Mais vers la fin de l’après-midi, samedi, des réfugiés ivoiriens désœuvrés et qui en avaient long à dire analysaient tristement les événements des six derniers mois dans leur pays, situé juste de l’autre côté de la frontière, et exprimaient leur colère et leur inquiétude par rapport à leur avenir.
« Je n’ai pas envie d’être ici, mais quel choix a-t-on lorsqu’on est un réfugié ? », a demandé Sandigui Lacinje Traoré, qui travaillait auparavant pour les médias d’État à Yamoussoukro, la capitale administrative de la Côte d’Ivoire. « À mon avis, la guerre n’est pas encore finie », a dit M. Traoré à IRIN.
Comme de nombreux autres réfugiés du camp et des villages environnants, M. Traoré a fui la ville frontière de Toulepleu, qui a été le théâtre de violents affrontements et où régnait l’insécurité. Il s’est plaint à IRIN des pénuries d’eau et du profond ennui qui guette les réfugiés du camp. « Je n’ai même de radio pour savoir ce qui se passe », a-t-il ajouté. Il considère cependant qu’un retour à la maison est hors de question pour l’instant. « Comment pourrais-je rentrer chez moi si ma maison a été brûlée ? »
Déhi Etienne ne cherche pas à cacher ses allégeances politiques. « Je dirigeais le mouvement des jeunes de Bin-Houyé [dans la province occidentale des dix-huit montagnes], dont la mission était de mener des campagnes d’informations pour le compte du président Laurent Gbagbo ».
Lorsque les combats se sont intensifiés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et qu’il est devenu clair que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) qui soutenaient Alassane Ouattara gagnaient du terrain, M. Etienne n’a eu d’autre choix que de fuir. « Ma vie était en danger. Les rebelles s’en prenaient à tous ceux qui étaient identifiés comme des supporters de M. Gbagbo ».
Puisque les affiliations politiques correspondent souvent à des ethnies en particulier – les Guéré de l’ouest de la Côte d’Ivoire sont généralement des partisans de Laurent Gbagbo et les Malinké et les Burkinabé accordent plus souvent leur soutien à Alassane Ouattara –, l’ethnicité est également devenu un facteur de ciblage.
« J’ai l’impression que le feu n’est pas encore éteint » |
Il a ajouté : « D’ici, nous n’avons aucun moyen de savoir quelle est la situation sécuritaire ».
D’autres réfugiés ont abordé le besoin urgent de créer une nouvelle force de police et une armée régulière afin de faire cesser la terreur que font régner les milices indisciplinées.
Faire preuve de débrouillardise
En attendant de pouvoir rentrer chez lui, Ouyabi a dit qu’il resterait là avec sa femme, ses cinq enfants, sa nièce et son neveu. Les autorités du camp pourraient profiter davantage de ses compétences, a-t-il ajouté. « Avant, j’organisais des activités sportives pour les jeunes. Il y avait des matchs de football et d’autres activités. À un moment, il a été question d’aménager un terrain de sport ici, mais rien n’a été fait jusqu’à présent ».
S’ils ont reconnu les efforts mis en œuvre par les organisations d’aide humanitaire et les communautés locales pour leur fournir de la nourriture, un abri et une hygiène de base, les réfugiés de Bahn se sont malgré tout plaints de la mauvaise qualité de vie dans le camp, et notamment des conditions de logement exiguës, du régime alimentaire, largement dominé par le boulgour, un aliment peu populaire, de l’accès irrégulier à l’eau et du manque d’écoles pour les enfants.
« Les écoles qu’ils ont ici n’ont d’école que le nom », a dit à IRIN Serge*, un enseignant qui vit dans une communauté d’accueil libérienne plus au sud, à Biétuou. « Les enfants libériens vont à l’école le matin et il faut improviser le reste du temps. Les enfants qui ne vont pas à l’école peuvent dérailler et devenir un danger pour tout le monde ».
Serge n’est pas non plus pressé de rentrer chez lui. Il parle avec prudence de la situation politique en Côte d’Ivoire : « Nous pouvons obtenir des informations par nous-mêmes. Je peux traverser la frontière en moto pour retourner à Bin-Houyé, la région d’où je viens, et parler à des gens là-bas. Pour l’instant, j’ai l’impression que le feu n’est pas encore éteint ».
Perte de statut
Charles a dit qu’il tentait de reprendre contact avec sa famille, qui vit actuellement à Boauflé, dans le centre de la Côte d’Ivoire, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge.
« Nous devons aller de l’avant »
À Butuo, à quelques heures de voiture au sud de Bahn, un petit groupe de réfugiés ivoiriens et de Libériens discutent avec animation des véritables perspectives de paix, racontent des anecdotes et analysent les relations entre les différents groupes ethniques des deux côtés de la frontière.
Plus au sud, dans le département de Grand Geddeh, les réfugiés sont surtout issus de la communauté Guéré, étroitement liée aux Krahn du Liberia. À Nimba, la plupart des réfugiés appartiennent à l’ethnie Yacouba et sont donc parents des Gio du Liberia.
Certains s’inquiètent que les divisions en Côte d’Ivoire ne rouvrent les vieilles blessures au Liberia, où la guerre civile, qui a duré 14 ans, a exacerbé les tensions interethniques. L’implication de mercenaires libériens dans les deux camps du conflit ivoirien complique encore la situation.
Seuh Guéhigbeu, originaire de Bin-Houyé, s’est réfugié au Liberia il y a six ans à la suite d’une flambée de violence. Il est maintenant le porte-parole officiel des réfugiés de Butuo. M. Guéhigbeu estime que les Ivoiriens doivent s’adapter à de nouvelles circonstances. « Par le passé, nous avons vécu en paix, mais la politique a tout gâché », a expliqué M. Guéhigbeu. « Ici, tous les réfugiés sont égaux. Nous devons aller de l’avant. Il y aura certainement une minorité qui voudra résister et dira : ‘s’il faut devenir Libérien, je vais devenir Libérien’, mais ce n’est qu’une minorité. Il est difficile de convaincre tout le monde ».
*nom d’emprunt
cs/aj/cb-gd/amz
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