automatiquement une baisse du sentiment d’insécurité était fausse : « Le taux de criminalité est plus faible aujourd’hui au Mexique qu’il ne l’était dans les années 1990 et, paradoxalement, la peur du crime est beaucoup plus élevée. »
Selon l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO), la crainte de la violence organisée est une constante en Amérique centrale.
« Il arrive fréquemment qu’on voie des gens fuir leur foyer et tenter, dans un premier temps, de trouver refuge auprès de membres de leur famille ou d’amis qui habitent dans le pays, mais ils sont ensuite localisés par leurs agresseurs et décident de quitter le pays », a indiqué l’ECHO dans son plan de mise en oeuvre humanitaire de 2013 pour la région.
Un rapport (en espagnol) publié récemment par le Centre international pour les droits humains des migrants (CIDEHUM), basé au Costa Rica, a confirmé que le crime organisé entraînait le déplacement de populations en Amérique centrale.
Un aspect négligé
Il y a trois ans, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui a commandé l’étude du CIDEHUM, a publié des recommandations pour aider à évaluer si les victimes de violences commises par les gangs pouvaient bénéficier de la protection internationale. Pour le moment, l’impact humain est largement négligé en Amérique centrale, a indiqué le HCR.
« Si on s’est attaqué au crime organisé dans une perspective sécuritaire, notamment par la prévention et la réponse, peu d’attention a cependant été accordée jusqu’à présent à l’impact de ce phénomène dans une perspective humanitaire et de protection », a indiqué le HCR dans un article publié en février 2013.
La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés reconnaît toutefois le concept de crainte : elle définit en effet les réfugiés comme des individus craignant avec raison d’être persécutés, et non pas comme des personnes ayant nécessairement été victimes de persécution.
Pourtant, selon Javier Rio Navarro, conseiller pour les opérations de Médecins Sans Frontières (MSF) au Mexique et en Amérique centrale, les émigrants du Mexique ou d’Amérique centrale sont souvent considérés comme des migrants économiques.
« Ce n’est plus applicable à l’ensemble d’entre eux. Un grand nombre d’entre eux sont en effet des ‘migrants de survie’, des déplacés ou, comme on les appelle n’importe où ailleurs dans le monde, des réfugiés. »
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