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Dans le nord, la honte tue autant que l’absence de traitements

Lorsqu’il a été certain qu’Awa était en train de mourir du sida, ses proches l’ont abandonnée au coin d’une rue, où le corps sans vie de cette femme d’une quarantaine d’années a été trouvé trois jours plus tard. Halima a eu plus de chance. Sa famille ne l’a pas jetée dehors à l’annonce de sa séropositivité : elle l’a installée dans un coin isolé de la maison familiale, où de la nourriture lui était donnée dans un bol, poussé jusqu’à elle à l’aide d’un bâton. Des histoires comme celle d’Awa et d’Halima (des noms d’emprunt), il y en aurait des dizaines dans la région de Kaduna, à environ 200 kilomètres au nord d’Abuja, la capitale fédérale, ont reconnu plusieurs acteurs de la lutte contre le sida au Nigeria. Dans cette région du nord du Nigeria à majorité musulmane, la stigmatisation et le déni liés au VIH/SIDA constituent les principaux obstacles auxquels sont confrontés les autorités et les organisations qui tentent de limiter la propagation du virus. «C'est vrai que la stigmatisation est généralisée», a estimé Mohammed Sagir Auwal, coordinateur de projet pour l’organisation STD/AIDS Awareness and Prevention, à Kaduna. «Mais il y a aussi un gros problème de pauvreté, les familles ne peuvent pas prendre en charge des personnes séropositives». Il y a encore quelques années, des milliers de personnes vivaient de leur travail dans les industries textiles de la ville. Mais ces dernières ont fermé les unes après les autres et les terres cultivables sont de plus en plus difficiles à trouver, a ajouté M. Auwal. Avec des taux d’infection au VIH de six pour cent, l’Etat et de la ville de Kaduna se situent au-dessus de la moyenne nationale, estimée par les autorités à cinq pour cent, soit près de quatre millions de Nigérians. Et les disparités sont importantes au sein même de l’Etat.
Map of Nigeria
Dans le nord à majorité musulmane, la stigmatisation et le déni sont les principaux obstacles à la lutte contre le VIH/SIDA
La ville carrefour de Kafanchan, plus au sud, est connue pour son activité minière et appréciée comme lieu de villégiature. Elle affiche ainsi un taux de prévalence de 9,7 pour cent, contre 2,1 pour cent à Zaria, à une centaine de kilomètres au nord de Kaduna. «Zaria est [comme Kafanchan] une ville de passage mais où la communauté, majoritairement musulmane, est très traditionnelle et fréquente peu les hôpitaux», a expliqué Andrew Yohanna du Saca, la branche du Naca, le Comité national d’action contre le sida, au niveau de l’Etat. «Même les accouchements se font encore souvent à domicile». Une ville coupée en deux Comme 11 autres Etats de la moitié nord du Nigeria, l’Etat de Kaduna a introduit la Shari’ah, la loi islamique, à partir de 2000. Or pendant longtemps, «les campagnes de sensibilisation sur le VIH ont été vues comme un moyen pour le monde occidental de pénétrer la communauté traditionnelle musulmane et de répandre sa façon de voir les choses», a expliqué M. Auwal. Les efforts de sensibilisation sur le VIH menés dans cette région ont par ailleurs été considérablement compliqués par les émeutes qui ont secoué Kaduna à plusieurs reprises depuis 2000. Ces émeutes, qui ont opposé les communautés musulmanes et chrétiennes sur fond de pauvreté et de partage du pouvoir ont fait au moins 3 000 victimes et ont modifié la physionomie de la ville, faisant fuir les chrétiens des quartiers musulmans et inversement. Aujourd’hui, la rivière Kaduna qui traverse la ville marque la séparation entre les quartiers à forte majorité musulmane d’un côté et chrétienne de l’autre. La plupart des organisations travaillant dans le domaine de la lutte contre le sida étant implantées du côté chrétien, il est devenu dès lors beaucoup plus difficile de toucher les communautés musulmanes, notamment les femmes, principales victimes de la stigmatisation liée au VIH, selon le Saca, parce qu’elles ont peu accès à l’information ou aux services de santé publique. «Très peu d’associations travaillent avec les femmes musulmanes», a regretté Yohanna. «Et pourtant, tout le problème réside dans la manière dont on aborde la question, si on commence mal, on a des problèmes, parce qu’on ne peut pas parler directement de sujets [liés à la sexualité] avec les femmes». Les histoires de femmes torturées, brûlées ou abandonnées parce qu’elles étaient séropositives n’ont pas encouragé les femmes, notamment celles de la communauté musulmane, à aller vers le dépistage du VIH ou les traitements, selon une organisation de défense des droits de l’homme basée à Kaduna. «Deux femmes musulmanes sont venues avec leurs résultats de test de dépistage du VIH, elles étaient séropositives et se sont quasiment enfuies», a raconté Ashi Appah, directrice de l’organisation Gender & Human Values Proactive. «Nous avons aussi des cas où le mari sait qu’il est infecté au VIH, il prend des [antirétroviraux] pour lui mais il ne dit rien à sa femme», a-t-elle ajouté. A cause de la pauvreté, «si un homme riche meurt laissant ses quatre femmes et qu’on savait qu’il était infecté au VIH, il y aura quand même un homme pour épouser les femmes, et elles ne peuvent rien faire», a regretté Mme Appah. Mobiliser les autorités religieuses Face à cette situation, les autorités de l’Etat et les organisations de lutte contre le sida ont tenté de mobiliser les chefs religieux, notamment musulmans. A l’initiative de la Naca, le Sultan de Sokoto, dans le nord-ouest du pays, le chef suprême des musulmans du Nigeria, a participé à des campagnes de sensibilisation sur le VIH à la radio et la télévision, prônant l’abstinence et la fidélité. Fati Mohamed, une actrice célèbre dans le nord du Nigeria, a également participé à une campagne de sensibilisation qui s’affiche un peu partout en ville. «Je croyais être informée sur le VIH mais j’ai appris beaucoup de choses en faisant la campagne», a-t-elle dit à PlusNews, en reconnaissant que les femmes de la communauté musulmane n’étaient pas suffisamment informées. Le Jama’atu Nasrul Islam (JNI), une organisation qui regroupe des associations musulmanes, et son équivalent chrétien, la Christian association of Nigeria (CAN), multiplient aujourd’hui les actions de sensibilisation au sein de leurs communautés respectives, et se sont réunies à plusieurs reprises.
[Nigeria] "You can't see aids at a first look, so be careful and protect yourself", says in Hausa this billboard in Kaduna, north of Nigeria.
Fati Mohamed, une actrice célèbre, a prêté son visage à une large campagne de sensibilisation
Mais malgré cela, les populations ne sont pas encore correctement informées en matière de VIH, et «même les personnes qui sont informées le sont de manière incomplète», selon le Saca. A l’hôpital, des patients et des organisations se sont plaints de ce que le comportement du personnel soignant changeait dès lors que la séropositivité du patient était révélée. «C’est de moins en moins vrai», a protesté un médecin d’un hôpital public de Kaduna, sous couvert d’anonymat. «Il y a aussi un problème de personnel, lorsqu’il n’y a qu’une infirmière pour 20 lits, elle ne peut pas passer tout son temps à s’occuper des personnes vivant avec le VIH, qui requièrent beaucoup de soins». «D’ailleurs il y a de plus en plus de personnel soignant infecté au VIH», a ajouté le médecin, selon qui le principal problème reste l’accès aux traitements. Sur les 4 000 personnes inscrites sur les listes du programme gouvernemental d’accès aux antirétroviraux (ARV) de l’hôpital principal de Kaduna, moins de 300 patients bénéficient de ces traitements subventionnés, a reconnu le Saca, qui estime à 230 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH dans l’Etat de Kaduna. Un traitement subventionné par le gouvernement revient à 1 000 Nairas par mois (environ sept dollars) au patient. Les possibilités de dépistage volontaire sont également réduites. Le principal centre de dépistage, le Family Ressource and Counselling Centre, mis en place avec le soutien de plusieurs partenaires dont le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’Unicef, et l’organisation nigériane Mother’s Welfare Group, suit aujourd’hui plus de 4 000 patients, dans ce centre et sa dizaine d’annexes des environs de la ville. Une centaine de ces patients reçoit des ARV à prix coûtant, soit près de 6 000 Nairas (environ 45 dollars) et tous peuvent bénéficier gratuitement des médicaments pour les infections opportunistes liées au sida. La majorité des 2 000 personnes venues se faire dépister depuis 2004 ont été référées par les hôpitaux de la région. Parmi elles, le nombre de femmes a augmenté, ont constaté les responsables du centre. «L’existence du sida est progressivement acceptée», a analysé M. Yohanna, du Saca. «Mais il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre l’ignorance, les mythes et les barrières socio-culturelles. Il faut briser le mur du silence»

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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