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La tragédie des sunnites irakiens

In April 2015, four year-old son Saif and his mother Muntaher finally came home to Husseini, in the northern Diyala region of Iraq, after being displaced. The home was largely destroyed Chloe Cornish/IRIN
Les hommes armés sont partout en Irak : les peshmergas kurdes dans le nord ; les soldats de l’armée irakienne, éparpillés un peu partout sur le territoire ; les volontaires des forces de mobilisation populaire et les milices chiites, qui jouent un rôle de plus en plus important, au centre du pays ; et, naturellement, les combattants de l’État islamique autoproclamé dans l’ouest.

Les civils qui se déplacent à travers le pays doivent composer avec ces formes d’autorité disparates aux divers postes de contrôle établis sur le territoire. Celles-ci décident qui est autorisé à se déplacer et qui peut s’installer dans un endroit donné. Les Arabes sunnites ont plus de difficulté que les autres groupes à naviguer dans ce paysage traître et à s’installer quelque part.

Les massacres et les abus commis contre les membres des populations yézidie et chrétienne, beaucoup plus restreintes, ont attiré l’attention de la communauté internationale, mais la majorité des 3,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak sont des Arabes sunnites qui ont fui leur foyer lorsque l’EI est arrivé.

Ils ne trouvent refuge nulle part. Leurs terres se trouvent essentiellement sur la ligne de front ou dans des zones contrôlées par l’EI et il est difficile pour eux de s’établir ailleurs en raison de l’hostilité que leur manifestent les chiites, les Kurdes et les autres groupes.

Les Arabes sunnites sont loin d’être unifiés, mais la vaste majorité d’entre eux ne supportent pas l’EI, même si, en théorie du moins, ils appartiennent à la même branche de l’islam. « Donnez-nous des armes et nous les combattrons », a dit à IRIN un cheikh sunnite du gouvernorat de Salah al-Din, au nord de Bagdad.

Malgré tout, les autres communautés considèrent souvent les Arabes sunnites comme des sympathisants de l’EI. Vu l’insécurité constante, les autorités qui gèrent les postes de contrôle permettant l’accès aux zones sécuritaires sont aussi moins disposées à les laisser entrer.

« Il n’est pas acceptable de tirer parti du déplacement forcé causé par la guerre pour régler de vieux comptes », a commenté Christoph Wilcke, de Human Rights Watch (HRW). Or, c’est précisément ce que font de nombreux groupes armés en s’emparant des terres des Arabes sunnites après avoir chassé l’EI.

Entre le marteau et l’enclume

Les Arabes sunnites déplacés ne cherchent généralement pas à s’installer dans le sud de l’Irak, où vivent une majorité de chiites. Ils se dirigent plutôt vers la capitale, Bagdad, vers la région semi-autonome du Kurdistan irakien, dans le nord, et vers la province disputée de Kirkouk.

Hiam, une jeune femme de 31 ans, habitait la ville d’al-Dour avec sa mère, veuve, sa soeur diabétique Anaam et son frère Moyad, qui avait des difficultés d’apprentissage. Al-Dour est située dans le gouvernorat de Salah al-Din, où vivent une majorité d’Arabes sunnites. L’été dernier, l’EI est arrivé. La famille de Hiam était trop pauvre pour fuir : elle s’est donc résolue à vivre sous la gouverne des militants islamistes en dépit des conditions difficiles.

En mars de cette année, l’armée irakienne et les milices chiites alliées ont attaqué les positions de l’EI à al-Dour. Le chef de la Brigade Badr, une milice chiite tristement célèbre, a annoncé à la télévision que toute personne trouvée dans les villages contrôlés par l’EI serait considérée comme un militant. Ils n’auraient aucune pitié, a-t-il ajouté.

Craignant d’être massacrés, Hiam et sa famille élargie ont fui de village en village dans un pan de territoire contrôlé par l’EI. Elles précédaient de peu l’avance de l’armée. Elles étaient piégées. Les familles qui tentaient de fuir étaient arrêtées aux postes de contrôle de l’EI et accusées de couardise.

La famille de Hiam s’est retrouvée à Hawija, un bastion de l’EI situé dans le gouvernorat de Kirkouk, dans le nord-ouest, où la nourriture se faisait rare. Les militants ont détenu à plusieurs reprises les hommes de la famille. Après trois mois, ils n’en pouvaient plus. Ils ont vendu tout ce qu’ils avaient – leur voiture et leurs bijoux en or – et ont donné un million de dinars irakiens (840 dollars) à un passeur pour qu’il les sorte de là.

Ils ont fini par atteindre les montagnes de Hamrin, une région aride, en conduisant pendant la nuit pour échapper aux patrouilles de l’EI. De là, ils pouvaient marcher jusqu’en territoire gouvernemental.

« Ma mère a dit à Moyad : ‘‘Ne sois pas triste. Pense que nous allons pique-niquer. Sois patient et nous finirons par y arriver’’ », a dit Hiam.

Or les sentiers qui traversaient la montagne n’étaient pas bien balisés et la famille de Hiam a fini par se perdre. Dans le noir, ils ont paniqué à l’idée que l’EI puisse les trouver et le groupe s’est scindé. Hiam et Moyad ont été séparés.

Ils ont épuisé leur réserve d’eau le lendemain matin. Ils ont malgré tout continué à marcher alors qu’il faisait 40 degrés Celsius. La cousine de Hiam a fait boire son urine à sa fille de cinq ans pour qu’elle reste en vie. « Le soleil nous tuait », a dit Hiam.

Ils ont été secourus le lendemain. Paradoxalement, c’est l’armée irakienne, qu’ils avaient fuie trois mois plus tôt, qui est venue à leur secours.

« Nous étions soulagés », a dit Hiam. « Mais nous ne savions pas où était Moyad. » Un soldat a montré à Hiam une photo qu’il avait prise avec son téléphone. C’était le corps de son frère. Il avait succombé à la chaleur et à la déshydratation.

Hiam a marqué une pause. « Il n’y avait personne comme lui. Nous passions tout notre temps ensemble », a-t-elle poursuivi.

Al-Dour était toujours occupée par une milice chiite et la famille de Hiam a donc dû attendre plus d’un mois dans la ville de Samarra. Finalement, au début du mois d’août, la milice a autorisé les habitants à rentrer chez eux.

Ils sont finalement retournés chez eux. Hiam a dit qu’ils avaient cependant découvert « une tragédie » en arrivant là-bas. La majeure partie de leurs biens avaient été volés et la maison avait été incendiée.

Forcés de rentrer chez eux ?

La route empruntée par la famille de Hiam. Placez le curseur de votre souris sur les points orange pour obtenir davantage d’informations.

Hiam et sa famille ont vécu des épreuves difficiles, mais elles ont eu plus de chance que de nombreux autres. Des milliers d’Arabes sunnites n’ont aucun moyen de rentrer chez eux ou n’ont plus de foyer où retourner et les communautés où ils sont venus se réfugier ne veulent plus d’eux.

Prenons le cas de Saad. Il travaille comme marchand de glaces dans les rues de Kirkouk. Il fait partie des plus de 408 000 personnes déplacées qui vivent dans le gouvernorat, selon des chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Comme Hiam, Saad est originaire de Salah al-Din. Après avoir défait l’EI, les milices chiites ont pris le contrôle de cette région. Ces combattants ont le mérite d’avoir repoussé l’EI et protégé Bagdad, mais ils sont craints par de nombreux sunnites comme Saad, qui s’inquiètent de faire l’objet de représailles.

Des agents de l’Asayish, le service de renseignement kurde, ont dit à Saad qu’il devait quitter Kirkouk avant le 1er septembre avec sa famille et ont confisqué ses papiers d’identité jusqu’à son départ.

La maison de Saad dans la province de Salah al-Din a été démolie. Il ne sait pas s’il doit blâmer l’EI, les milices chiites ou l’armée irakienne, mais il n’a nulle part où aller avec sa famille. « Je vais vivre dans une tente », a-t-il conclu, d’un air sombre. « Mais l’hiver arrive. Je suis inquiet pour mon petit garçon. »

Il faut regarder 20 ans en arrière pour comprendre l’hostilité des habitants de Kirkouk envers les déplacés. Les Arabes, les Kurdes et les Turkmènes se disputent en effet le contrôle de cette ville située au sud de la région semi-autonome du Kurdistan irakien. L’ancien dictateur Saddam Hussein avait tenté d’« arabiser » la ville en encourageant des milliers d’Arabes irakiens à s’y installer. Pendant le règne de Saddam Hussein, les sunnites exerçaient également un pouvoir disproportionné.

Les Kurdes s’y sont réinstallés depuis la chute de Saddam Hussein, en 2003, mais Kirkouk fait toujours partie de la fédération irakienne. Les gouvernorats de Kirkouk, de Diyala et de Ninewa appartiennent techniquement au gouvernement central irakien, mais, selon les cartes produites au Kurdistan, les frontières de la région kurde descendent vers le sud pour inclure la majeure partie de ce territoire. Le référendum qui avait été promis pour permettre aux résidents de choisir par qui ils souhaitaient être gouvernés n’a jamais eu lieu.

L’avancée de l’EI a encore une fois modifié le rapport de force. L’armée irakienne s’est retirée, ce qui a permis aux forces kurdes de prendre le contrôle de Kirkouk. Comme l’a dit un travailleur humanitaire, les Kurdes ont maintenant « des faits sur le terrain ». Au même moment, des centaines de milliers d’Arabes sunnites originaires des gouvernorats de Salah al-Din et de Diyala ont afflué.

En juin 2015, le ministère de l’Intérieur de l’Irak a ordonné aux autorités locales d’accorder de nouveaux permis de résidence locaux aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui vivent au même endroit depuis cinq ans. L’ordre a été jugé inconstitutionnel à Kirkouk, où ceux qui craignent le retour d’une forme d’arabisation sont nombreux.

Des visiteurs importuns

Selon l’OIM, quelque 22 000 déplacés originaires de Diyala ont trouvé refuge à Kirkouk. L’article 44 de la constitution garantit aux Irakiens le droit à la liberté de mouvement, mais la réponse officielle est sans équivoque : les déplacés doivent rentrer chez eux.

Le 23 août, le conseil provincial de Kirkouk a décrété que les personnes déplacées originaires de Diyala et vivant à Kirkouk avaient un mois pour quitter le gouvernorat de Kirkouk. En décembre 2014, des affrontements violents ont délogé l’EI de Diyala, mais le gouvernorat est toujours dangereux. Les infrastructures de Kirkouk sont soumises à de très fortes pressions, mais nombreux sont ceux qui soupçonnent que la décision est surtout fondée sur le désir de préserver la majorité kurde. En effet, la plupart des déplacés originaires de Diyala sont des Arabes sunnites.

Il y a un quart de siècle, Najmaldin Karim appelait le Congrès américain à venir en aide aux Kurdes persécutés par le régime baasiste de Saddam Hussein. Cet homme politique charismatique, aujourd’hui gouverneur de Kirkouk, a rencontré IRIN le lendemain de l’annonce de la décision d’expulser les déplacés originaires de Diyala de son gouvernorat.

« Dans l’ensemble, la réponse du gouvernement fédéral et des ONG internationales n’a vraiment pas été bonne », a dit M. Karim, ajoutant que malgré le morne effort humanitaire, Kirkouk peine à accueillir 111 000 familles.

Pour M. Karim, les changements démographiques dans la ville soulèvent « de grandes préoccupations, parce que nous avons déjà des PDIP à cause du conflit sectaire de 2006-2008 et que plusieurs milliers d’entre elles ne sont pas retournées chez elles ».

M. Karim a insisté sur le fait que « personne n’était forcé de rentrer », mais IRIN a suggéré qu’on ne donnait pas beaucoup de choix à ceux à qui l’on confisquait les documents d’identité en leur ordonnant de quitter Kirkouk.

« Je pense qu’ils ne devraient pas avoir le choix si leur lieu d’origine peut les accueillir de nouveau », a répondu M. Karim, qui a ajouté que les infrastructures endommagées du gouvernorat de Diyala ne seront pas réparées si les gens n’y retournent pas.

Certaines familles sont rentrées chez elles à Sadiya, dans le gouvernorat de Diyala, mais la plupart d’entre elles n’ont pas pu rester en raison du manque de services. Peut-être pouvons-nous en conclure que les personnes déplacées sont les mieux placées pour savoir quand il est temps de rentrer ?

M. Karim n’est pas de cet avis. « Écoutez, Sadiya n’est qu’une petite ville de la province de Diyala », a-t-il dit. « Diyala est une grande province : il y a d’autres villes. »

« Pourquoi ne vont-ils pas s’installer à Baquba ? » a demandé M. Karim.

Un résident de Baquba, qui est aussi travailleur humanitaire, a cependant dit à IRIN que la situation y était toujours « instable » et qu’il y avait souvent « des assassinats et des kidnappings ».

À l’abri ?

Le gouvernorat de Diyala a été libéré du contrôle de l’EI en décembre, mais il a fallu attendre des mois pour que les déplacés puissent retourner chez eux en toute sécurité. La présence des milices ou des peshmergas est aussi un défi pour les organisations d’aide humanitaire.

« Comment se mettre en sécurité ? C’est le dilemme de protection fondamental en Irak en ce moment », a dit à IRIN Lisa Grande, coordonnatrice humanitaire pour les Nations Unies en Irak.

« Nos priorités incluent l’établissement de corridors humanitaires, les conflits aux postes de contrôle, la prévention des expulsions et l’éradication du harcèlement. »

En avril 2015, Muntaher et Saif, son fils de quatre ans, sont finalement rentrés chez eux à Husseini, un village situé dans une région du gouvernorat de Diyala maintenant contrôlée par les peshmergas kurdes. Le village mixte, chiite et sunnite, a été occupé par l’EI pendant plusieurs mois.

« La moitié de ma maison a été incendiée et l’autre moitié a été détruite par une explosion », a dit Muntaher. La maison de ses parents, située en périphérie du village, a été utilisée comme forteresse par les militants de l’EI quand les peshmergas kurdes les ont attaqués depuis le nord.

Sa maison est maintenant criblée d’éclats d’obus et Saif joue dans les ruines noircies de la cuisine. Des fragments du mur d’enceinte sont tombés et des chiens errants s’aventurent à l’intérieur.

« La nuit, lorsque les voitures des peshmergas passent à proximité, Saif me demande : ‘‘Est-ce que c’est Daech [l’acronyme arabe de EIIL, un ancien nom de l’EI] ?’’ », a dit Muntaher.

Muntaher est malgré tout contente d’être de retour. « Je me sens beaucoup plus en sécurité que lorsque j’étais déplacée », a-t-elle dit à IRIN. Muntaher avait dû se réinstaller à Tuz Khurmatu, dans le gouvernorat de Salah al-Din. En janvier, les corps de deux garçons arabes sunnites de sept et neuf ans qui avaient été abattus ont été retrouvés sur les berges d’un cours d’eau à Tuz : la ville est connue pour les violences qui y sont perpétrées contre les sunnites.

Le village d’Husseini est différent et les habitants se sont mis ensemble pour le reconstruire. Ils n’ont toujours pas d’eau potable et leurs possessions ont été pillées ou abîmées par l’EI et/ou les peshmergas, mais ils ont mis leur argent en commun pour réparer le réseau électrique qui a été saboté. Ils disent que le gouvernement ne les a pas aidés.

Il y a un trou de balle dans la porte de la maison de Muntaher, mais elle a repeint son salon d’une belle couleur jaune d’oeuf. L’ONG Oxfam a remplacé sa machine à coudre, qui avait été brûlée, et Muntaher a pu recommencer à travailler comme tailleuse.

Les résidents, qui craignent de nouvelles attaques de l’EI depuis les villages déserts voisins, ont mis en place des rondes de nuit. Mais Husseini a été relativement épargnée. Les habitants disent que cinq maisons seulement ont été complètement détruites et six autres incendiées. Selon certaines informations, les villes voisines comme Jalula et Sadiya ont été pratiquement rasées.

À 3 kilomètres à peine au sud se trouve l’ancien centre industriel et économique de Jalula. Les milices chiites et les peshmergas kurdes continuent de lutter pour obtenir le contrôle de cette ville déserte, où vivaient auparavant une majorité d’Arabes sunnites. Personne n’a été autorisé à y retourner pour le moment.

Pour les déplacés originaires de villes comme Jalula – où il est impossible de retourner –, le ressentiment des autres Irakiens vis-à-vis de leur réinstallation est rageant. Cheikh Hadidi, un leader d’une communauté arabe sunnite à Kirkouk, a dit à IRIN que la méfiance des autres était compréhensible, mais qu’elle avait donné lieu à des répressions excessives.

Cette situation pourrait-elle pousser les sunnites à se radicaliser et à se tourner vers l’EI ?

« Définitivement... Certains d’entre eux », a-t-il répondu. « Ils disent : ‘‘Si les choses continuent comme ça et que je n’ai rien à faire ici, je vais essayer de trouver un moyen de retourner là-bas pour les rejoindre. Pour retourner dans les zones contrôlées par l’EI. C’est beaucoup mieux que de ne pas avoir de maison, d’argent et de dignité ici.’’ »

cc/ag -gd/amz 

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