1. Accueil
  2. Middle East and North Africa
  3. Syria

Question de principe ou pragmatisme ? Négocier l’accès humanitaire en Syrie

Local people help Syrian Arab Red Crescent volunteers unload food parcels from trucks in the main square of Bludan, Syria, at an impoverished warehouse donated by a local businessman Ibrahim Malla/Syrian Arab Red Crescent

GENÈVE, 11 juin 2012 (IRIN Middle East) - Si le plan de réponse du gouvernement syrien approuvé par les Nations Unies après six semaines de négociations est conforme aux principes humanitaires fondamentaux de neutralité et d’impartialité, il ne permet pas, selon des travailleurs humanitaires, le libre accès au territoire syrien tel que revendiqué par la communauté internationale humanitaire.

« Nous devons simplement accepter la situation, qu’elle soit confortable ou non, et vivre avec certaines solutions de pis-aller », a dit à IRIN Claus Sorensen, directeur général de l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO). « Si nous n’adoptions pas parfois des solutions pragmatiques, je crois que nous nous empêcherions d’intervenir dans plusieurs situations difficiles. »

Le plan s’inspire en grande partie d’une proposition récente du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Il permet à neuf agences des Nations Unies et à sept organisations non gouvernementales (ONG) internationales de fournir de l’aide à la population syrienne. On estime à un million le nombre de personnes qui ont été affectées par le conflit qui dure depuis 15 mois en Syrie : des blessés, mais aussi des personnes qui n’ont pas facilement accès à des vivres, qui ont été déplacées ou qui n’ont pas de revenu ou d’accès aux services essentiels.

Le plan permet également aux Nations Unies d’établir une présence dans quatre villes syriennes affectées par les troubles. Le gouvernement a par ailleurs promis de lever les obstacles bureaucratiques à l’aide, et notamment d’accélérer les procédures de visas et de dédouanage du matériel humanitaire. Damas a cependant limité la réponse à 44 projets spécifiques et n’a pas autorisé l’intervention de nouvelles ONG internationales afin d’accroître l’aide accordée à la population syrienne. Le régime conserve également un contrôle très strict sur l’ensemble des opérations.

Si certains travailleurs humanitaires s’inquiètent que l’aide ne soit pas véritablement neutre, qu’elle ne cible pas les bonnes personnes et qu’elle ne soit pas adéquatement supervisée, la plupart des hauts responsables sont satisfaits que l’accord ne bafoue aucun des principes fondamentaux de l’humanitarisme. Or, il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là.

Historique des négociations

Au début des négociations, le gouvernement syrien croyait qu’il devait contrôler l’ensemble du processus de réponse humanitaire par l’intermédiaire de ses ministères compétents, a dit Radhouane Nouicer, coordinateur régional humanitaire des Nations Unies pour la Syrie, qui a dirigé les négociations.

Selon des diplomates et des travailleurs humanitaires, le gouvernement syrien considérait avec méfiance la présence massive d’organisations humanitaires étrangères sur son territoire, qu’il voyait comme un cheval de Troie qui pourrait donner lieu à une intervention internationale. Les négociations ont surtout servi à le convaincre du contraire.

« On ne peut pas dire que leur scepticisme soit totalement déraisonnable », a dit M. Sorensen en parlant des autorités syriennes. « Je ne crois pas qu’en tant qu’humanitaires nous ayons beaucoup d’autres options que la persuasion et l’instauration d’un climat de confiance… Nous devons convaincre [le gouvernement syrien] de notre neutralité et nous assurer ensuite que les personnes que nous finançons se comportent elles aussi de manière appropriée. »

Ceux qui ont négocié avec le gouvernement ont dit que celui-ci ne croyait pas que le pays avait besoin d’une aide extérieure et qu’il était beaucoup plus habitué à donner qu’à recevoir. La Syrie a en effet longtemps été une terre d’accueil pour les réfugiés palestiniens et irakiens.

Damas considérait par ailleurs l’OCHA, qui avait rédigé la proposition initiale, comme une entité étrangère. Le régime n’avait jamais travaillé avec l’organisation et ne semblait pas vouloir lui accorder sa confiance.

Le gouvernement syrien préférait en effet faire appel au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en raison de sa « neutralité et de sa compétence internationale reconnue », selon Mikhail Lebedev, représentant adjoint de la Russie à la mission des Nations Unies à Genève. Le Programme alimentaire mondial (PAM) était également considéré comme « efficace et impartial » [par les autorités syriennes], a-t-il ajouté.

Il a fallu que les Russes, les Chinois et les Nations Unies – de M. Nouicer à Valerie Amos, la plus haute responsable humanitaire – exercent une pression considérable pour les faire changer de cap.

« Nous avons expliqué aux autorités syriennes qu’elles avaient tout à gagner à autoriser l’accès aux organisations d’aide humanitaire internationales », a dit à IRIN Maria Khodynskaya-Golenishcheva, troisième secrétaire de la mission russe auprès des Nations Unies. « Elles ne seraient pas simplement gagnantes d’un point de vue humanitaire, mais aussi d’un point de vue politique. Les gouvernements n’ont jamais rien obtenu – et n’obtiendront jamais rien – en fermant la porte à la communauté internationale. »

Les négociateurs ont examiné les moindres détails de l’accord. Le terme « déplacé » a été retiré de la proposition originale de l’OCHA et remplacé par « ceux qui ont quitté leur foyer ». Des références aux conséquences des sanctions et à la souveraineté de l’État ont été ajoutées.

Dans l’ensemble toutefois, le document final est très similaire à l’ébauche proposée par l’OCHA, a dit John Ging, directeur de la Division réponse et coordination de l’OCHA.

« C’est exactement ce que nous attendions », a-t-il dit à IRIN. « Il reste cependant à voir si le plan sera mis en œuvre ou non et quel sera le délai pour son application. Celle-ci devrait, à notre avis, être immédiate. »

Un accès à quel prix ?

Si certains estiment que le plan d’action représente un pas en avant, il est cependant loin d’être parfait.

Il permet seulement aux ONG internationales qui étaient déjà présentes en Syrie avant la crise (pour aider les réfugiés irakiens) d’élargir leurs activités pour venir en aide aux personnes affectées par la crise actuelle. Les tentatives répétées des ONG plus importantes comme Save the Children et Médecins Sans Frontières (MSF) pour obtenir un accès au territoire syrien sont jusqu’à présent demeurées vaines. Save the Children est l’une des organisations qui ont élaboré un plan d’urgence, et du matériel humanitaire attend à la frontière de pouvoir être acheminé.

Les ONG ont dit qu’il était difficile d’entrer en contact avec le Croissant-Rouge arabe syrien (CRAS) – l’organisation considérée comme responsable de l’enregistrement des nouvelles ONG – étant donné son rôle central dans la réponse d’urgence, et qu’il y avait beaucoup de confusion quant à la meilleure manière de déposer une demande pour intervenir en Syrie.

Le plan de réponse sera par ailleurs mis en œuvre par le gouvernement, qui désignera un responsable pour gérer les projets humanitaires et d’autres responsables pour assurer, dans chacun des secteurs, la coordination avec les organisations chefs de file des Nations Unies. La participation de toute ONG ou organisation communautaire devra être approuvée par un comité directeur présidé par le vice-ministre des Affaires étrangères et des Expatriés et dont font également partie M. Nouicer et un représentant de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI).

Selon M. Nouicer, toutes les évaluations, distributions ou réhabilitations dans des écoles ou des cliniques publiques devront être réalisées en collaboration avec les organes du gouvernement, ce qu’il considère comme normal et légitime.

« Ce sont eux qui assurent la gestion de ces établissements au quotidien et ils ont leur mot à dire sur l’utilité d’accorder la priorité à telle clinique ou à telle école ; ils sont plus au courant », a dit M. Nouicer. « Ils ont aussi des données ; ils ont des connaissances ; ils savent quels sont les besoins qui ont été exprimés par le peuple. »

Ce système n’empêchera pas les travailleurs humanitaires de venir en aide aux habitants des régions contrôlées par les rebelles, a-t-il ajouté.

Or, plusieurs modalités – par exemple, le rôle que devra jouer le CRAS en vertu du nouvel accord – ne sont pas très claires.

« Le CRAS sera informé [de toutes les opérations d’aide] », a dit M. Nouicer, « mais il ne devra pas nécessairement donner son autorisation ou accompagner [les Nations Unies et les ONG] sur le terrain. C’est comme ça que nous interprétons l’accord. Mais cela reste à voir. »

L’interprétation du gouvernement syrien est légèrement différente. À l’occasion du troisième Forum humanitaire syrien, qui s’est tenu à Genève le 5 juin et lors duquel le plan de réponse a été annoncé, l’ambassadeur de la Syrie auprès des Nations Unies à Genève, Faysal Hamoui, a dit que les organes accrédités par les Nations Unies interviendraient « sous la supervision du CRAS et en coordination avec les autorités nationales compétentes », selon une copie de son discours qu’IRIN a obtenue auprès de son bureau. « Cela nous permettra de nous assurer que ceux qui en ont besoin bénéficient d’une aide humanitaire sans discrimination », a-t-il ajouté.

Si un accord a été conclu « en principe », en réalité, « ce sont les détails qui comptent », a dit un diplomate non occidental.

Pour des raisons de sécurité, il est « inimaginable » que le gouvernement syrien autorise les travailleurs humanitaires à circuler librement comme l’exigent les États-Unis, et « il faudra du temps » pour lever les obstacles bureaucratiques à l’aide, a ajouté le diplomate.

Les travailleurs humanitaires s’inquiètent que la mise en œuvre de ce plan ne soit pas aussi immédiate et aisée que ce qui a été promis. La coordinatrice des secours d’urgence Mme Amos a d’ailleurs dit lors d’un interview à CNN : « Il sera très difficile de combler le fossé » des besoins.

« Entre l’arbre et l’écorce »

« Nous sommes tous très sceptiques, voire pessimistes à ce sujet, et nous ne nous attendons pas à grand-chose », a dit un représentant d’une ONG. « Nous avons longtemps été très déçus et il est difficile de faire la différence entre les évolutions positives et les stratégies dilatoires. À l’heure actuelle, certains signes semblent cependant témoigner d’un engagement positif. »

Quoi qu’il en soit, les bailleurs de fonds restent sceptiques quant à la satisfaction des exigences en matière de suivi et de responsabilité.

« Très franchement, les bailleurs de fonds sont pris entre l’arbre et l’écorce », a dit M. Sorensen, de l’ECHO. « Nos citoyens veulent apporter leur aide et exercent de fortes pressions pour que nous agissions. Or, les organisations humanitaires ont beaucoup de difficulté à obtenir une analyse structurée et honnête de la situation sur le terrain et l’accord de l’État souverain. Voilà les tensions auxquelles nous sommes confrontés. »

Selon un travailleur humanitaire intervenant en Syrie, certaines livraisons des Nations Unies sont tout simplement « laissées » dans un entrepôt du CRAS et il est impossible de contrôler leur destination.

M. Ging, de l’OCHA, a déclaré qu’il était tout à fait conscient des « risques manifestes » impliqués, tout comme les autres participants aux négociations.

« Nous ne sommes pas naïfs », a-t-il dit. « Je comprends les différents sentiments [qui agitent les parties prenantes] : pessimisme, doute, scepticisme, mais aussi optimisme, espoir... »

« Or, ils vont tous devoir surmonter leurs réactions émotionnelles [et] leurs opinions et décider s’ils sont prêts à prendre des risques — et, pour les bailleurs de fonds, investir de l’argent — pour réussir. »

M. Ging, M. Sorensen et M. Nouicer ont souligné que les principes d’humanité, d’impartialité et de neutralité avaient été des conditions non négociables lors des discussions et qu’elles continueraient de l’être pendant toute la réalisation des projets. L’OCHA sera chargé de contrôler les éventuels manquements à ces principes.

Tous s’accordent à dire que la meilleure approche n’est ni strictement pragmatique, ni dictée uniquement par des principes, mais qu’elle est plutôt un mélange des deux.

« Nous savons qu’en l’absence d’une intervention humanitaire efficace, des personnes souffrent et meurent. Il est donc extrêmement difficile pour nous de faire avancer les choses dans des circonstances comme celle-ci, où tout doit être négocié », a expliqué M. Ging. « Au bout du compte, il s’agit de mettre en œuvre une intervention en toute intégrité. »

En effet, en l’attente d’un tel équilibre, les Syriens étaient de plus en plus frustrés par le manque d’action.

« Nous attendions plus des organisations humanitaires », a dit un chef religieux de la ville de Homs, au centre du pays, qui ne s’est pas encore remise de plusieurs mois de siège et de conflit et où les besoins en lait maternisé, en médicaments et en soutien psychosocial, entre autres, sont très importants. Comme lui, un certain nombre de personnes ont comblé l’absence d’intervention humanitaire internationale de grande ampleur. « Les gouvernements ne laissent pas les organisations internationales travailler. C’est aux organisations de trouver une façon de collaborer avec la population pour apporter de l’aide », a-t-il dit à IRIN. « Ils doivent faire quelque chose au lieu de rester assis dans leur bureau. »

Qu’entend-on par accès ?

Certaines organisations interviennent déjà. Le PAM, par exemple, distribue de la nourriture par le biais du CRAS depuis août 2011 et a récemment doublé son objectif pour apporter de l’aide à 500 000 personnes chaque mois.

Un employé d’une autre organisation humanitaire, qui distribue de l’aide, discrètement, mais avec efficacité, dans le cadre d’un accord différent passé avec le gouvernement, a dit que ce dernier n’avait refusé aucune des demandes de déplacement de son organisation. Selon lui, une approche « sans tapage » est plus efficace qu’une campagne bruyante.

Les travailleurs humanitaires se sont également demandé si les Nations Unies auraient la capacité d’intervenir si elles obtenaient le plein accès qu’elles revendiquent. Ils ont signalé les difficultés que posaient le recrutement du personnel adéquat, le manque d’infrastructures d’aide en Syrie et les importantes restrictions imposées par les règles de sécurité des Nations Unies.

« Tous les obstacles ne viennent pas du gouvernement. Nous avons nos propres faiblesses », a dit un haut responsable des Nations Unies. « J’espère que les Nations Unies sauront relever le défi. »

Or, selon les travailleurs humanitaires, en Syrie, l’accès ne se résume pas à la possibilité pour les agences des Nations Unies de se rendre sur le terrain. Cela implique également de disposer sur place d’ONG pouvant mettre en œuvre les projets, d’obtenir des visas suffisamment rapidement pour que le personnel puisse commencer à travailler, de limiter les formalités administratives, d’établir une relation de confiance entre les organisations humanitaires et le gouvernement, de rassembler des données permettant de prendre les bonnes décisions et de créer un climat de sécurité et de liberté d’action pour les travailleurs humanitaires.

En lançant un appel aux dons de 180 millions de dollars pour venir en aide à un million de personnes en six mois, M. Nouicer a pris soin de ne pas surévaluer les besoins ni la capacité d’intervention des Nations Unies. À ce jour, l’appel a été financé à hauteur de 20 pour cent. Si cet argent peut être obtenu et dépensé judicieusement, M. Nouicer espère que cela ouvrira la voie à davantage d’ouverture de la part du gouvernement.

Mais des diplomates russes, qui ont salué l’ouverture de la Syrie à une plus grande intervention humanitaire, ont dit que le gouvernement pourrait être réticent à ouvrir ses frontières à d’autres ONG internationales. Ils ont également rapporté que le gouvernement exhortait les pays occidentaux et arabes à lever les sanctions, qui, selon la Syrie, seraient responsables d’une grande partie des besoins humanitaires. Le gouvernement leur aurait également demandé d’arrêter de fournir des armes aux rebelles.

Une levée des sanctions permettrait aussi de convaincre plus facilement le gouvernement d’ouvrir la porte à davantage d’ONG internationales, a fait remarquer un observateur.

ha/eo/cb-gd/amz
 


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join