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Émergence de la société civile

The founding members of Libyan NGO Attar (Giving). The NGO was launched by Benghazi professionals eager to contribute to the humanitarian crisis in Ajdabiya and Misurata Kate Thomas/IRIN
The founding members of Libyan NGO Attar (Giving)
Mises sur la touche sous le régime de Mouammar Kadhafi, les organisations de la société civile libyenne commencent à jouer un rôle important en venant en aide aux habitants des zones « libérées » les plus vulnérables.

« Après 42 années passées à mal agir, les gens agissent désormais dans le bon sens », a dit Khaled Ben-Ali, le directeur du Comité libyen pour l’aide humanitaire (LibyanAid).

Depuis Benghazi, M. Ben-Ali a dit avoir été surpris par la capacité des Libyens à se mobiliser et à s’organiser, en mettant sur pied des organisations à partir de rien.

Les organisations non gouvernementales (ONG) internationales expriment également leur admiration face au volontarisme dont il est fait preuve à Benghazi et dans les autres zones administrées par les rebelles du Conseil national de transition (CNT). « J’ai déjà connu cela dans le cadre d’autres conflits, mais jamais dans de telles proportions », a dit à IRIN un haut responsable de la santé qui a préféré garder l’anonymat.

« Même lorsque nous voulions organiser une fête pour enfants, nous devions l’associer à quelque chose de politique, en rapport avec l’une des prétendues réussites de Kadhafi », a dit Amina Megheirbi, qui se souvient des tentatives des organisations de la société civile naissantes pour faire décoller leurs activités avant les événements de 2011.

Après des études supérieures aux États-Unis et aux Émirats arabes unis, Mme Megheirbi travaille actuellement comme professeur d’anglais à l’université Garyounis de Benghazi. Elle a longtemps allié ses fonctions académiques à des travaux d’intérêt collectif, en cherchant à identifier les besoins des membres les plus vulnérables de la société et à leur apporter son aide.

Chercher à agir de manière indépendante sous le régime de Kadhafi signifiait faire face à un système hautement centralisé dont le fameux Livre vert de Kadhafi, supposément sacré, constituait la principale référence.

Même les scouts, actifs en Libye depuis les années 1950, se devaient d’être prudents, a indiqué l’ancien scout Tarek Alzletny, en ajoutant que les organisations qui bénéficiaient du soutien de l’État étaient celles de Kadhafi.

Mme Megheirbi et d’autres ont dû se battre longuement pour être reconnus par les autorités. Ils ont dû endurer un climat de suspicion dans lequel leurs intentions faisaient régulièrement l’objet d’enquêtes et d’interrogatoires. Pourquoi voulaient-ils venir en aide aux communautés défavorisées d’une société « alors qu’ils n’appartenaient pas eux-mêmes à la catégorie des gens pauvres » ? Il était souvent vital de faire profil bas. Les nouveaux groupes subissaient des pressions constantes pour les inciter à travailler sous l’égide d’organisations créées par l’État ou par des membres de la famille au pouvoir, notamment la Waatasemu Charity Association fondée par Ayesha, la fille de Kadhafi.

Se faire entendre

« Dans les périodes de vive émotion, les gens ont tendance à se dépasser. Mais ce que nous souhaitons faire, et ce que nos homologues libyens désirent, c’est canaliser cet enthousiasme et l’utiliser de façon positive. Il s’agit plus d’un atout que d’une entrave »
Mme Megheirbi n’a jamais douté de la capacité de la société civile libyenne à se faire entendre une fois que les conditions auraient changé. « Il s’agissait d’un manqué de liberté, pas d’un manque d’assurance », a-t-elle expliqué. « Ce sentiment de fraternité et d’entraide entre Libyens a toujours existé. Je pensais que nous l’avions perdu, mais il est encore plus fort qu’auparavant. C’est le moment d’agir ».

L’impasse du mois de février à Benghazi entre les manifestants anti-Kadhafi et les forces de sécurité cherchant à étouffer les protestations a fait de nombreuses victimes, mais a également marqué un véritable changement de pouvoir. « Il n’y a pas eu de chaos », a souligné Mme Megheirbi. « La société civile a contribué à maintenir l’ordre ».

Dans les mois qui ont suivi les premières manifestations de masse, des dizaines d’organisations et de réseaux ont émergé, travaillant souvent en parallèle avec de nouveaux médias d’information, des chaînes de radio et de télévision, des journaux et de simples bulletins d’information farouchement opposés à Kadhafi.

Le phénomène ne s’est pas limité à Benghazi. D’importantes mobilisations ont également eu lieu tout à l’est du pays, à Darnah, aussi bien de la part de groupes laïques que religieux, tous profondément engagés en faveur d’une Libye post-Kadhafi. Mme Megheirbi a indiqué que les activistes de Benghazi étaient en contact avec des confrères de Misrata à l’ouest, et on parle par ailleurs de l’émergence de nouveaux groupes dans les montagnes de Nafusa.

L’approche d’Attawasul

Mme Megheirbi dirige désormais l’association Attawasul, que l’on pourrait traduire par « connecter » ou « atteindre ». L’association fonctionne à la fois comme un centre médiatique, en diffusant un journal et des programmes radio, et comme un centre de formation, en travaillant auprès de communautés ciblées et en proposant aux jeunes un accompagnement technique et des compétences en leadership.

Au départ, l’association avait été créée en tant qu’organisation féminine, mais l’enthousiasme flagrant des jeunes activistes masculins aux balbutiements de la révolution et leur volonté de contribuer ont entraîné réflexions et changements, a indiqué Mme Megheirbi.

Attawasul compte désormais 150 bénévoles et deux salariés. Un samedi après-midi, des femmes sont assises derrière leurs ordinateurs, concentrées sur leur lecture, échangeant des idées, saisissant de nouvelles informations. Leur tâche consiste à mettre à jour les fichiers des milliers de familles dans le besoin de Benghazi et de transférer ces informations aux organisations partenaires dans l’espoir qu’elles seront en mesure de fournir de la nourriture aux plus nécessiteux.

Si la ville de Benghazi a globalement été épargnée par les affrontements depuis le mois de mars, Mme Megheirbi affirme que les besoins des civils ordinaires sont toujours criants malgré leur réticence à réclamer de l’aide. De nombreuses entreprises étrangères ont suspendu leurs activités, privant ainsi une importante main-d’œuvre d’un revenu régulier. Les petites entreprises ont été fortement touchées. Le système bancaire se trouve largement en dessous de la moyenne. « En général, tout le monde souffre à Benghazi », a dit Mme Megheirbi à IRIN.

Women wait for Friday prayers to commence in Benghazi
Photo: Kate Thomas/IRIN
Des femmes attendent le début de la prière du vendredi à Benghazi (photo d’archives)
Mme Megheirbi est consciente que la plupart des nouvelles organisations (plus de 200) ayant vu le jour depuis février ne survivront pas à la révolution à Benghazi. Elle estime Attawasul et d’autres entités capables de jouer un rôle décisif à long terme, mais uniquement avec l’aide de financements plus importants permettant de louer des bureaux, d’employer du personnel et de garantir la capacité de l’organisation à s’attaquer à des projets importants. À l’heure actuelle, Attawasul dépend de l’argent généré en Libye et de futurs bailleurs de fond issus de la diaspora peinant à réaliser des transferts d’argent.

« Enthousiasme »

En tant que conseiller ONG auprès de l'organisation humanitaire internationale Mercy Corps, Stephen Allen a observé la façon dont un grand nombre d’acteurs de la société civile se sont fait connaître. « Je crois qu’il existe une vive émotion », a confié M. Allen à IRIN. « Dans les périodes de vive émotion, les gens ont tendance à se dépasser. Mais ce que nous souhaitons faire, et ce que nos homologues libyens désirent, c’est canaliser cet enthousiasme et l’utiliser de façon positive. Il s’agit plus d’un atout que d’une entrave ». 

M. Allen constate l’influence des Libyens de retour d’exil, particulièrement dans des domaines comme les droits humains et les questions de genre, et souligne le caractère toujours plus professionnel des nouvelles organisations.

Il admet que l’émergence des organisations de la société civile à Benghazi et dans d’autres régions échappant au contrôle de Kadhafi est inévitablement liée au destin de la révolution.

« De nombreuses organisations considèrent leur travail comme un service rendu à la révolution. Cela ne signifie pas qu’elles agissent mal ou qu’elles enfreignent les lois internationales, mais cela dénote qu’un long chemin reste à parcourir en termes de neutralité et de véritable impartialité ».

M. Allen reconnaît qu’il n’existe pas de modèle-type pour aider à la création de structures de la société civile. « Chaque contexte est différent. La Libye n’est pas le Sud-Soudan, et elle n’est pas l’Égypte ou la Tunisie non plus. Son climat politique et ses nuances culturelles sont uniques ». Il existe cependant des principes fondamentaux valables dans toutes les situations : les organisations de la société civile ont besoin d’une transparence financière, d’objectifs clairs et bien définis et de leaders responsables. « Ces derniers doivent surtout être capables de répondre à la question : pourquoi faisons-nous cela ? ».

cs/cb-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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