Depuis 1997, Kouadio cultive du cacao dans une plantation appartenant à des Guéré et située près du village de Toa-Zéo, à 5 kilomètres de la ville de Duékoué. « J’avais peur d’y aller, mais aujourd’hui, quand un membre de la famille est venu me chercher à la porte, j’ai décidé d’entrer », a-t-il dit.
Les propriétaires fonciers Guéré disent qu’au cours des derniers mois, ils ont été attaqués par des Baoulé, des Mossi (du Burkina Faso) et d’autres groupes ethniques qui cultive la région depuis des dizaines d’années. Les conflits fonciers ne sont pas nouveaux dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ils sont parfois violents et résultent d’infractions commises par les deux parties.
Selon les propriétaires fonciers et les cultivateurs, la crise postélectorale qui a vu Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo se disputer la présidence a exacerbé les tensions et déclenché des violences, causant la destruction de nombreuses maisons, le déplacement de dizaines de milliers de membres de divers groupes ethniques et la mort d’un nombre indéterminé de personnes.
M. Gbagbo bénéficie d’un large soutien au sein de la communauté Guéré. Les Burkinabé et les Baoulé (l’ethnie de l’ancien président Henri Konan Bédié, qui a soutenu M. Ouattara au second tour) sont considérés comme pro-Ouattara, qu’ils aient voté pour lui ou non. Selon les Guéré, la victoire de M. Ouattara a ouvert la porte aux attaques à leur encontre et donné lieu à « des règlements de compte ».
Dans les années 1960 et 1970, des agriculteurs des pays voisins et d’autres régions de la Côte d’Ivoire ont migré vers l’ouest du pays pour travailler dans les plantations de café et de cacao appartenant à des familles Guéré.
étude du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) et du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), traditionnellement, les cultivateurs offrent des dons symboliques (une partie des récoltes, par exemple) aux propriétaires lors d’occasions particulières comme Ies veillées funèbres. Des cultivateurs Baoulé et Burkinabé se sont rendus à la mission catholique pour saluer les propriétaires fonciers, exprimer leurs regrets concernant leur déplacement et leur offrir de la nourriture et de l’argent. Selon les propriétaires et les agriculteurs, cela pourrait être le signe qu’une cohabitation paisible entre les différentes ethnies est possible.
Kouadio a dit qu’il était triste de savoir que les propriétaires des terres sur lesquelles il travaille vivaient dans des conditions difficiles. « C’est pour cela que je suis venu les voir. Je pense revenir demain avec de la nourriture pour eux. C’est à cause du conflit que ces familles de propriétaires fonciers sont déplacées ».
Des Baoulé et des Burkinabé qui cultivent le cacao près de Toa-Zéo – l’un des villages que les familles ont fuis – ont dit à IRIN qu’ils voulaient que les propriétaires fonciers reviennent. « Je prie pour qu’ils reviennent tous et que tout le monde puisse vivre ensemble comme avant », a dit Kouadio.
Doutes
Omar*, un Burkinabé qui cultive lui aussi le cacao à Toa-Zéo, s’est rendu plusieurs fois à la mission pour parler de leur retour avec les propriétaires. Le 21 avril, il a emmené deux jeunes Guéré au village pour qu’ils y passent la nuit et fassent part de la situation aux autres familles.
« La situation de chaque village est unique », a dit Omar. « Je ne peux parler que de notre village de Toa-Zéo. Là, la guerre est finie. Il ne va rien arriver aux propriétaires de nos terres s’ils reviennent. La politique ne nous intéresse pas... Nous ne voulons plus jamais assister à ce genre de violences ». Il a ajouté qu’il serait important, au début, que des associations humanitaires aident les familles à se réinstaller au village.
Apparemment, tout le monde n’est pas en faveur de la réconciliation. De nombreuses personnes déplacées ont peur de rentrer chez elles en raison de récentes attaques à l’arme à feu et à la machette dans des villages proches de Guiglo, une ville située à 30 kilomètres au sud-ouest de Duékoué. Une femme de Guiglo âgée de 30 ans a montré à IRIN de profondes blessures de machette à la tête et au cou et a dit que son fils de sept ans avait été tué lors des attaques de la mi-avril.
À la mission catholique de Duékoué, le propriétaire foncier Téhé Fié Ernest, qui a fui son village en décembre 2010, a dit à IRIN : « au début, lorsque des agriculteurs qui cultivent nos terres voulaient venir nous rencontrer, d’autres agriculteurs refusaient en disant qu’il n’était pas question de se réconcilier... Naturellement, cela nous inquiète ».
Kouadio, le cultivateur de cacao, a dit à IRIN que, comme d’autres agriculteurs, il voulait que les familles Guéré reviennent à Toa-Zéo, mais qu’il ne pouvait « pas savoir ce que tous les agriculteurs en pensaient... la plupart des habitants de Toa-Zéo disent que les affrontements sont terminés et que les propriétaires devraient revenir ».
Confiance dans les nouvelles autorités
Photo: Nancy Palus/IRIN |
Un enfant blessé lors d’une attaque à la machette près de Guiglo |
Plusieurs Guéré ont fait part de leur inquiétude concernant les chasseurs traditionnels « Dozo » originaires du nord, une région pro-Ouattara, qui parcourraient la brousse et attaqueraient les personnes qui essaieraient de retourner dans leur village.
« Le nouveau président doit leur dire de nous laisser tranquilles, de déposer les armes et de nous laisser retourner dans nos villages pour que nous puissions reprendre une vie normale et que nos enfants puissent aller à l’école », a dit à IRIN Richard, un propriétaire foncier Guéré.
Le propriétaire foncier Téhé Fié Ernest a dit que les persécutions qui ont eu lieu à l’égard des Guéré depuis que les forces pro-Ouattara se sont emparées de la région, fin mars, ont légèrement diminué ces dernières semaines. « Nous pouvons nous déplacer plus librement qu’il y a quelques semaines dans le centre du district de Duékoué et cela montre que les autorités cherchent à rétablir l’ordre », a-t-il dit.
« Ils doivent maintenant élargir ces efforts à nos villages et nos plantations... Le nouveau président doit montrer qu’il est là pour l’ensemble des plus de 60 groupes ethniques que compte la Côte d’Ivoire. Il doit immédiatement s’occuper des problèmes dans l’ouest et faire appliquer la loi de manière équitable ».
Les communautés déplacées se trouvant à la mission se sont réunies régulièrement, notamment avec les autorités locales, pour débattre des mesures visant à faciliter et à sécuriser le retour des familles dans leur village.
*nom d’emprunt
np/he –gd/amz
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