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Les nomades masaïs se privent de traitements

Tiampati Ole Kirgoty, 45 ans, a l’air fatigué et son corps frêle le soutient à peine. Ses deux épouses et lui-même sont séropositifs. Ils sont censés aller chercher leurs médicaments antirétroviraux (ARV) mensuels à l’hôpital régional de Narok, chef-lieu de la province de la vallée du Rift ; mais les Kirgoty, qui appartiennent à une communauté nomade de Masaïs, se trouvent confrontés à un dilemme.

Ils quittent régulièrement le village d’Olo Lungunga dans la région de Narok Sud, leur lieu de résidence principal, en quête de pâturages plus verts pour nourrir leur troupeau, leur premier moyen de subsistance et principale source de richesse. En ces périodes, il leur est extrêmement difficile de se rendre à l’hôpital de Narok pour retirer leurs médicaments.

« Pour moi, ce qui compte vraiment, c’est de trouver de l’herbe bien verte pour mes bêtes, parce qu’elles sont la seule richesse que je connaisse », a déclaré M. Kirgoty à IRIN/PlusNews. « Ils [les travailleurs de la santé] nous disent de rester ici pour prendre à chaque fois les médicaments qu’ils nous donnent, mais mes bêtes ont aussi besoin de manger ».

« Elles sont l’avenir des nombreux fils que vous voyez ici ; à ma mort, ils se partageront [le bétail] entre eux ».

Il est arrivé plusieurs fois à M. Kirgoty de ne pas se rendre à l’hôpital pour y chercher ses ARV, mais pour une de ses épouses, Nampuoyi, mère de sept enfants, ce périple mensuel est une priorité, quel que soit l’endroit où la famille s’est installée, en quête de pâturages, et quelle que soit la distance à parcourir.

« Je ne peux pas ne pas aller chercher les médicaments parce que mon petit a aussi besoin de ces médicaments pour survivre », a-t-elle expliqué. « Mon mari accorde plus d’importance à ses bêtes qu’à sa propre vie. Moi-même, si ce n’était pour mon enfant, je n’irais pas quand nous nous installons loin ».

Un style de vie nomade 

« ...Ils nous disent de rester ici pour prendre à chaque fois les médicaments qu’ils nous donnent, mais mes bêtes ont aussi besoin de manger... »
Le taux d’infection au VIH chez les Masaïs a atteint un niveau alarmant, ces dernières années. Selon les estimations du Conseil national de contrôle du sida, l’organisme qui coordonne les différentes mesures prises par le Kenya pour lutter contre l’épidémie, 30 pour cent des Masaïs sont atteints du VIH à l’heure actuelle, soit environ quatre fois plus que le taux relevé sur l’ensemble de la population. 

Si certaines pratiques culturelles telles que le partage des femmes rendent les Masaïs particulièrement vulnérables au VIH, leur style de vie nomade entrave l’administration des traitements contre le VIH/SIDA, qui prolongent la vie des patients.

Nasela Kiampai, 33 ans, a confié à IRIN/PlusNews qu’elle avait perdu deux enfants ainsi : en insistant pour que la famille continue à se déplacer avec le bétail, son mari les avait empêchés de poursuivre leur traitement ARV.

« Lorsque les enfants ont été déclarés séropositifs en même temps que moi, le médecin nous a recommandé de toujours les emmener à l’hôpital, pour qu’ils soient soignés, mais [mon mari] a insisté pour que nous nous déplacions ensemble », a-t-elle raconté. « Je l’ai supplié de rester, mais il m’a même battue. Nous avons vu nos deux enfants mourir, l’un après l’autre, sous nos yeux ».

« Regardez-moi, regardez comme je suis faible ; et malgré ça, nous partons nous installer très loin avec les bêtes quand il ne pleut pas comme maintenant ».

Margaret Lempaka dirige Touch of Love, un organisme qui fait appel à des bénévoles pour encourager les Masaïs atteints du VIH dans la région de Narok à observer leurs traitements ARV.

« Nous nous efforçons de les atteindre où qu’ils s’installent, par l’intermédiaire de bénévoles, mais c’est difficile », a déclaré Mme Lempaka. « Les femmes sont prêtes à nous écouter, mais elles ont peur de leurs maris, qui pensent que leurs bêtes comptent plus que des vies humaines ».

Le docteur Victor Leshore, directeur de l’hôpital régional de Narok, a confirmé que bon nombre de patients issus des communautés masaïs prenaient leurs ARV de manière sporadique. « Je pense que nous avons un des cas de résistance [aux ARV] les plus graves, parce que les patients ne prennent pas leurs médicaments régulièrement comme prévu, en raison des migrations », a-t-il expliqué.

« Je pense que la meilleure façon de faire face au problème est de donner à ces gens un autre moyen de gagner leur vie, ce qui ne sera pas facile non plus ». L’organisme de Mme Lempaka tente d’aider les femmes masaïs séropositives à rester là où elles sont, en particulier celles dont les enfants ont également besoin de soins, en les aidant à créer des sources de revenus alternatives. 

« ...Leur dire d’utiliser un préservatif, une chose qui leur est étrangère, c’est violer la culture, un acte punissable au sein de notre communauté... »
« Nous leur donnons de petits capitaux pour lancer des entreprises, en tant qu’alternative au nomadisme », a expliqué Mme Lempaka. « Les veuves sont plus disposées à le faire, mais les femmes encore mariées sont complètement sous le joug de leurs maris et nos efforts n’ont pas vraiment donné de résultats avec elles ».

La culture face aux préservatifs

Les efforts déployés pour tenter de sensibiliser les Masaïs au VIH et à la prévention du virus se sont heurtés à des tabous et à des pratiques culturelles telles que le partage des femmes et des compagnes par les hommes de la même tranche d’âge.

À 14 ans à peine, les jeunes garçons circoncis sont également encouragés à montrer leur maturité et leur virilité en ayant des rapports sexuels sans protection avec de multiples partenaires. « Une fois qu’un homme a été circoncis, il est libre d’avoir des rapports sexuels avec des filles », a expliqué Mzee Nkaisery, un Masaï.

« Leur dire d’utiliser un préservatif, une chose qui leur est étrangère, c’est violer la culture, un acte punissable au sein de notre communauté ».

D’après Jack Tande, travailleur social chez Friends of the Maa, une organisation non-gouvernementale (ONG) locale qui s’efforce de sensibiliser les communautés d’éleveurs au VIH, il est difficile d’aborder l’utilisation du préservatif chez les Masaïs car leur culture interdit les discussions sur le sexe entre personnes d’âges distincts. « Nous commençons à entrevoir quelques changements », a-t-il dit, « mais il y a encore beaucoup à faire, surtout dans les zones rurales où la culture est jalousement gardée ».

ko/ks

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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