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Comment l’afflux des réfugiés vers l’Europe nuit aux ONG syriennes

Migrants gather outside the identification centre at Moria on Greece's Lesvos Island to hear the names of the lucky few who will be accommodated inside. The rest will have to sleep in a makeshift camp outside. Louisa Gouliamaki/IRIN
Demandez à n’importe quelle organisation d’aide humanitaire oeuvrant pour la Syrie quels sont ses plus gros problèmes et l’un des premiers sera toujours la difficulté à recruter, ou plus précisément, à garder son personnel.

Plus de 100 000 Syriens se sont rendus en Europe cette année, de moins en moins convaincus que la guerre civile pourrait prendre fin bientôt. Parmi eux, de nombreux employés qualifiés d’organisations non gouvernementales (ONG) syriennes ou internationales, dont le départ nuit à la capacité de ces dernières à aider les plus vulnérables.

Orhan Mohammed, chef de l’Assistance Coordination Unit, une organisation humanitaire liée à l’opposition syrienne officielle, a dit qu’il perdait chaque mois un ou deux de ses meilleurs employés, dont, récemment, le directeur de son équipe médicale. « Des médecins, des ingénieurs, des gens fiables, s’en vont pour l’Europe », a-t-il dit.

« Nous trouvons des remplaçants, mais il faut développer leurs capacités, même s’ils sont médecins. Cela prend du temps et la population [restée en Syrie] n’a pas ce temps. »

Boraq al-Basha, directeur général du Syrian Relief Network, un regroupement de plus de 60 associations humanitaires, a dit que toutes les ONG syriennes étaient particulièrement touchées cette année. « [Imaginez] que je sois le directeur d’un projet d’un an. Après six mois, je décide de partir. Qui va continuer le programme ? »

Des conditions de plus en plus difficiles

Les raisons de l’exode exceptionnel des employés d’ONG cette année sont multiples et s’expliquent à la fois par des tendances à court terme liées à la crise des migrants européenne et par des problèmes qui perdurent depuis plus longtemps.

L’intervention humanitaire dans les zones syriennes aux mains de l’opposition est pilotée depuis la ville turque de Gaziantep, située à environ 60 kilomètres de la frontière.

Yakzan Shisakly, cofondateur de la fondation Maram, une ONG dirigée par des Syriens américains, a dit que le coût de la vie y avait fortement augmenté.

« Un studio meublé moyen coûte actuellement 1 000 livres turques (333 dollars). Il y a deux ans, vous auriez trouvé le même pour 600 à 700 livres turques (199 à 233 dollars). »

« Nous perdons beaucoup de monde. Nous essayons d’offrir de meilleurs salaires, mais nous perdons des experts : d’anciens employés du Croissant-Rouge syrien, des gens qui ont fait des études supérieures ou qui ont des compétences linguistiques. Ils vont partir en quête d’une meilleure vie. »

La question des salaires est particulièrement difficile à résoudre de manière satisfaisante. Comme souvent dans le milieu de l’aide humanitaire dans le monde entier, les expatriés sont généralement mieux payés que les employés locaux. Les ONG ont par ailleurs interdit aux employés étrangers de se rendre en Syrie en raison du risque élevé d’enlèvement. Cela signifie souvent que les employés syriens sont moins bien payés pour des risques bien plus grands.

« Le poste est le même, mais si l’employé est étranger, [il est] payé 2 000 dollars, contre 1 000 dollars pour les Syriens », a dit M. al-Basha. « Les Syriens se demandent : “quelle est la différence entre lui et moi ? C’est mon pays, je connais le terrain, je connais la langue.” Et les Syriens qui travaillent pour des ONGI [ONG internationales] parlent très bien anglais. Quelle est la différence entre nous ? »

Outre ces griefs, M. Shisakly a dit que des problèmes à plus long terme entraient également en jeu, surtout depuis que les Syriens perdent espoir de voir la paix revenir. « Ce n’est pas seulement une question d’argent », a-t-il dit. « Vous avez besoin d’un passeport. Vous devez penser à l’avenir de vos enfants. Si vous avez un passeport syrien aujourd’hui, cela ne vous sert à rien. »

Besoins médicaux

La situation est particulièrement grave pour les organisations d’aide médicale, dont un grand nombre interviennent dans les zones les plus dangereuses de Syrie.

Les hôpitaux sont régulièrement pris pour cible par les frappes aériennes des forces gouvernementales syriennes, souvent sous la forme de barils explosifs, c’est-à-dire des bombes rudimentaires, mais puissantes, faites de barils remplis d’explosifs et d’éclats d’obus, tirés depuis des hélicoptères avec un faible degré de précision.

Depuis l’année dernière, d’après Human Rights Watch, au moins 194 professionnels de la santé ont été tués et 104 établissements médicaux attaqués, majoritairement par les forces du gouvernement. 

Zedoun al-Zoubi, PDG d’UOSSM, une ONG médicale syrienne qui apporte son aide à travers tout le pays, a dit que les établissements de santé étaient systématiquement pris pour cible.

« Un hôpital a voulu déménager, parce qu’il avait été visé plusieurs fois par des barils explosifs. Lorsqu’ils ont déménagé, ils se sont retrouvés près d’une base militaire [rebelle]. Quand ils sont arrivés là, les militaires leur ont dit “non, non, non, ne vous approchez pas de nous, nous ne voulons pas risquer notre vie pour vous.” Vous imaginez ! Une base militaire est moins risquée qu’un hôpital », a-t-il dit. « En fait, les médecins qui restent attendent la mort. »

Il n’est pas surprenant que de nombreux médecins quittent le métier. « Dans le centre d’Alep, il y a environ 58 médecins, étudiants compris, et ils doivent prendre en charge environ 300 000 personnes, » a dit M. al-Zoubi. « Cet été, nous en avons perdu sept, qui ont pris la mer pour se rendre en Europe. »

Il a ajouté que les bailleurs de fonds internationaux se montraient souvent réticents à payer les salaires des médecins par crainte de la législation antiterroriste et qu’ils préféraient payer le matériel, les produits consommables et les médicaments, option qu’ils considèrent comme « plus simple ».

Les ONG qui reçoivent des fonds des États-Unis et d’autres pays occidentaux risquent d’être poursuivies pour soutien au terrorisme s’il est prouvé que leur intervention a aidé d’une manière ou d’une autre des groupes définis comme terroristes. Cela comprend l’État islamique, mais aussi Jabhat al-Nusra, l’affilié d’al-Qaida en Syrie, qui contrôle de larges secteurs d’Alep et des environs. De nombreuses ONG ont estimé qu’il était plus sûr de distribuer des produits pour lesquels un suivi étroit est possible plutôt que de verser des salaires, car les employés rémunérés peuvent avoir à payer des taxes à des groupes rebelles islamistes.

Selon M. al-Zoubi, cette absence de salaire fixe rend incroyablement difficile le recrutement de médecins.

Adam Coutts, expert en santé publique spécialisé dans les conséquences de la crise syrienne, a dit qu’il n’existait pas de statistiques fiables sur le nombre de médecins et d’employés d’ONG ayant fui vers l’Europe, mais qu’il s’agissait manifestement d’un problème majeur.

Ceux qui fuient vers les pays voisins, notamment la Jordanie, le Liban et la Turquie, ne peuvent pas aider les réfugiés pour des raisons de droit du travail. Nombre d’entre eux finissent donc par prendre le chemin de l’Europe.

« Il faut donner aux médecins syriens qui se trouvent dans les pays voisins la possibilité de pratiquer leur activité et de participer à l’action humanitaire, même si personne n’a trouvé comment y parvenir à cause du droit du travail de plusieurs pays comme le Liban et de l’opposition des syndicats de médecins », a dit M. Coutts.

jd/ag-ld/amz 
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