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« On ne peut pas toujours appliquer les règles » – Rebelles syriens et DHI

Rebel fighters of the religiously conservative Liwa al Fateh Brigade of the Free Syrian Army (FSA) put their guns down for prayer near the Menagh airbase in Aleppo governorate. Syrian rebels have used a mix of religion, international humanitarian law and Contributor/IRIN
Les rebelles syriens essuient de plus en plus de critiques concernant des violations du droit humanitaire international (DHI) et des droits de l’homme. Selon des analystes et des interviews réalisées par IRIN avec des combattants, ils se tournent vers une combinaison de la loi islamique, du DHI – ce qu’ils en connaissent du moins – et de leur propre sens de la justice pour déterminer comment agir en temps de guerre.

D’après un rapport publié à la fin de l’année dernière par le Centre pour les civils dans les conflits (Center for Civilians in Conflict, CIVIC), l’absence de structures cohérentes de contrôle et de commandement au sein de l’opposition entrave la capacité des rebelles à limiter les dommages causés aux populations civiles et à faire respecter dans leurs rangs les principes du DHI et des droits de l’homme. Alors que des centaines de milices et de bataillons opèrent sur le terrain, chaque groupe semble en effet suivre ses propres règles.

Comme l’a dit Aron Lund, un spécialiste des groupes d’opposition syriens : « Certains groupes respectent la charia, d’autres préfèrent la loi des armes – la justice révolutionnaire. »

Sources de référence

Faris Al-Bayoush, un ancien colonel qui dirige maintenant une unité de l’Armée syrienne libre (ASL) dans le gouvernorat d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, a dit qu’il voyait le mépris flagrant du régime envers les droits de l’homme comme une raison de plus pour s’engager à respecter les normes internationales.

« Les abus sont l’une des principales causes de la révolution. Il est donc évident que nous devrions respecter le droit humanitaire. »

Il a dit à IRIN qu’il connaissait le contenu de tous les accords internationaux pertinents parce que l’armée syrienne organisait des formations sur le DHI pour ses officiers. « Elle ne respecte pas le DHI, mais elle l’enseigne », a-t-il dit. Il tente de s’assurer que tous ses hommes respectent aussi les règles en leur donnant des instructions avant chaque opération. Les comportements des hommes de son unité ne sont cependant pas seulement régis par le DHI, mais aussi par la loi islamique, ou charia. Il considère les deux sources comme complémentaires.

« La charia nous donne des instructions plus détaillées », a-t-il dit. « Par exemple, le Prophète dit qu’il ne faut pas tuer un vieil homme, blesser un enfant ou couper un arbre. »

Un nombre de plus en plus important de combattants de l’ASL considèrent en revanche que les enseignements islamiques sont une référence suffisante, même s’ils se recoupent dans de nombreux cas, en particulier en ce qui concerne le traitement des femmes et des enfants.

« En tant que musulmans, nous considérons la charia comme notre principale source de référence », a dit Raed Al-Aliwi, un ingénieur qui est devenu commandant au sein de l’ASL dans le gouvernorat de Hama. « Nous n’avons pas besoin d’étudier le droit international, car le respect des droits de l’homme vient naturellement avec notre religion. »

S’il ajouté que les violations étaient rares, il a cependant admis qu’il était parfois difficile de faire respecter les règles par tous les combattants de rang inférieur. Nombre d’entre eux ne connaissent pas du tout les normes internationales codifiées dans les quatre Conventions de Genève sur le droit de la guerre et leurs Protocoles additionnels, qui comptent au total plus de 500 articles.

« Nous sommes prêts à tout pour renverser [le président syrien Bachar Al-]Assad », a dit Abu Bakr, un combattant de l’ASL dans la ville de Homs, dans le centre du pays. M. Bakr croit que les règlements ne sont pas nécessaires et que le jugement des rebelles est suffisant. À son avis, les rebelles ont nécessairement des normes éthiques supérieures parce qu’ils se battent contre une dictature.

« Nous savons ce qui est vrai et ce qui est faux, et nous sommes du bon côté », a-t-il dit.

Les Brigades Al-Ansar, un groupe djihadiste affilié à Jabhat Al-Nosra (Front de soutien du peuple syrien), qui est considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis, dépendent d’un érudit religieux qui est aussi commandant et qui élabore les lignes directrices auxquelles adhèrent tous les membres.

« Je n’ai aucune idée du contenu des Conventions de Genève ou de tout autre traité, mais je suis certain que la loi islamique est bien meilleure parce que c’est la plus juste au monde », a dit Abu Mousab, l’un des commandants du groupe.

Même chez les combattants de l’ASL qui ont manifesté leur volonté de se conformer au DHI, on remarque un sentiment de frustration croissant à l’égard de la communauté internationale et de ses principes.

« Nous vivons à l’époque des combattants », a dit Manhal Abu Bakr, un membre de l’ASL à Hama. « On ne peut pas toujours appliquer les règles quand personne d’autre ne le fait. Nous avons perdu la foi dans les lois et les politiques internationales. »

Déclaration de principes

Les rebelles ont continué de commettre des crimes en dépit des codes de conduite signés par les leaders de l’ASL pour mettre fin aux problèmes d’anarchie et de mauvaise conduite dans les rangs de l’opposition. En juillet, le haut commandement de l’ASL a publié une « Déclaration de principes » dans laquelle il s’engage à respecter les droits de l’homme, le pluralisme et la démocratie et promet de faire « de son mieux pour se conformer aux normes et au droit humanitaire international, notamment en traitant humainement les détenus, même si le régime d’Assad commet des crimes contre l’humanité ».

Pour des observateurs comme Michael Shaikh, directeur des opérations pays auprès du CIVIC et auteur d’un rapport du CIVIC qui examine la vision qu’a l’opposition syrienne des principes du DHI, cette déclaration démontre un certain désir de se conformer à ces principes.

« Si les codes de conduite sont plus souvent créés, au départ, pour satisfaire l’opinion publique que pour réglementer les comportements sur le champ de bataille, il y a cependant une réelle ouverture ici. »

Certains groupes font des efforts pour mettre en place des systèmes disciplinaires.

« De nombreux soldats de rang inférieur ont dit qu’ils avaient été réprimandés parce qu’ils avaient fait sauter quelque chose ou qu’ils avaient tiré alors que ce n’était pas nécessaire ; ou que des armes avaient été confisquées à la suite d’incidents impliquant des civils », a dit M. Shaikh, qui a mené des interviews auprès de combattants rebelles entre juin et octobre 2012. « Il y avait une perception inhérente selon laquelle ils devaient se distinguer du régime d’Assad. »

Certains groupes cherchent à encourager les rebelles à se conformer aux lois de la guerre. Selon un Occidental qui travaille dans des hôpitaux de fortune près d’Alep, un groupe activiste a tenté de distribuer des brochures sur le droit de la guerre dans lesquelles figuraient des extraits du Coran et de la Bible et des citations de Martin Luther King et de Mahatma Gandhi. Il a cependant été chassé par un groupe extrémiste.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a récemment commencé à organiser des ateliers sur le DHI pour les groupes d’opposition armés et négocie actuellement avec eux pour obtenir l’autorisation de visiter des lieux de détention qui sont sous leur contrôle. Il distribue également des brochures sur les obligations découlant du DHI aux membres des groupes d’opposition armés et aux soldats du gouvernement syrien qu’il rencontre sur le terrain.

Pour plus d’informations sur les violations du DHI en Syrie, consultez les documents préparés par Amnesty InternationalHuman Rights Watch (HRW) et la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, ainsi que le rapport du CIVIC.
Le Royaume-Uni finance également un programme mis en place par deux sociétés de conseil pour montrer aux rebelles à utiliser un cursus arabe sur le DHI. Par ailleurs, le Syrian Support Group, un groupe basé aux États-Unis qui détient une licence lui permettant de collecter des fonds pour l’ASL sur le territoire américain, dit financer seulement les conseils militaires qui ont adopté la Déclaration de principes de l’ASL.

Protéger leur réputation

Les efforts déployés pour limiter les abus commis par les rebelles ont également été entravés par la montée du chaos et de la violence.

« Le principal problème en Syrie n’est pas tant l’extrémisme, mais l’anarchie et l’absence d’instances dirigeantes communes et de structures capables de faire face à ce genre de choses », a dit M. Lund, qui a rédigé plusieurs rapports sur les groupes islamistes en Syrie pour l’Institut suédois des affaires internationales.

La criminalité est une plus grande menace pour les minorités que les groupes islamistes les plus extrémistes, comme le Front islamique syrien, qui a fait des pieds et des mains pour établir un dialogue avec les chrétiens (la plupart des groupes extrémistes se montrent cependant plus intransigeants envers ceux qui, comme Assad, appartiennent à la secte alaouite et sont souvent considérés comme des apostats de l’islam.)

« Ils [les groupes extrémistes] veulent protéger leur réputation », a dit M. Lund. « Ils veulent faire ce travail avec l’objectif plus général de défaire Assad. Ils sont conscients que le fait de commettre des atrocités pourrait nuire [à l’atteinte de cet objectif]... Les meurtres arbitraires ne font même pas partie de la doctrine d’Al-Qaida. »

Protection des civils

Tous les rebelles qui ont été interviewés ont dit tenter de protéger les résidents locaux pendant leurs opérations en évitant de cibler les zones habitées par des civils ou en demandant aux habitants de quitter les lieux avant de frapper.

« Il est même déjà arrivé que nous annulions des opérations après avoir réalisé que nous courrions le risque de blesser des civils », a dit Abu Mousab, des brigades djihadistes Al-Ansar.

Le CIVIC propose d’autres stratégies de protection des civils, comme d’envoyer des éclaireurs avant d’avancer ou de tendre des embuscades pendant la nuit, quand les civils risquent moins d’être à l’extérieur.

Malgré tout, les civils portent souvent le fardeau des conflits en raison d’un manque de considération de la part des rebelles. Par exemple, les rebelles mettent souvent en danger la population civile en positionnant des objectifs militaires dans des zones résidentielles. Selon le CIVIC, 10 civils ont été tués en septembre 2010 lorsque les forces du régime ont bombardé une position rebelle située juste à côté d’un immeuble à logements.

Pour empirer les choses, les groupes rebelles utilisent de plus en plus fréquemment des tactiques de guérilla, comme les attentats-suicides, qui font souvent de nombreuses victimes civiles. En septembre, par exemple, un double attentat-suicide possiblement organisé par Jabhat Al-Nosra a fait des dizaines de morts à Damas.

Qui peut être considéré comme un civil ?

Selon les experts, l’absence d’une définition claire de ce qu’est un civil est l’une des principales causes de préoccupation.

« Parmi les rebelles avec qui je me suis entretenu, nombreux sont ceux qui se considèrent comme des civils qui ont pris les armes. Ils ne croient pas que les règles s’appliquent à eux », a dit M. Shaikh. Dans le même temps, lorsqu’ils considéraient leurs opposants, « ils avaient une compréhension très élargie du civil comme d’une personne qui ne porte pas d’arme à feu » et n’appliquait pas le terme aux Alaouites ou à ceux qu’ils croyaient faire partie des milices chabiha, qui soutiennent les forces gouvernementales.

D’autres ne réfléchissent tout simplement pas en termes de « civils » ou de « combattants ». En effet, selon la charia, cet élément n’est pas le seul facteur permettant de déterminer si une personne est une cible légitime ou non.

Dans une interview télévisée postée sur Internet, Youssef Al-Qaradawi, traditionnellement considéré comme un imam modéré, a dit que tous les collaborateurs du gouvernement syrien « injuste » devraient être éliminés, qu’ils soient des civils ou des combattants, une opinion partagée par certains combattants.

Les hommes d’affaires qui participent au financement des milices pro-gouvernementales « sont considérés comme des combattants » et sont généralement condamnés à mort s’ils sont trouvés coupables d’avoir apporté leur soutien au régime devant l’un des tribunaux judiciaires du groupe, a dit Hamza Abdulrahman, un membre du groupe islamiste Ahrar al-Sham [Brigades des hommes libres de Syrie] à Idlib.

Comme d’autres, il a admis que sa brigade battait parfois les détenus pendant les interrogatoires – « mais nous ne torturons pas comme le fait Assad ». Les détenus sont ensuite transférés à l’un des tribunaux du groupe. Toute personne trouvée coupable de meurtre, de kidnapping ou même de vol peut être exécutée, a-t-il dit. Les soldats de l’armée du régime qui se font capturer sont souvent tués, à moins de se faire prendre alors qu’ils font défection.

En dépit de leur influence croissante, les groupes extrémistes agissent avec plus de retenue en Syrie qu’ils ne l’ont fait en Irak, a dit M. Lund, « probablement parce qu’ils ont compris qu’ils peuvent perdre le soutien populaire lorsque le contrôle de la situation leur échappe et parce qu’ils savent que la question des minorités est explosive en Syrie et qu’ils doivent dès lors se montrer prudents ».

Il a cependant averti que « la situation allait probablement évoluer avec le temps ».

Pour les interviews complètes avec les combattants rebelles, cliquez ici.

Comment les rebelles syriens considèrent-ils l’accès humanitaire ?
En vertu du droit humanitaire international (DHI), les parties à un conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre des convois de secours à condition qu’ils se soumettent à leur droit de contrôle. Quel est l’avis des rebelles syriens à ce sujet ?

En dépit des différences entre les divers groupes, tous les combattants interviewés ont dit qu’ils n’attaqueraient jamais un convoi humanitaire. Même les groupes les plus extrémistes ont dit qu’ils seraient prêts à faciliter l’accès des travailleurs humanitaires et à les protéger – sous certaines conditions.

« La présence des travailleurs humanitaires ne dérangerait personne, à moins qu’ils viennent pour nous espionner », a dit Manhal Abu Bakr. « Nous voudrions savoir qui ils sont exactement. Ça ne se passerait pas bien sinon. Il y aurait des soupçons. »

« Nous n’avons aucune objection à ce que des gens viennent aider, mais ils doivent agir en coordination avec nous », a ajouté Osama Hadba, un membre de la brigade Liwa Al-Fatah de l’ASL à Alep.

Selon un travailleur humanitaire, certaines organisations ont pris soin de ne pas apposer le logo de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) sur les denrées livrées. Par ailleurs, le Washington Post a récemment rapporté que les États-Unis « nourrissaient les Syriens, mais secrètement ».

En outre, de nombreux groupes rebelles procèdent à leurs propres distributions de vivres. « Cela fait partie intégrante de leur propagande », a dit M. Lund. « Ils veulent avoir l’air de se préoccuper des affaires civiles et pas seulement des combats. » Jabhat Al-Nosra, par exemple, a déployé beaucoup d’efforts pour organiser des distributions de pain et rétablir circulation des bus.

Comme d’autres combattants avec qui se sont entretenus les journalistes d’IRIN, M. Hadba a insisté sur le fait que tous les civils méritaient la même aide, indépendamment de leur religion ou de leur affiliation politique.

« Lorsque nous distribuons des denrées alimentaires, nous allons de maison en maison pour voir qui en a besoin », a dit Raed Al-Aliwi, le commandant de l’ASL à Hama. « Nous ne demandons pas aux gens leur religion ou leurs opinions politiques. »

Des combattants ont cependant admis qu’ils distribuaient surtout des denrées dans les zones dont les résidents leur accordaient leur soutien parce qu’ils n’avaient pas accès aux zones dominées par les partisans du régime.

Selon un travailleur humanitaire, « le véritable test » viendra lorsque les travailleurs humanitaires tenteront d’accéder à des quartiers qui soutiennent le gouvernement, mais qui sont encerclés par des groupes d’opposition. « Jusqu’à présent, c’est généralement le contraire qui s’est produit. Ils n’avaient donc pas de raison de nous rendre la vie difficile. »

Certains groupes rebelles ont cependant arrêté des convois d’aide sous la menace des armes pour piller leur contenu et redistribuer les denrées à leurs membres, qu’ils croient avoir davantage besoin d’aide.

gk/ha/cb – gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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