1. Accueil
  2. West Africa
  3. Guinea

Des enfants vendus et réduits en esclavage pour le prix d'un veau

Map of Chad
IRIN
The WFP service flies from N'djamena to Abeche
Vendu par ses parents à un éleveur arabe pour le prix d’un veau, Samson doit son salut à l’action du diocèse de Koumra.

Contraint de faire paître et de surveiller le troupeau de son maître toute la nuit, le jeune garçon de 10 ans s’écroule littéralement de fatigue après avoir ramené le bétail à l’enclos.

La vie semble bien difficile pour Samson qui a été arraché à ses parents et à ses camarades de jeu et a dû abandonner son dialecte et la religion catholique pour apprendre l’arabe et adopter l’islam.

Mal nourri et maltraité, il est aussi exposé la nuit aux morsures de serpent ou aux attaques d’animaux féroces qui peuplent la région boisée du sud du Tchad.

"Parfois, on nous donne juste la pâte de mil et du lait caillé sans sauce pour manger", a confié à IRIN le jeune gardien de troupeaux.

Mais Samson fait partie de ces enfants bouviers très chanceux. Il y a quatre mois, le diocèse de Koumra le récupérait, mettant ainsi fin à son calvaire.

Selon des agences humanitaires basées au Tchad, quelque 2000 enfants – dont les plus jeunes ont à peine huit ans – ont ainsi été réduits en esclavage.

Toutefois, elles reconnaissent qu’il est difficile d’avancer un chiffre exact sachant que des enfants meurent, reviennent dans leur famille ou sont adoptés par leurs nouveaux maîtres.

Chassés du nord aride par la désertification et la sécheresse qui ont transformé les plaines en vastes étendues de terre stériles, les éleveurs arabes sont descendus dans le sud à la recherche de pâturages plus verdoyants pour leur bétail.

Etant donné que le revenu moyen par habitant au Tchad – qui compte huit millions d’habitants – est de 70 cents américains, les éleveurs arabes ont trouvé dans le sud un terreau fertile pour le recrutement d’une main d’œuvre bon marché. Les parents choisissent souvent de se débarrasser de leur enfants valides pour avoir moins de bouches à nourrir.

En retour, certains parents reçoivent des éleveurs une somme forfaitaire de 10 000 à 15 000 francs CFA (entre 20 et 31 dollars), tandis que d’autres préfèrent être payés en nature et recevoir un veau pour chaque année de travail – l’équivalent de huit dollars par mois.

"C’est la pauvreté qui est la cause principale du travail des enfants chez nous au Tchad", a indiqué Raymond Doul, un représentant de l’Association jeunesse anti-clivage (AJAC), qui a pris part au séminaire d’information et de sensibilisation sur les méfaits du travail des enfants bouviers.

L’esclavage : une pratique très répandue dans le sud

La pratique de l’esclavage perdure au Tchad bien que l’Etat ait ratifié toutes les chartes internationales et notamment la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant.

Le Moyen-Chari, une province du sud-est, située à environ 500 km de la capitale N’Djamena, près de la frontière avec la République Centrafricaine, est une des zones les plus affectées.

Dans cette province, l’abondance des pâturages est à la fois un don et un malheur. Elle offre une quantité suffisante de nourriture pour les hommes et leur bétail et suscite des pratiques condamnables chez les éleveurs.

"Le travail des enfants bouviers est un drame et une honte pour la région et pour le pays", a fait remarquer Tatola Ngartokete, le gouverneur du Moyen-Chari.
Mais le gouverneur est un nouvel adepte de la lutte contre l’exploitation des enfants.

Il reconnaît qu’au début il n’était pas choqué que les enfants tchadiens travaillent pour le compte d’éleveurs arabes pour gagner l’argent ou la nourriture dont leurs parents ont tant besoin – une pratique qui remonte aux années 1970. Toutefois, il indique qu’il ignorait les conditions dans lesquelles ces enfants étaient contraints de vivre.

Les enfants vendus aux éleveurs arabes étaient souvent obligés de renier leur première identité. Les éleveurs changeaient leur nom, leur interdisaient de parler leur dialecte ou de communiquer avec des personnes de leur ethnie d’origine et les forçaient à adopter l’islam.

Les enfants bouviers qui étaient prêtés pour un contrat d’un an finissaient par passer trois années au service de leurs maîtres arabes et travaillaient de nuit pour permettre au bétail de paître sur les pâturages des Tchadiens.

A l’instar de nombreux autres pays ouest-africains, les tensions sont vives entre fermiers catholiques et éleveurs musulmans. Fin octobre, des affrontements à Bebedjia, une ville au sud du Tchad, ont fait 12 morts et les gros titres de la presse dans la capitale N’Djamena.

Braquer les projecteurs sur une question sensible
Les nombreuses campagnes de sensibilisation organisées par les autorités administratives et religieuses comme le père Nguetigal Bertin de l’église catholique de Sarh, chef lieu de la région du Barh-Ko, ont mis en exergue les horreurs que vivent les enfants bouviers.

"Le premier enfant bouvier a été découvert en 1996. Il s’est réfugié pendant deux ans chez les frères franciscains pour récupérer", a indiqué à IRIN le père Bertin. "Il a raconté sa vie dans la brousse et c’est à partir de ce moment-là que nous avons démarré notre action contre l’exploitation des enfants bouviers."

Le père Bertin indique avoir récupéré 68 enfants de 10 à 16 ans en 2000 dans cette région du Tchad.

L’entreprise est très risquée. A en croire certains rapports, des éleveurs arabes ont attaqué des personnes qui tentaient de récupérer ces enfants avec des flèches et des fusils d’assaut. Ces éleveurs estimaient qu’ils étaient dans leur droit car ils avaient loué ces enfants et pouvaient en disposer comme ils le voulaient.

Mais les progrès sont lents.

"Malgré notre combat, le phénomène se propage de plus en plus à travers toute la région sud", s’est plaint le père Bertin.

La principale difficulté est d’empêcher les parents de vendre leur enfants. Sous couvert d’anonymat, un père a confié à IRIN qu’il avait donné son enfant à un éleveur arabe il y a quelques années parce qu’il avait besoin d’argent, mais qu’il regrettait son geste aujourd’hui.

Reconnaissant qu’une action coordonnée est nécessaire pour mener le combat contre l’exploitation des enfants bouviers, le gouvernement a organisé le 21 octobre un séminaire d’information et de sensibilisation qui réunissait des prêtres catholiques, des imams, des préfets et sous-préfets, des maires et des chefs traditionnels. Ce séminaire a permis aux participants d’aborder le problème et de rechercher des solutions pour y remédier.

De l’avis de tous les participants, il convient de "récupérer tout enfant non-accompagné ou se trouvant en compagnie de personnes adultes n’ayant aucun lien de parenté avec l’enfant et de restituer ce dernier à ces parents".

Mais la mise en pratique d’une telle décision peut s’avérer difficile.

Il faudrait déjà retrouvé les enfants qui, souvent, sont bien éloignés de leur maison.

"La zone de trafic s’étend sur un rayon de 150 km", a expliqué Paulin Tolmadingar, un agent du développement rural qui participait au séminaire.

Une fois les enfants localisés, la police a besoin d’argent pour les ramener dans leur village natal. Il faut donc des fonds pour héberger et nourrir ces enfants en attendant qu’ils soient ramenés chez eux.

Une fois les enfants dans leur village, l’autre difficulté est de retrouver leurs parents qui se sont parfois enfuis à l’arrivée des agents de police de peur d’être punis pour avoir vendu leurs fils.

Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a exhorté le gouvernement tchadien à prendre des mesures fermes pour éradiquer cette nouvelle forme d’esclavage.

"Le gouvernement doit mettre en place un plan national de lutte contre cette pratique d’un autre âge", a indiqué Motoyam Nanitom, chargée de la protection de l’enfance pour l’Unicef au Tchad.

Entre temps, les nombreux enfants qui n’ont pas eu la même chance que Samson, continuent de traire les vaches de leurs maîtres arabes en attendant des jours meilleurs.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join