Les collecteurs d’ordures, qu’on appelle là-bas les « zabalins », revendaient la majeure partie des déchets organiques collectés aux éleveurs porcins. Dans l’agglomération du Caire, ces deux groupes marginalisés entretenaient une relation symbiotique.
« Avant, je ramassais chaque jour 1 000 kilos de déchets pour les éleveurs porcins, et pour les recycler et les vendre aux usines », a dit Nabil Abu Mazin, un collecteur d’ordures. Il habite al-Muqattem, une banlieue du Caire aussi connue sous le nom de « Garbage City » (la ville des ordures). « Maintenant, je ramasse environ 150 kilos par jour parce que les éleveurs n’ont plus de travail ».
Selon les estimations, il y avait auparavant en Égypte quelque 300 000 porcs, élevés principalement dans la région du Grand-Caire. Selon le ministère de l’Agriculture, il a fallu environ un mois pour achever l’abattage, bien que des rumeurs affirment que de nombreux porcs ont été cachés.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a longtemps mis en doute le lien entre les porcs et le virus H1N1, et de nombreux experts de la santé ont critiqué la décision du gouvernement.
Selon l’OMS, l’Égypte a enregistré 1 053 cas confirmés de grippe H1N1 et deux décès.
Parmi la minorité chrétienne d’Égypte, certains considèrent la décision du gouvernement comme une attaque envers leur communauté, qui, selon CIA World Factbook, compte pour environ 10 pour cent des 80 millions d’habitants du pays.
Photo: Emmanuel Dunseath/IRIN |
Karim Aweida, un ancien éleveur porcin, a expliqué qu’il avait dû se séparer de 10 de ses 12 employés après l’abattage de tout son cheptel |
Le gouvernement affirme aujourd’hui que l’abattage des porcs était une mesure de santé publique.
Le ministre de l’Agriculture, Amin Abaza, a indiqué aux médias que le gouvernement planifiait de « se débarrasser des porcs depuis trois ans », et que la pandémie grippale (H1N1) était l’occasion de le faire. Il a également ajouté que l’abattage permettait de s’assurer qu’aucune nouvelle souche de H1N1 et de grippe aviaire n’apparaisse.
Selon les informations diffusées par les médias et la plupart des Égyptiens interrogés par IRIN, la population était, dans l’ensemble, favorable à cette mesure, car elle considérait comme non hygiéniques les porcs et leur élevage dans le Grand-Caire. Toutefois, maintenant que des tas d’ordures pourrissent dans les rues, certains plaident pour le retour des zabalins qui, selon diverses études comme celle publiée en 2004 par l’ONG WASTE, étaient responsables de la collecte d’environ la moitié des déchets du Caire.
Les experts de la santé s’inquiètent de l’apparition potentielle de maladies infectieuses.
Photo: Emmanuel Dunseath/IRIN |
Des habitants de la banlieue cairote d’al-Muqattem disent que 50 pour cent des enfants vivant dans cette zone ont abandonné l’école depuis mai |
Depuis l’abattage, il y a six mois, M. Abu Mazin n’envoie que deux de ses cinq enfants à l’école. Il n’a plus les moyens de payer pour les autres. Pendant les heures de cours, IRIN a vu des centaines d’enfants courir dans les rues jonchées de déchets d’al-Muqattem, un fief chrétien copte situé en périphérie du Caire.
« Environ 50 pour cent de nos enfants ont abandonné l’école dans les derniers mois et environ 75 pour cent des hommes sont maintenant au chômage », a dit Karim Aweida, un ancien éleveur porcin, à IRIN. Il a ajouté qu’il avait dû se défaire de 10 de ses douze employés parce qu’il n’y avait plus assez de travail.
M. Aweida a reçu du gouvernement une compensation financière située entre neuf et 45 dollars pour chaque porc abattu, dépendant de sa taille. Avant l’abattage, il vendait ses porcs entre 45 et 146 dollars.
Les éleveurs porcins locaux estiment à quelque 3 000 le nombre de fermes porcines situées au Caire et aux alentours. Certaines élevaient jusqu’à 2 000 porcs.
Photo: Emmanuel Dunseath/IRIN |
Des ordures ramassées par l’un des milliers de collecteurs informels du Caire |
Contrairement aux éleveurs, les zabalins n’ont reçu aucune compensation.
D’après M. Abu Mazin, les zabalins laissent maintenant les déchets organiques traîner dans les rues du Caire parce qu’ils ne trouvent pas d’acheteurs. Ils ramassent uniquement des articles qui peuvent être vendus facilement ou collectent les déchets de ceux qui les payent directement.
Dans les quartiers les plus pauvres comme celui d’Imbaba, dans le gouvernorat de Gizeh [qui fait partie du Grand-Caire], les déchets s’accumulent maintenant dans les rues. Lorsqu’ils paient leur facture d’électricité, les résidents déboursent pourtant trois livres égyptiennes (0,5 dollar) par mois pour la collecte municipale des ordures. Les entreprises commerciales paient quant à elles 25 livres (4,5 dollars) par mois.
Un conflit entre les autorités municipales de Gizeh et une entreprise italienne engagée pour collecter les ordures vient en outre s’ajouter au problème.
« La police nous harcèle continuellement lorsque nous essayons de collecter les ordures parce que nous n’avons pas d’autorisation pour le faire. Ils ont promis qu’ils nous accorderaient les autorisations nécessaires, mais nous attendons toujours », a indiqué M. Abu Mazin.
Les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Environnement ont également promis de construire de nouvelles fermes à l’extérieur de la ville pour que ceux qui ont perdu leur gagne-pain puissent reprendre l’élevage de porcs, de moutons, de chèvres et de bétail. Aucun délai n’a cependant été fixé pour le projet, et la plupart des zabalins sont sceptiques.
« Le gouvernement... nous a promis de nouvelles fermes. Nous attendons toujours, mais notre espoir [s’effrite] de jour en jour », a indiqué Tareg, un ancien éleveur porcin de la zone Batni Baqarah, dans le Caire copte, qui a refusé de donner son patronyme par crainte qu’on lui refuse une ferme.
ed/cb/gd/ail
This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions