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Comment s’attaquer à l’esclavage en Asie

“I would get shouted at if I refused to work an extra four hours. I was only allowed go outside once every six months as security wouldn’t let us out.” Pavani, aged 18. Pavani was a victim of forced labour in an Indian spinning mill Dev Gogoi/Anti-Slavery International
Il fut un temps où l’esclavage était synonyme de chaînes, de fouets, de navires surpeuplés et de propriétaires de plantations blancs. De nos jours, le visage du travail gagé et des migrations forcées à l’échelle de la planète est bien plus disparate. En Asie, il peut revêtir l’apparence d’une jeune mariée adolescente du Myanmar, à qui un négociateur de mariage chinois a fait passer la frontière clandestinement ; d’un Cambodgien de 29 ans dont le passeport a été confisqué et qui est contraint à travailler sur un bateau de pêche thaïlandais ; ou d’un garçon bangladais de 10 ans né dans la servitude.

Quel que soit son visage, la manifestation moderne de l’esclavage existe bien et prospère même sur chaque continent et dans presque tous les pays.

L’Organisation internationale du travail (OIT) estime à 21 millions le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants contraints au travail forcé à travers le monde. De ces victimes, 90 pour cent sont dans l’économie privée, exploités par des particuliers ou des entreprises. La plupart (68 pour cent) sont contraints à un travail manuel dans l’industrie, la construction ou l’agriculture, ou travaillent comme domestiques. Environ 22 pour cent travaillent dans le commerce du sexe.

Problème asiatique

L’Asie est de loin le continent le plus concerné par l’esclavage. L’OIT estime à 11,7 millions – soit plus de la moitié (56 pour cent) – le nombre de travailleurs gagés ou forcés dans la région Asie-Pacifique. À titre de comparaison, la deuxième région la plus touchée est l’Afrique, avec 18 pour cent. Les chiffres sont choquants, mais ne sont pas nouveaux, notent les experts.

Ces dernières décennies, la nécessité d’agir pour éradiquer l’esclavage est rentrée dans la conscience collective, et a permis de répondre à certains objectifs de l’agenda de développement mondial. Les pays les plus largement touchés par l’esclavage ont ratifié des accords internationaux par lesquels ils se sont engagés à collaborer avec les organisations humanitaires et les militants pour s’attaquer au problème.


Les réseaux criminels internationaux responsables de la traite d’êtres humains sont mieux surveillés et davantage interceptés que par le passé, et les entreprises et les consommateurs ont davantage conscience de l’impact que peut avoir le fait d’encourager le travail forcé à bas prix, notamment grâce à certaines enquêtes largement relayées par les médias internationaux.

Pour de nombreuses agences gouvernementales et observatoires du crime œuvrant à éradiquer l’esclavage, il existe de bonnes raisons de se montrer optimiste. Et pourtant, le sentiment qu’il pourrait être fait plus prévaut chez les militants et les personnes sur le terrain directement confrontées aux traumatismes et aux abus qu’endurent chaque jour les victimes de trafic et d’esclavage.

Idée dangereuse

« Il existe dans la communauté de l’aide au développement l’idée dangereuse selon laquelle s’attaquer aux problèmes courants [comme la pauvreté] mettra automatiquement fin à l’esclavage », a dit à IRIN Adrian McQuade, le directeur de l’organisation Anti-Slavery International dont le siège est à Londres.

Pendant longtemps, l’organisation a fait du lobbying auprès des gouvernements et fait pression sur les institutions internationales et les entreprises pour mettre fin à l’esclavage, mais M. McQuade a dit que leurs efforts se sont de plus en plus tournés vers la communauté internationale de l’aide au développement. Selon lui, non seulement cette dernière n’en fait pas assez pour venir à bout de l’esclavage moderne, mais elle aurait même tendance à aggraver le problème.

« À moins de s’attaquer systématiquement au problème des groupes exclus, pas uniquement pour des questions de genre, mais aussi les groupes ethniques ou religieux, il existe un risque tout à fait réel qu’une intervention conduite par une agence d’aide au développement aggrave la position du groupe exclu, et le rende encore plus vulnérable à l’exploitation et à l’esclavage », a-t-il dit.

Toutes les études ont prouvé que les personnes les plus susceptibles d’être victimes de trafic ou de travail forcé sous la menace de répressions sont presque toujours issues de communautés marginales, qui sont souvent laissées en marge des programmes de développement ou sont les dernières à en bénéficier, a dit M. McQuade.

Tandis que la discrimination sexuelle figure au nombre des priorités de la communauté humanitaire depuis longtemps, d’autres discriminations envers certaines minorités ethniques ou religieuses sont abordées avec moins d’efficacité. Dans de nombreux cas, il est plus facile pour les agences d’aide au développement de concentrer leur travail et la distribution de l’aide sur les communautés majoritaires ou les groupes familiaux dominants, qui utilisent leur position d’influence pour exclure les autres politiquement et culturellement. « Si chaque projet de développement était contraint d’évaluer l’impact [de cette situation] sur l’esclavage, nous commencerions à aborder le problème de façon plus globale », a dit M. McQuade.

En Asie, le problème est souvent particulièrement prononcé dans les zones frontalières ou le long des couloirs migratoires où diverses communautés rivalisent pour les ressources et pour capter l’attention des agences d’aide au développement.


Lisa Rende Taylor est anthropologue, spécialiste indépendante des modèles de trafic et de travail gagé en Asie du Sud-Est. Jusqu’à récemment, elle travaillait pour le Projet inter-organisations des Nations Unies sur la traite des êtres humains (UNIAP). En tant que conseillère technique en chef, elle supervisait les études s’intéressant à l’économie de la traite des femmes pour la prostitution en Thaïlande, et celle des enfants vendus par leurs parents pour travailler comme mendiants.

Elle a démissionné de l’UNIAP notamment parce qu’elle se sentait frustrée par le manque de moyens octroyés aux travailleurs de terrain dans les zones de trafic. « En haut lieu, il y a des gens qui veulent faire leur travail, il existe des réunions de coordination régionale et des ateliers pays… mais quand vous vous rendez sur le terrain et que vous rencontrez ceux qui gèrent effectivement les centres d’accueil ou les refuges, c’est à peine si des ressources leur parviennent ».

Une programmation plus intelligente

Comme M. McQuade, Mme Rende Taylor dénonce l’idée fausse selon laquelle en soulageant la pauvreté on réglera le problème de l’esclavage et du trafic. Elle défend une approche de développement bien plus ciblée.

« La programmation pourrait être bien plus intelligente », a-t-elle dit en citant un exemple au nord de la Thaïlande, où ses études ont démontré que les filles victimes de la traite dans le commerce du sexe étaient de loin les plus instruites de leurs villages.

La plupart étaient exploitées en raison des attentes élevées que fondaient leurs familles quant au retour sur investissement de leur éducation. Les filles se sentaient investies d’une mission et se rendaient à Bangkok, la capitale, où elles tombaient dans la prostitution ou l’esclavage domestique.

L’intervention chargée de mettre fin à la traite de personnes dans cette région du nord de la Thaïlande implantait des fermes de champignons pour donner du travail aux familles pauvres. Les filles victimes de trafic n’étaient pas intéressées par le travail dans ces fermes et n’étaient donc pas susceptibles de bénéficier du programme. Mme Rende Taylor a dit qu’il n’était pas compliqué d’obtenir une meilleure compréhension des raisons pour lesquelles les personnes sont victimes de la traite, mais que les gouvernements et les Nations Unies ne donnent pas la priorité à ce type d’études.

De nombreuses ONG sur le terrain sont du même avis. Seri Thongmak est le directeur de la Pattanarak Foundation venant en aide aux travailleurs émigrés du Myanmar pris au piège du travail forcé en Thaïlande. Il loue le travail effectué en haut lieu en faveur d’un durcissement de la législation contre l’esclavage, mais dit que ce dont il a réellement besoin c’est de davantage de moyens pour aider son association caritative et les autres à informer les communautés vulnérables de la réalité du travail à l’étranger, et des risques de travail forcé.


« Protéger ce n’est pas concevoir un panneau d’affichage, c’est interagir avec la communauté », dit-il. « Il est difficile d’obtenir de l’aide financière pour œuvrer à l’éducation et à la protection [car] de nombreux projets contre la traite de personnes sont focalisés sur les conférences internationales et les secours d’urgence ».

Aux Nations Unies, nombreux sont ceux qui conviennent qu’il pourrait être fait davantage en faveur d’une amélioration des financements au niveau local, mais que pour que ce soit efficace, une approche conjointe permettant d’arrêter et de poursuivre ceux qui bénéficient du travail gratuit ou à bas prix est nécessaire.

« Les économies capitalisées ont converti les êtres humains en marchandises ambulantes, et n’importe où vous trouvez un besoin en main-d'œuvre à bas prix ou une demande d’approvisionnement accrue, vous trouverez des gens qui sont exploités », a dit Martin Reeve, conseiller régional sur la traite de personnes en Asie pour l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Avant de travailler dans la lutte contre la traite des personnes en Asie, M. Reeve était membre de la police britannique. Il dit que l’on retrouve dans le monde développé beaucoup des difficultés que rencontrent les pays en développement pour instaurer une législation contre l’esclavage.

« Aucune juridiction au monde ne peut affirmer en toute honnêteté contrôler le problème de la traite des personnes », a-t-il dit.

Plus d’une approche

L’une des priorités de l’ONUDC est de renforcer les moyens des organismes chargés de faire appliquer la loi, et de passer d’une approche réactive à une stratégie fondée sur le renseignement. Cela va dans le sens de l’idée selon laquelle la recherche, aussi bien dans un sens anthropologique que dans le sens d’enquêtes criminelles, permet d’améliorer l’efficacité et les résultats.

« L’application de la loi fondée sur le renseignement nous permet de décomposer la situation pour atteindre le noyau du problème et poursuivre les méchants - pas simplement ceux qui sont visibles », a dit M. Reeves.

Il prévient qu’il doit être fait preuve de prudence dans la manière dont les organisations de lutte contre l’esclavage et les militants font connaître leur activité. L’imagerie et le langage des campagnes font souvent appel au registre émotionnel et prétendent choquer et pousser les gens à agir, mais le problème est presque toujours plus complexe que ne le disent les militants. En schématisant ou en exagérant les chiffres ou les faits, le risque est de provoquer l’indifférence.

« Lorsque le problème n’est pas traité avec sobriété, vous prenez le risque de désensibiliser les gens », a dit M. Reeves. « Nous devons utiliser les chiffres et le langage avec précaution, et nous assurer que les gens comprennent qu’il n’existe pas qu’une seule approche ou solution ».

fb/ds/he-xq/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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