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La nouvelle procureure de la CPI promet de se concentrer sur les victimes

Fatou Bensouda, new Prosecutor of the International Criminal Court (ICC) UN Photo/Rick Bajornas
Qu’un tribunal chargé de juger des crimes de guerre se concentre sur les victimes de ces crimes semble être un simple concept.

Pourtant, de nombreux membres des communautés africaines au sein desquelles ont eu lieu la plupart des atrocités jugées par la Cour pénale internationale (CPI) se plaignent depuis longtemps d’avoir été oubliés par cette institution coûteuse et sujette à controverses, siégeant à des milliers de kilomètres.

La nouvelle procureure de la CPI s’est engagée à faire des victimes, et notamment des femmes et des enfants, sa priorité. Les analystes craignent toutefois que les restrictions budgétaires rendent ses promesses difficiles à tenir.

Dans son discours de prise de fonction, en juin dernier, Fatou Bensouda a dit qu’elle allait « écouter et [se] concentrer sur les millions de victimes qui continuent de souffrir des crimes commis à grande échelle ».

« Une dissuasion efficace et le sauvetage des vies de millions de victimes sont le retour sur investissement de ce que d’autres peuvent considérer aujourd’hui comme un coût élevé pour la justice », a dit Mme Bensouda en succédant à Luis Moreno-Ocampo dans la plus haute fonction de la CPI. Cette ancienne procureure générale et ministre de la Justice gambienne a été procureure générale adjointe de M. Ocampo pendant plus de huit ans. .

Sunil Pal, directeur de la section juridique de la coalition pour la CPI, une organisation de défense des droits regroupant 2 500 organisations de la société civile dans 150 pays, s’attend à ce que Mme Bensouda apporte sa touche personnelle à la fonction de procureur. Il salue son sens de la diplomatie et son souci pour le sort des victimes.

« [Avec Mme Bensouda,] le ton est très positif », s’est-il réjoui. « L’accent est réellement mis sur le travail avec les victimes et la manière de s’assurer que le processus est utile à ses bénéficiaires directs, à savoir les victimes. Il s’agit de reconnaître l’importance des victimes dans ce processus, de prendre ce rôle en considération et de le renforcer. »

La CPI est le tribunal international le plus soucieux des victimes, du moins sur papier.

Les personnes reconnues comme des victimes par la Cour se voient attribuer un avocat et sont autorisées à participer au procès et notamment à poser des questions aux témoins. Les victimes ayant subi des blessures ou des préjudices dus à un crime commis par une personne déclarée coupable par la Cour ont droit à une restitution, une indemnisation ou une réhabilitation.

Le processus de réparation est en cours dans l’affaire Thomas Lubanga, le seul procès mené à son terme pendant les neuf ans de mandat de M. Ocampo, mais les indemnités ne seront pas versées avant de longs mois. M. Lubanga était un chef de milice congolais, qui a été reconnu coupable d’avoir recruté des enfants.

Il revient au greffe et aux juges, et non au procureur, d’expliquer la procédure de réparation aux victimes. Pourtant, selon les analystes, c’est Mme Bensouda qui devrait prendre la responsabilité d’améliorer la communication avec les victimes, qui se plaignent souvent du manque d’information émanant du tribunal de La Haye au sujet des procès.

« Les victimes ne sont généralement pas assez informées, ce qui conduit à une perception parfois fausse du travail de la Cour », a expliqué Carla Ferstman, directrice de Redress, un groupe de défense des droits de l’homme qui travaille auprès des victimes de crimes de guerre. « Il ne s’agit pas seulement de mauvaises pratiques de la part du procureur, mais aussi d’une mauvaise compréhension des pratiques. »

« Mme Bensouda a un rôle à jouer dans la communication et la collaboration avec les victimes. Il faut qu’elle les considère comme des partenaires. Ce sont des parties prenantes avec qui elle doit travailler et qu’elle doit impliquer dans le processus. »

La CPI a souvent été sujet à controverse. On lui reproche notamment de privilégier les affaires concernant l’Afrique. Les détracteurs les plus virulents du continent, où la coopération est pour le moins inégale, l’ont même accusée de partialité. Onze mandats d’arrêt contre des accusés africains sont actuellement en suspens.

Selon M. Pal, en soulignant l’importance des victimes, Mme Bensouda donnera une plus grande portée au travail de la CPI dans les lieux où elle enquête.

« La communication est [une] priorité, [notamment le fait de] s’assurer que le processus est pertinent et utile pour les victimes et de dialoguer avec elles, de les éduquer et de les informer sur le processus de prise de décision, surtout dans le cas des examens préliminaires », a-t-il dit.
 
« Il s’agit de créer un environnement propice afin de faciliter le travail de la Cour sur le terrain, ce qui lui permettra de susciter l’adhésion [des parties prenantes] et de contrecarrer les accusations de partialité. »
 
Budget limité

Avec un budget limité de 108 millions d’euros cette année et un nombre d’affaires toujours croissant, la CPI pourrait avoir du mal à respecter son obligation de rester en contact avec les victimes. Les États font pression sur la CPI pour qu’elle réduise son budget, ce qui pourrait avoir un impact sur la participation des victimes et la communication avec les parties prenantes sur le terrain.

Thomas Lubanga at his first appearance before the ICC in March 2006.
Photo: ICC-CPI/Hans Hordijk
La CPI a rendu son premier verdict en condamnant l’ancien chef de guerre congolais Thomas Lubanga
« Les efforts d’information et de sensibilisation des victimes et des communautés affectées présentent des difficultés particulières, qui n’en seront que moins aisées à surmonter en cas de coupes budgétaires supplémentaires », a dit M. Pal.

« Ces activités sont essentielles pour s’assurer que les victimes et leur communauté comprennent ce que la Cour essaye de réaliser pour elles. Il est également essentiel de faciliter leur participation aux procès en leur expliquant leurs droits dans les processus menés par la CPI. »

Kenya


La tâche de Mme Bensouda d’améliorer les relations en Afrique pourrait également être entravée par les procès imminents de quatre personnalités kényanes accusées d’avoir orchestré des violences post-électorales en 2007. L’affaire a suscité un grand intérêt au Kenya, où le débat fait rage pour déterminer si la Cour porte ainsi un coup à l’impunité ou si elle s’attaque à des victimes innocentes.

Selon Nick Kaufman, ancien procureur de la CPI devenu avocat de la défense, notamment pour des clients congolais accusés de crimes de guerre, la principale priorité de Mme Bensouda devrait être de veiller au bon déroulement des poursuites.

« Je pense que c’est une bonne chose que la procureure actuellement en charge de la Cour soit africaine, car elle pourra apporter son propre point de vue culturel à l’affaire, notamment pour s’en sortir avec le champ de mines de la politique kényane, dont les acteurs suivent avidement le développement de l’affaire », a-t-il dit. « Il est rare qu’un jour passe sans qu’aucune référence à l’affaire soit faite dans les médias kényans. »

Affaire Lubanga

Ailleurs en Afrique, Mme Bensouda devra expliquer aux victimes et aux autres la peine prononcée récemment contre M. Lubanga pour des crimes commis en République démocratique du Congo (RDC). Mme Bensouda était présente au procès, le 10 juillet, en tant que membre de l’équipe chargée des poursuites, lorsque les juges ont condamné le chef de milice à 14 ans de réclusion tout en le félicitant d’avoir supporté les erreurs de procédure commises pendant le procès qui a failli être interrompu définitivement à deux reprises.

Selon Bukeni Waruzi, spécialiste des enfants-soldats et directeur de programme de l’organisation non gouvernementale (ONG) Witness pour l’Afrique et le Moyen-Orient, les victimes ont eu des réactions mitigées.

« Certains sont réellement heureux qu’il soit au moins condamné », a commenté M. Waruzi. « Mais d’autres pensent que [la peine devrait être plus lourde]. S’il avait été jugé en RDC, compte tenu de la gravité de ses crimes, il aurait pu être condamné à plus de 14 ans. »

Dans le cadre de l’un de ses derniers actes en tant que procureur, M. Ocampo avait demandé la peine maximale de 30 ans. Comme il a déjà passé six ans derrière les barreaux, M. Lubanga pourrait être libéré dans moins de huit ans.

Selon M. Kaufman, cela place Mme Bensouda dans une situation délicate par rapport aux victimes.

« Elle est obligée de soutenir la politique de condamnation défendue à tort par son prédécesseur. Je dis bien à tort, car c’était une véritable erreur de la part du procureur de demander une peine maximale autre que la perpétuité pour un crime de cette nature », a dit M. Kaufman.

Ce dernier s’attend à des changements au sein de la CPI sous le mandat de Mme Bensouda, qui a dû surmonter un début difficile avec l’arrestation par les autorités libyennes de l’avocate à la défense, Melinda Taylor, accusée d’espionnage pour le compte de son client, Saif al-Islam Kadhafi.

« Elle est complètement différente de M. Ocampo. Je ne pense pas qu’avec Fatou nous assistions à des bouffonneries comme celles de M. Ocampo — comme courtiser des stars du cinéma ou d’autres personnalités n’ayant aucun rapport avec la justice internationale », a dit M. Kaufman, qui représente également deux des enfants de Mouammar Kadhafi, Aisha et Saadi.

« Elle aura une attitude bien plus professionnelle. C’est une oratrice très compétente et elle est également très courtoise et respectueuse. »

Surcharge de travail?

Si les analystes accordent une grande confiance à Mme Bensouda, ils craignent cependant qu’elle ait trop de responsabilités.

Jusqu’à présent, 14 affaires doivent être traitées par les juges de la CPI. Des enquêtes ont été ouvertes dans sept pays différents et des enquêtes préliminaires sont en cours, notamment en Afghanistan, en Colombie et en Corée. Le 18 juillet, Mme Bensouda a annoncé que le gouvernement du Mali avait demandé une enquête sur les violences qui ont éclaté plus tôt cette année.

« Combien d’affaires peuvent-ils encore prendre à leur charge ? » se demande William Schabas, professeur de droit international à l’université du Middlesex.

« Ont-ils déjà accepté plus d’affaires qu’ils ne peuvent réellement en gérer ? Vous voyez à quel point c’est compliqué. Regardez l’affaire Lubanga – une chambre de première instance lui a été réservée pratiquement à temps plein pendant quatre ans et ce n’est pas fini. Ils n’ont pas encore traité la question des réparations. »

En RDC, où ont éclaté de nouveaux affrontements qui auraient été orchestrés par Bosco Ntaganda, recherché par la CPI, les attentes concernant la capacité de la nouvelle procureure de mettre un terme à la violence et à l’impunité sont élevées.

« Les attentes sont nombreuses – de la part des victimes, des militants, de tout le monde », a dit M. Waruzi. « Il sera difficile pour elle [d’y] répondre tout en s’acquittant de son mandat. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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