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Pourquoi les enfants migrants jouent-ils aux adultes en Italie

A group of young Eritreans at a migrant reception centre in Pozzallo, Italy Alessandro Penso/MSF
Chaque midi à Rome, la rue arborée du centre culturel Baobab - géré par la diaspora érythréenne locale - s’anime, tandis que des migrants attendent à la file d’y recevoir une assiette de nourriture.

On ne peut manquer d’être frappé par l’aspect juvénile de leurs visages. Bien que la plupart aient fui l’Érythrée pour échapper à son service militaire à durée illimitée, aucun n’admettra avoir moins de 18 ans. Ils craignent d’être placés dans un centre pour enfants migrants non accompagnés, ce qui ruinerait leurs espoirs d’atteindre le nord de l’Europe.

En vertu du règlement européen de Dublin, les migrants dont les empreintes digitales ont été relevées en Italie sont tenus d’y rester en attendant que leur demande d’asile soit traitée, ou courent le risque d’y être renvoyés. Les pays du nord de l’Europe peuvent pourtant être synonymes de meilleures opportunités d’emploi et de plus grandes chances d’obtenir l’asile, voire le regroupement familial.

Voir : Playing the EU asylum lottery [La loterie européenne de l’asile] 

Parmi les jeunes hommes groupés devant le centre, l’un d’eux (il prétend avoir 18 ans, mais paraît bien plus jeune) déclare vouloir rejoindre le Royaume-Uni pour poursuivre ses études, bien qu’il n’ait pas de famille là-bas.

Il lui a déjà fallu un an pour arriver jusqu’ici. Son voyage a débuté en Érythrée, lorsqu’il a traversé la frontière pour passer en Éthiopie, avant de continuer vers le Soudan. Alors qu’il traversait le désert du Sahara, entassé avec 25 autres personnes à bord d’un Land Cruiser, l’eau a manqué avant d’atteindre un camp tenu par des passeurs en Libye.

« Il y avait beaucoup de monde. Il y avait des personnes malades, certaines avec la gale, d’autres avec des problèmes mentaux, ou encore celles qui pleuraient toute la journée », raconte-t-il timidement, en refusant de donner son nom.

Un problème croissant

Il est difficile d’évaluer le nombre exact d’enfants arrivant en Italie sans parent ou tuteur car la plupart évitent de demander de l’aide ou mentent à propos de leur âge, mais les chiffres officiels sont déjà suffisamment inquiétants.

Entre le début de cette année et le 20 juillet, 7 439 enfants non accompagnés ont été enregistrés sur un total de 80 706 migrants ayant atteint les rives italiennes, d’après Save the Children. En 2014, 13 030 mineurs non accompagnés sont arrivés en Italie, soit près de trois fois plus que l’année précédente. 

Si le gros des enfants voyageant seuls sont originaires d’Érythrée, de très nombreuses autres nationalités sont représentées - notamment des Afghans et des Gambiens. Ewa Moncure, la porte-parole de l’agence de surveillance des frontières Frontex, a dit qu’il était également habituel que des enfants égyptiens voyagent seuls jusqu’en Italie.

« Les Égyptiens savent qu’avec l’accord bilatéral [de réadmission] existant entre l’Égypte et l’Italie, seuls les migrants de moins de 18 ans ne seront pas renvoyés en Égypte », a-t-elle dit. En conséquence, de nombreuses familles envoient leurs fils aînés dans l’espoir qu’ils gagneront suffisamment d’argent pour survenir aux besoins de la famille au pays.

Les autorités italiennes sont tenues de prendre en charge les enfants migrants non accompagnés, et la plupart sont directement conduits des ports où arrivent leurs bateaux jusqu’à des centres spécialisés gérés par le gouvernement. Ahmad Al Roussan, qui travaille comme médiateur culturel chez Médecins sans frontières (MSF), a dit que les services disponibles aux centres étaient lacunaires, et qu’il y avait notamment un manque d’interprètes.

Impasse sur la santé mentale

« Ils devraient absolument en faire plus. Nous travaillons à présent sur la santé mentale et les lacunes sont énormes », a-t-il dit. Il n’y a pas de médiation culturelle. Ils [les enfants] n’ont pas la possibilité de communiquer ou de demander à ce que leurs besoins soient entendus. »

Bien que des cours de langue soient proposés dans les centres, les enfants doivent souvent attendre plusieurs mois avant de suivre une scolarité à plein temps du fait d’un retard administratif.

« Bon nombre [d’enfants] ont vu des amis ou d’autres membres du groupe mourir pendant leur voyage, dans le désert ou en mer. ils n’ont pas le bagage nécessaire pour faire face. »
Les enfants, qui ont souvent enduré des traumatismes lors de leur voyage jusqu’en Italie, sont désorientés à leur arrivée, a dit M. Al Roussan. « Nous avons rencontré de nombreuses jeunes filles ayant subi des violences sexuelles lors de leur voyage jusqu’en Lybie. Bon nombre [d’enfants] ont vu des amis ou d’autres membres du groupe mourir pendant leur voyage, dans le désert ou en mer. ils n’ont pas le bagage nécessaire pour faire face. »

« Beaucoup d’entre eux ignorent où se situe Rome sur la carte ; [ils] ne savent pas où ils se trouvent », a-t-il ajouté.

Un nombre considérable d’enfants s’enfuient des centres gérés par le gouvernement dès qu’ils en ont l’occasion. Le ministère italien de l’Intérieur n’est pas en mesure de dire combien d’enfants non accompagnés ont disparu jusqu’à présent cette année, mais ils sont 3 707 à s’être enfui des foyers du gouvernement en 2014.

Fuyards en danger

Une fois libres, beaucoup parviennent à rejoindre des pays comme l’Allemagne ou la Suède, mais d’autres se retrouvent piégés dans des situations de travail forcé ou d’exploitation sexuelle. Gemma Parkin, la porte-parole de Save the Children, a dit que les fillettes nigériennes étaient particulièrement susceptibles d’être victimes d’esclavage sexuel.

« Elles évoquent une personne du village dont elles viennent connaissant un moyen de leur permettre d’aller à l’école ou de leur trouver un emploi en Europe », a-t-elle dit à IRIN. « Puis, à leur arrivée, les choses ne se passent pas comme prévu. Elles risquent de tomber dans la prostitution. »

Les trafiquants proposent à certaines filles de financer leur passage, mais il s’agit d’une ruse pour qu’elles leur soient redevables, afin de pouvoir ensuite les forcer à se prostituer. Save the Children cherche à identifier ces filles et à garantir qu’elles soient prises en charge de façon prioritaire, mais Mme Parkin affirme que les espoirs sont minces.

« Notre équipe d’experts en protection de l’enfance tente d’établir une relation de confiance », a-t-elle expliqué. « On ne va pas chercher à obtenir immédiatement tous les renseignements possibles sur les trafiquants, car nous avons besoin qu’elles nous fassent davantage confiance qu’à eux [les trafiquants]. » L’objectif est de renseigner les filles sur leurs droits et de les dissuader de quitter les centres après avoir été contactées par leurs trafiquants.

Bien que le sort des filles arrivant en Italie par bateau soit source d’inquiétude, les enfants non accompagnés atteignant l’Europe sont essentiellement des garçons. Plus de 25 pour cent des demandes d’asile déposées dans l’Union européenne l’année dernière provenaient d’enfants, qu’ils soient accompagnés d’un adulte ou non – 86 pour cent de ces enfants étaient des garçons.

Pour Mme Parkin, l’incapacité de la communauté internationale à trouver des solutions à la crise prolongée des réfugiés pousse des enfants pas plus vieux que neuf ans à rejoindre seuls l’Italie.

« Ces enfants vivent en camp de réfugiés depuis des années », a-t-elle dit. « Ils ont perdu tout espoir d’être réinstallés. Alors de plus en plus d’enfants prennent le chemin de l’Europe parce qu’ils ne voient pas d’issue légale. »

À l’extérieur du centre culturel, un jeune homme se repose à l’ombre, quelques jours après son arrivée en Italie et plus d’un an après avoir quitté l’Érythrée. Il dissuade quiconque de suivre ses pas.

« Il est difficile de ne pas quitter l’Érythrée, mais il y a aussi la difficulté du voyage », a-t-il dit. « Quand je suis parti, je ne savais pas que le voyage pouvait être aussi difficile. »

rs/ks/a-xq/amz 

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