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Détérioration des conditions dans les prisons camerounaises

A police officer checks the papers of a motorist in Cameroon's Far North region, following an increase in check points, which are an attempt to thwart potential Boko Haram attacks. Monde Kingsley Nfor/IRIN
Les arrestations de milliers de personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec le groupe terroriste nigérian Boko Haram entraînent une détérioration des conditions de détention dans les prisons camerounaises.

Depuis 2014, au moins 1 300 personnes ont été « arrêtées arbitrairement, et nombre d’entre elles sont détenues dans des conditions déplorables, ce qui a entraîné plusieurs dizaines de décès », a dit Alioune Tine, directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Au moins 700 de ces terroristes présumés de Boko Haram sont actuellement détenus à la prison centrale de Maroua, où les conditions déjà médiocres « ont été aggravées par ces arrestations massives de membres présumés de Boko Haram », a dit à IRIN le procureur général de la Cour d’appel de l’Extrême-Nord, Joseph Belporo.

L’armée et la police se sont prévalues de la loi antiterroriste camerounaise de 2014 pour faire des rafles dans les foyers et les marchés situés le long de la frontière nigériane à la recherche de combattants présumés de Boko Haram. La plupart de ceux qui sont placés en détention provisoire sont des adolescents et des hommes, et ils sont souvent arrêtés plusieurs dizaines à la fois. De nombreuses familles disent qu’elles ignorent toujours où leurs proches ont été emmenés.

« Il est devenu normal de voir des citoyens innocents être arrêtés et détenus à des fins d’enquêtes dans le contexte de la guerre contre cette organisation terroriste », a dit Eva Etongue, de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés du Cameroun (CNDHL). « Mais nous sommes préoccupés en ce qui concerne la façon dont ces suspects sont traités et la durée de leur détention provisoire. »

Lire aussi : Le Cameroun paie au prix fort son engagement dans la lutte contre Boko Haram

Le Code pénal camerounais permet aux juges de garder des suspects en détention provisoire pour une période de six mois renouvelable une fois, mais les défenseurs des droits de l’homme disent que nombre de ces détenus sont emprisonnés depuis beaucoup plus longtemps.

« Depuis que le gouvernement a commencé à arrêter des membres présumés de Boko Haram, je crois qu’aucun d’entre eux n’a été libéré », a dit à IRIN Marie Nana Abunaw, qui gère une organisation non gouvernementale (ONG) locale appelée Prisons Fellowship.

Surpeuplement et insalubrité

Selon les statistiques de la CNDHL, 26 702 détenus sont actuellement incarcérés dans les prisons camerounaises. La capacité maximale théorique est de 17 000 détenus.

Le plus récent rapport de la Commission sur l’état des prisons fait état « d’un accès limité, voire inexistant, à des soins de santé adéquate, de mauvaises conditions d’hygiène et d’une alimentation inadéquate ». En raison du rationnement, les détenus reçoivent chaque jour un seul repas d’une valeur inférieure à 150 francs CFA (0,25 dollar).

Selon un rapport d’Amnesty International publié en septembre, au moins 40 détenus de la prison centrale de Maroua sont décédés entre mars et mai 2015 en raison de soins de santé inadéquats et de mauvaises conditions d’hygiène.

Le gouvernement a démenti ces allégations et ajouté que les agents de sécurité impliqués dans un cas particulier – 25 personnes sont décédées alors qu’elles étaient en détention provisoire – avaient été licenciés.

Le ministre des Communications Issa Tchiroma Backary soutient que les arrestations et les détentions « font partie des prérogatives des forces armées, qui sont confrontées à un ennemi sans visage », et que l’objectif des raids est de « protéger les citoyens et les territoires nationaux ». Il insiste par ailleurs sur le fait que les soldats ne détiennent pas intentionnellement des citoyens innocents sans raison.

En réponse aux préoccupations au sujet du surpeuplement des prisons et des périodes prolongées de détention, le président de la Cour d’appel de l’Extrême-Nord Fonkwe Joseph Fongang a évoqué un ensemble de facteurs permettant d’expliquer la situation, notamment la pénurie de magistrats, le manque de salles d’audience au tribunal militaire, la longueur des procédures judiciaires et le fait que certains magistrats ne maîtrisent pas bien le nouveau code de procédure pénale.

Prise de conscience ?

Mme Abunaw, de l’ONG Prisons Fellowship, a travaillé pendant 31 ans comme administratrice générale des prisons auprès du ministère camerounais de la Justice. Elle estime qu’il faut déployer davantage d’efforts pour améliorer les conditions dans lesquelles vivent les suspects en détention provisoire.

« Malgré l’augmentation du nombre de détenus dans les prisons camerounaises en raison de l’offensive contre Boko Haram, le gouvernement n’a pas augmenté les fonds alloués à la nourriture ni aux autres installations ou équipements », a-t-elle dit. « Voilà pourquoi la situation des détenus s’aggrave de jour en jour. »

À la prison centrale de Maroua, par exemple, il n’y a pas d’eau courante et 1 200 personnes doivent se partager 20 latrines, selon Amnesty International.

Célestin Yandal a été gardé en détention provisoire pendant 22 mois. Il a dit à IRIN qu’il avait subi « des châtiments et des traitements inhumains et dégradants ». Il a affirmé que pendant son séjour en prison, au moins cinq détenus mourraient chaque semaine en raison des conditions difficiles.

« C’est une prison sans eau, sans électricité et, surtout, sans toilettes », a-t-il dit. « Les détenus défèquent dans des pots. »

Règlements de comptes

Le ministre camerounais de la Justice Laurent Esso est conscient du fait que la croyance selon laquelle le système judiciaire ne fonctionne pas comme il le devrait est répandue et il ne cherche pas à dire le contraire.

« Ces affirmations ne sont pas totalement infondées ni totalement exagérées », a-t-il dit à IRIN.

M. Esso a dit que la majorité des individus gardés en détention provisoire auraient déjà été libérés si ce n’était des retards accumulés dans les procédures judiciaires. Il a admis la nécessité d’améliorer les conditions de détention et ajouté que le gouvernement cherchait à sévir contre les traitements cruels et dégradants, conformément à la Convention des Nations Unies contre la torture.

« Il y a encore de nombreux exemples de cas où la justice n’est pas rendue comme elle le devrait », a-t-il dit dans un discours l’an dernier, ajoutant que « ces cas risquent de créer un sentiment de méfiance envers l’ensemble du système ».

« Nous sommes conscients qu’il y a de nombreux innocents parmi les membres présumés de Boko Haram gardés en détention provisoire », a dit à IRIN Amowahnou Agbessi, directeur de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale.

Il a cependant ajouté : « Nous savons aussi que certains citoyens de la région de l’Extrême-Nord profitent de la situation pour régler leurs comptes avec leurs ennemis. Certains vont voir des agents de sécurité et leur disent qu’un de leur ennemi entretient des liens avec Boko Haram. Or, dans le contexte actuel, celui-ci est automatiquement arrêté et mis derrière les barreaux, car le gouvernement camerounais ne veut pas prendre de risques. »

Le gouvernement a dit qu’il travaillait actuellement à la construction de nouvelles prisons dans l’ensemble du pays afin d’atténuer le surpeuplement. Or, avec l’intensification de la lutte contre Boko Haram, il est fort probable que les conditions continuent de se détériorer avant de pouvoir s’améliorer.

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