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Signes inquiétants d'insécurité alimentaire en Syrie

Market in Halab, Syria. The FAO says the 2011-2012 unrest in Syria has led to localized shortages in certain markets
zz77/Flickr
Un marché alimentaire dans la ville de Halab avant les manifestations. Les troubles qui ont eu lieu en Syrie ont conduit à des pénuries sur certains marchés, même dans la capitale, Damas
Selon les experts, les Syriens pourraient avoir de plus en plus de difficulté à se nourrir au cours des prochains mois. Cela s'explique notamment par la hausse des prix, les conflits qui perturbent les lignes d'approvisionnement, l'épuisement des ressources financières qui compromet les subventions et les obstacles à l'importation.

Après près d'un an d'instabilité, il est difficile pour les travailleurs humanitaires d'évaluer avec précision les besoins alimentaires de la population. Les rares éléments d'information disponibles portent à croire que la nourriture est déjà de moins en moins accessible et abordable et que la disponibilité même des aliments pourrait devenir un problème d'ici quelques mois.

« La vie en Syrie est devenue dure », a dit à IRIN un habitant de Sahnaya, une banlieue de Damas. « L'électricité est coupée jusqu'à six heures par jour, voire plus. L'huile de chauffage et le carburant sont très difficiles à trouver », a-t-il ajouté.

Un habitant du centre de Damas a dit à IRIN qu'il devenait difficile de trouver du pain, surtout le soir. Le lait, le fromage et l'huile d'olive sont aussi des produits qui se font rares, a-t-il ajouté.

Selon le dernier compte-rendu sur la sécurité alimentaire mondiale, publié le 10 février par le Programme alimentaire mondial (PAM), 1,4 million de personnes sont tombées dans l'insécurité alimentaire depuis le mois de mars 2011, quand un soulèvement populaire contre le président Bachar al-Assad a été violemment réprimé par les forces gouvernementales, faisant au moins 5 400 morts, selon le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. L'insécurité alimentaire concerne principalement les « zones sensibles » comme Homs, Hama, la périphérie rurale de Damas, Deraa et Idleb, a précisé le PAM.

« La situation est trop explosive et les informations provenant de la Syrie sont trop incomplètes pour que nous puissions avoir une vision claire des impacts sur la sécurité alimentaire à ce stade », a dit à IRIN Nicholas Jacobs, chargé des relations avec les médias pour le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation.

De la même façon, le PAM n'a pas réussi à réaliser une évaluation exhaustive de la sécurité alimentaire et n'a pas pu savoir quels produits manquaient éventuellement sur les marchés.

« La situation est actuellement trop fragile pour poser des questions », a dit un travailleur humanitaire qui a préféré garder l'anonymat.

Le Système mondial d'information et d'alerte rapide sur l'alimentation et l'agriculture (SMIAR) de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a déclaré en octobre que cette période de troubles prolongée entraînait des perturbations dans les circuits de distribution alimentaire, ce qui conduisait à des pénuries localisées sur plusieurs marchés.

Le cas de Homs

La ville de Homs, assiégée depuis plus de deux semaines, est l'une des plus touchées.

« Il n'y a plus d'activités commerciales. La ville est fermée », a dit Saleh Dabbakeh, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en Syrie qui, avec le Croissant-Rouge arabe syrien (SARC), distribue de la nourriture aux habitants de Homs. « Si vous ne pouvez pas quitter votre maison pendant une semaine... si le magasin est fermé ou que le gérant ne peut pas aller chercher de la nourriture... comment pouvez-vous vous en procurer ? »

Un habitant du quartier d'Al-Kosoor, à Homs, qui est toujours sous le contrôle des forces gouvernementales et non de l'Armée syrienne libre (ASL) qui a pris le contrôle d'autres parties de la ville, a dit que les gens avaient commencé à stocker de la nourriture dès le début du siège, mais que les provisions s'épuisaient. La plupart des boulangeries sont fermées et la population doit faire la queue pendant des heures pour obtenir du pain, a-t-il dit.

« Nous manquons de tout », a-t-il dit à IRIN par téléphone. « Nous survivons grâce aux boîtes de conserve et aux denrées impérissables comme les lentilles et les haricots, car le régime a bloqué les accès à la ville, empêchant tout réapprovisionnement ».

« Mes réserves alimentaires risquent de s'épuiser d'ici trois ou quatre jours ».

Cet habitant a précisé qu'il n'avait reçu aucune aide, car le blocage des routes empêchait tout véhicule d'accéder au quartier.

Un habitant d'un autre quartier de Homs a cependant dit que la situation n'était pas aussi mauvaise que le rapportaient les médias. Il a dit à IRIN qu'il y avait de la nourriture dans les magasins, notamment dans les zones contrôlées par l'ASL, qui semblait être bien approvisionnée en nourriture, en argent et en armes.

Cependant, même dans les zones plus calmes comme dans la capitale, Damas, certains produits - notamment de première nécessité comme le pain ou le riz - peuvent être absents des marchés pendant plusieurs jours, a dit le travailleur humanitaire cité plus haut.

« C'est localisé. Peut-être qu'il n'y en a pas aujourd'hui, mais il y en aura deux fois plus demain... Ce n'est pas régulier. Ça va et ça vient », a-t-il dit à IRIN.

Hausse des prix

Selon les travailleurs humanitaires et les analystes, ces pénuries sont limitées et ne sont pas dues à un manque de nourriture dans le pays, mais plutôt aux difficultés de transport des produits de la campagne vers les villes.

« Il n'y a pas de pénurie alimentaire dans le sens propre du terme », a dit M. Dabbakeh, du CICR, « mais dans certaines zones du pays, des produits de base deviennent trop chers ou inaccessibles, car de nombreuses personnes ont perdu leur emploi et l'insécurité complique le transport ».

Des habitants de Damas ont dit qu'une bouteille de 25 litres de gaz de cuisine, qui coûtait 4,30 dollars auparavant, est vendue entre 8,70 et 14 dollars depuis le début des troubles. Le plateau de 30 oufs, qui coûtait 3,10 dollars, vaut maintenant entre 5,20 et 6,90 dollars et le prix du kilo de pommes de terre, qui était de 0,35 dollar, oscille maintenant entre 1 et 1,30 dollar.

Dans le même temps, l'embargo sur le pétrole et les multiples sanctions économiques imposées par l'Union européenne (UE) ont conduit à une dépréciation de la monnaie locale. Le taux de change, qui était de 46 livres syriennes pour un dollar début août 2011, atteint maintenant 58 livres syriennes pour un dollar sur le marché officiel et monte jusqu'à 75 livres le dollar sur le marché noir. C'est en novembre et décembre 2011 que la dépréciation a été la plus forte.

Selon Ayesha Sabavala, analyste de la Syrie pour l'Economist Intelligence Unit (EIU), les politiques de subvention incohérentes du gouvernement, le recul des importations de carburant de la Turquie et l'arrêt des financements de la Banque européenne d'investissement pour les projets de centrales électriques ont conduit à une importante pénurie de combustible et à une hausse des prix du carburant. Si l'opposition accuse le gouvernement de stocker du carburant pour assurer son propre approvisionnement, les sympathisants estiment quant à eux que c'est l'insécurité qui fait obstacle aux livraisons. Le PAM a remarqué que le prix du carburant avait triplé depuis le mois de mars, entraînant des répercussions sur le prix des denrées alimentaires.

« Les prix des aliments et d'autres produits de première nécessité ont atteint des sommets au cours des derniers mois et ils vont vraisemblablement rester relativement élevés en raison de l'instabilité », a dit à IRIN Abeer Etefa, porte-parole du PAM.

Problèmes d'importation

Jusque récemment, le secteur de l'agriculture syrien employait 40 pour cent de la population active et représentait 25 pour cent du produit intérieur brut (PIB). Selon le SMIAR, le pays, bien qu'autosuffisant en blé, a importé entre 1,6 et 4,6 millions de tonnes de céréales par an au cours de la dernière décennie. Les importations ont considérablement augmenté en 2008/09 et 2009/10 en raison de la sécheresse et de la propagation de la rouille jaune.

Environ 300 000 fermiers et bergers rendus vulnérables par les sécheresses récurrentes le sont encore plus à cause de l'instabilité.

Pourtant, certaines régions de Syrie - comme les plaines côtières, centre agricole du pays principalement peuplé d'Alaouites, la communauté de M. al-Assad - n'ont pas été touchées par la sécheresse ni par les inondations et sont restées relativement stables pendant la période de troubles.

L'année passée, les conditions ayant été meilleures pour l'agriculture, le nombre d'hectares plantés a augmenté d'environ 10 pour cent. Pourtant, la production nationale de céréales a diminué, ne serait-ce que légèrement, par rapport à 2010 à cause des précipitations tardives et irrégulières. Elle n'a atteint que 4,7 millions de tonnes, ce qui est peu comparé aux 5,9 millions de tonnes enregistrées en moyenne par année pour les sept années précédant la sécheresse, selon le SMIAR.

Si les précipitations, satisfaisantes jusqu'à présent, continuent jusqu'à la mi-avril, la récolte promet d'être bonne. Or, selon les prévisions du SMIAR, la Syrie va probablement devoir encore importer environ 4 millions de tonnes de céréales en 2011/12 pour répondre à la demande.

Les importations de nourriture ne sont pas concernées par les sanctions économiques sévères imposées à la Syrie par les pays occidentaux. Le Wall Street Journal a cependant signalé, le mois dernier, qu'il avait été difficile pour l'Établissement général pour la transformation et le commerce des céréales, un organisme d'État, d'assurer l'approvisionnement alimentaire à des prix compétitifs à cause de ces sanctions.

Or, selon Mario Zappacosta, économiste du SMIAR spécialisé dans le Proche-Orient, le problème risque de s'aggraver au cours de cette année.

« D'habitude, l'essentiel des importations arrive avant la récolte suivante, qui a lieu en septembre, quand toutes les réserves de produits nationaux sont en train de s'épuiser », a-t-il expliqué à IRIN. « La situation va être difficile à partir de la mi-2012, car ils vont devoir importer [davantage] ».

Les importations de nourriture coûteront plus cher en raison de la dépréciation de la monnaie, a dit Mme Sabavala, de l'EIU. Selon le PAM, les activités portuaires ont déjà été réduites et n'atteignent plus que 40 pour cent de leur capacité antérieure.

Aide

En août 2011, le PAM a commencé à apporter une aide alimentaire d'urgence à 22 000 personnes rendues vulnérables par l'insécurité. L'organisme étend ces distributions pour venir en aide à 100 000 personnes à mesure que les besoins augmentent. En raison de l'insécurité toutefois, ces dons n'ont pas atteint certaines zones de Homs, de Hama, d'Idleb, de Deraa et de la périphérie rurale de Damas, qui sont probablement les régions qui en ont le plus besoin.

Ces zones sont couvertes par le CICR, qui a distribué, en étroite coordination avec le SARC, des milliers de colis alimentaires et de kits d'hygiène aux quartiers les plus démunis dans plus de 20 villes et villages.

Le gouvernement subventionne également la distribution de produits de première nécessité comme le pain, le riz et le sucre, ce qui a permis de contenir la hausse des prix de l'alimentation jusqu'à récemment. Avec l'effondrement des revenus du pétrole, la dévaluation de la monnaie et l'épuisement des réserves étrangères toutefois, le gouvernement ne peut maintenir un tel niveau de subventions, a signalé l'EIU dans son plus récent rapport mensuel sur la Syrie. La hausse de 60 pour cent du prix du gaz butane, à la mi-janvier, « reflète les inquiétudes croissantes concernant la non-viabilité des subventions », a ajouté l'EIU.

Selon les analystes, la baisse des subventions dont bénéficie le secteur pétrolier pourrait avoir des conséquences politiques.

« Si la situation économique atteint un niveau intolérable - notamment en ce qui concerne les pénuries de nourriture et de carburant -, les milieux d'affaires, qui soutenaient jusqu'ici le régime de M. al-Assad, pourraient se retourner contre lui », a dit Mme Sabavala.

ah/ha/cb-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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