« Nous pensons être indépendants et impartiaux. Le seul parti que nous prenons ici, c’est en faveur des victimes et de la population civile, et nous espérons que cela est bien compris », a dit à IRIN Adrian Edwards, directeur de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).
Cependant, les Talibans ne sont pas du même avis : « Les Nations Unies et les organisations humanitaires ne sont pas impartiales », a déclaré à IRIN Yosuf Ahmadi, qui s’est présenté comme le porte-parole des militants anti-gouvernementaux, par téléphone depuis un endroit non identifié.
« S’ils sont vraiment impartiaux, pourquoi utilisent-ils des voitures blindées et des services de sécurité armés, et pourquoi se cachent-ils derrière des murs fortifiés ? Ils sont financés par les Etats-Unis et le Royaume-Uni ; ils soutiennent le gouvernement fantoche de Kaboul ; et ils dégradent nos valeurs islamiques et afghanes ».
Des dizaines de travailleurs humanitaires ont été tués, kidnappés ou menacés ces dernières années, et les attaques contre les convois humanitaires ne cessent de se multiplier. Le sud, le sud-ouest, l’est et le centre du pays sont des zones où beaucoup d’organisations internationales ne s’aventurent pas.
Les attaques visant les travailleurs humanitaires sont souvent liées à des motifs politiques, et ainsi destinées à faire passer un message à la communauté humanitaire entière, a dit le Humanitarian Policy Group (HPG) dans une publication datée d’avril 2009 (Policy brief 34).
D’après le rapport Afghanistan: Humanitarianism under Threat, du Centre international Feinstein, « il n’y a pas de consensus humanitaire en Afghanistan et l’espace humanitaire est très réduit. Ces deux notions ont été piétinées par les intérêts politiques et par le manque de considération dont font preuve toutes les parties au conflit envers les souffrances des civils ».
« Fausses images »
Les observateurs sont nombreux à considérer que le flou qui existe autour de la frontière entre l’assistance humanitaire et les agendas politiques/militaires est une tendance dangereuse.
« La militarisation de l’aide, les ERP [Equipes de reconstruction provinciales dirigées par l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord, OTAN], le trop grand nombre de services de sécurité et la confusion croissante des rôles ont contribué à réduire l’espace humanitaire et à véhiculer de fausses images sur le travail des ONG », a dit à IRIN Ashley Jackson, chercheur pour Oxfam à Kaboul.
Pour en savoir plus |
Journée mondiale de l'humanitaire |
MONDE: L’action humanitaire en état de siège |
IRAK: L'aide à distance |
En outre, certains donateurs soumettent leurs financements à des conditions d’ordre stratégique et politique, allant parfois à l’encontre des principes de base de l’action humanitaire indépendante.
« Nous sentons que certains essaient de nous rapprocher de plus en plus des militaires », a dit à IRIN, en avril, Dave Hampson, représentant de Save the Children UK.
Malentendus ?
La plupart des Afghans, en particulier dans les zones rurales, ne font pas facilement la distinction entre les ONG et les autres acteurs privés ou militaires. Ils se méfient souvent des interventions humanitaires, malgré des besoins réels en matière d’abris, de soins de santé, de nourriture, d’éducation et de protection.
« En Afghanistan, il y a très peu de mobilisation visant à promouvoir l’accès et les principes humanitaires auprès des groupes d’opposition armés, bien que le pays se trouve dans un contexte extrêmement politisé, où l’opposition, qui est armée et imprévisible, soupçonne l’action humanitaire de servir d’outil politique et militaire dans le conflit », a déclaré le Norwegian Refugee Council (NRC) dans une présentation, le 28 juin 2008.
Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a été rétabli en Afghanistan en janvier 2009 – venant renforcer la composante humanitaire de l’engagement des Nations Unies.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui maintient des contacts avec toutes les parties au conflit, a dit avoir été accusé d’« arrogance » par « certains acteurs », parce qu’il souhaitait rester fidèle à ses principes de neutralité et d’indépendance et garder ses distances vis-à-vis des autres organisations.
« En 2003-2006, quand l’insécurité était moins forte dans le pays, de nombreuses ONG avaient commencé à collaborer avec des institutions publiques afghanes pour mettre en place des projets de développement et renforcer les capacités en matière de services de base comme la santé et l’éducation », a indiqué Ashley Jackson, d’Oxfam.
Des dizaines d’ONG travaillent encore sur divers programmes de développement qui sont financés, dirigés et supervisés par le gouvernement, tels que le Programme de solidarité nationale – le programme phare du gouvernement pour le développement rural – mais les insurgés prennent aujourd’hui ces travailleurs humanitaires pour cible, sous prétexte qu’ils collaborent avec le gouvernement.
Les Talibans ont, à plusieurs reprises, dissuadé les organisations et les individus de soutenir et/ou travailler avec le gouvernement.
Véhicules blindés
L’utilisation, par certaines ONG internationales et agences des Nations Unies, de véhicules blindés – avec vitres teintées et escortes armées – est très controversée.
« Certains de nos véhicules sont blindés, d’autres ne le sont pas. Cela dépend des zones et des risques. En ce qui concerne leur utilité, nous savons qu’en Afghanistan, les véhicules blindés ont sauvé des vies à plusieurs occasions. Il en va de même pour le recours à des services de sécurité ayant reçu une formation appropriée », a dit à IRIN Adrian Edwards, de la MANUA.
En juin, la FIAS – la Force internationale d’assistance et de sécurité de l’OTAN, ou ISAF en anglais – a accepté d’arrêter d’utiliser des véhicules blancs, en réponse aux appels des ONG, qui souhaitaient que la distinction entre les véhicules civils et militaires soit plus nette.
« Malgré quelques grandes avancées en matière de gestion de la sécurité, les organisations humanitaires sont confrontées à de vrais dilemmes dans certains environnements à risques, dans des contextes où les compromis à court terme menacent souvent la sécurité à long terme », observe l’article du HPG.
Le CICR et Oxfam ont dit qu’ils n’avaient pas recours à des services de sécurité armés et n’utilisaient pas de véhicules blindés afin de ne pas mettre en péril leur identité humanitaire propre.
« Certaines organisations humanitaires se sont retranchées dans des bureaux qui ressemblent plus à des forts militaires qu’à des bâtiments civils », a dit Ajmal Samadi, directeur de l’Afghanistan Rights Monitor, un organisme de surveillance des droits humains à Kaboul.
Dilemme
Du fait du manque d’accès et de la forte insécurité actuelle, les agences humanitaires sont confrontées à un dilemme : doivent-elles se retirer des zones d’insécurité ou tolérer que le personnel et les activités soient exposés à des risques importants ? Leur réponse consiste souvent à déléguer le travail humanitaire aux ONG nationales ou aux organismes et fonctionnaires du gouvernement lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des zones à risque.
Dans un rapport au Conseil de Sécurité sur la situation en Afghanistan en juin, le Secrétaire général des Nations Unies a averti que la violence atteignait un degré de plus en plus élevé, et que l’on assistait notamment à « des attentats suicides complexes, des intimidations et des assassinats perpétrés par les insurgés ».
Cependant, Reto Stocker, directeur de la délégation du CICR, s’est dit optimiste quant à l’avenir de l’action humanitaire en Afghanistan : « L’espace humanitaire peut être reconquis et étendu, car la neutralité et l’impartialité sont possibles ici », a-t-il dit.
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