1. Accueil
  2. Middle East and North Africa
  3. Iraq

De l’importance des réflexions d’Oussama Ben Laden

On 20 May 2015, the US government released a number of documents written by Osama bin Laden, including his thoughts on humanitarian aid.  Wikimedia Commons
« Nous avons besoin de faire de gros efforts dans nos activités de secours », a dit M. Ben Laden
Mercredi, le gouvernement des États-Unis a rendu publics des documents déclassifiés révélant les réflexions personnelles d’Oussama Ben Laden, notamment à propos du changement climatique et de l’aide humanitaire.  

Sa vision de l’humanitaire fait l’objet d’un certain nombre de moqueries et rares sont ceux qui chercheraient conseil en matière de compassion auprès d’un homme qui a orchestré les attentats du 11 septembre 2001 qui ont fait plus de 3 000 morts à New York. 

Pourtant, les organisations humanitaires qui cherchent à venir en aide aux plus démunis dans des zones qui se trouvent sous l’emprise d’activistes islamistes pourraient tirer quelques leçons de ces réflexions.

1. Même l’islamisme radical reconnaît l’importance de l’aide humanitaire 

Les principes humanitaires font partie intégrante du droit et des traditions islamiques. L’aumône est une obligation religieuse annuelle et le Coran, livre saint des musulmans, défend le droit des nécessiteux à recevoir de l’aide. 

Les écrits de M. Ben Laden reflètent sa connaissance de ces traditions. Dans un document non daté, possiblement rédigé après les inondations de 2010 au Pakistan, l’ancien chef d’Al-Qaida ne se montrait pas foncièrement hostile à l’aide humanitaire. Il en soulignait au contraire l’importance. S’il qualifiait d’arrogante la croyance laïque selon laquelle les catastrophes pourraient être évitées (puisqu’il estimait que celles-ci étaient la volonté de Dieu), il jugeait que les efforts des secours étaient insuffisants, que l’aide humanitaire serait « toujours cruciale » et qu’il fallait en améliorer la qualité, les méthodes et les délais. 

Pour M. Ben Laden, les organisations humanitaires prenaient manifestement parti dans le conflit, et ce malgré leurs obligations. Dans certains cas, le droit humanitaire international lui donne raison.
Certains spécialistes de l’Islam considèrent que la place centrale accordée au droit des pauvres à recevoir de l’aide dans le droit islamique impose aux combattants musulmans en situation de conflit d’apporter de l’aide eux-mêmes ou de permettre à d’autres de le faire, ouvrant ainsi la voie à l’acceptation des oeuvres d’aide humanitaire internationales. La tradition islamique de l’amân, sorte de sauf-conduit en terres musulmanes, permet aux travailleurs humanitaires de négocier des promesses de sécurité dans les territoires contrôlés par des groupes musulmans. 

M. Ben Laden appelait à la mise en place d’une organisation de secours qui ne se limiterait pas à une assistance temporaire pour répondre aux « conséquences fréquentes, diverses et massives du changement climatique », ce qu’on appellerait renforcement de la résilience dans le jargon humanitaire. Cependant, même s’il ne l’a pas explicitement écrit, le ton de son texte laisse entendre qu’il aurait fallu qu’une telle organisation soit non seulement musulmane, mais qu’elle réponde en outre à d’autres critères pour être légitime à ses yeux. 

2. L’aide fournie par des musulmans n’est pas à l’abri des critiques 

Conscientes de leur besoin de légitimité et d’acceptation au niveau local, de nombreuses organisations humanitaires intervenant dans des régions où des militants islamistes sont présents ont engagé du personnel musulman parlant la langue locale et connaissant les cultures et dynamiques du lieu. Dans son texte, M. Ben Laden semblait cependant affirmer que même les musulmans pouvaient être traités avec dédain et suspicion. 

Il mentionnait notamment le siège d’une organisation caritative à Londres « se prétendant islamique », obligée par les normes des Nations Unies de distribuer de l’aide à des non-musulmans et dont le personnel féminin au Pakistan travaillait aux côtés des hommes, maquillées et en pantalon moulant. 

« Les principes de cette organisation humanitaire ne peuvent pas être islamiques et les services fournis ne peuvent pas être bons pour les musulmans », concluait-il.  

Selon Ashley Jackson, associée de recherche à l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), en pointant du doigt cette organisation, M. Ben Laden a remis en doute les préjugés qui nous font penser que telle organisation non gouvernementale (ONG) aurait un meilleur accès que telle autre aux zones contrôlées par les islamistes.  

« Il est communément admis que les organisations islamiques ont plus de chances d’être acceptées », a dit à IRIN Mme Jackson, qui a écrit de nombreuses études sur l’engagement humanitaire auprès de militants islamistes. « En réalité, cela se vérifie rarement, du moins en Somalie ou en Afghanistan — parfois, mais rarement. Et il est possible que [ces organisations] soient en fait soumises à un contrôle plus strict et fassent l’objet d’attentes différentes, ce que confirment les commentaires [de M. Ben Laden]. » 

3.Les organisations d’aide humanitaire sont jugées partiales 

Ce qui indignait M. Ben Laden concernant cet organisme de bienfaisance musulman britannique dont nous ne divulguerons pas le nom, c’était notamment son respect de normes et de principes qu’il considérait comme partiaux. Il reprochait en effet aux ONG d’être trop proches des Nations Unies et de ne pas respecter leurs propres objectifs de neutralité. 

Il racontait avoir demandé à l’organisme d’aider des combattants islamistes, ou moudjahidines, qui avaient été blessés dans la région du Waziristan, au Pakistan. Un employé lui aurait dit que cela serait « presque impossible, car ils sont surveillés par les renseignements et les gouvernements et, sans reconnaissance ni assistance, ils ne peuvent même pas respirer. » 

Pour M. Ben Laden, cela était un parti pris manifeste dans le conflit. « Les moudjahidines sont aussi des victimes et ils comptent eux aussi des malades et des blessés dans leurs familles », a-t-il écrit, et dans ce cas, le droit humanitaire international lui donne raison.  

« C’est au coeur même du droit humanitaire international : quand une personne est blessée, ou faite prisonnière, elle cesse d’être un combattant et peut bénéficier de l’aide humanitaire », a dit John Butt, spécialiste de l’islam et président d’un groupe d’accès humanitaire en Afghanistan réunissant près de 30 organisations humanitaires internationales. « Nous devons rester neutres quoiqu’il arrive. Lorsqu’une personne est blessée, elle n’est plus rien d’autre. Elle n’appartient à aucun camp. C’est juste un blessé de guerre alors on le soigne. »

Les commentaires de M. Ben Laden rappellent à M. Butt des critiques qu’il a entendues de la part d’autres groupes armés. Les Taliban, par exemple, ont écrit en 2012 une lettre ouverte aux Nations Unies affirmant que les fonctionnaires du gouvernement afghan — avec lesquelles les Nations Unies travaillent en étroite collaboration — ne pouvaient pas être considérés comme des civils innocents, mais plutôt comme des participants au conflit.  

Selon M. Butt, le sentiment que les ONG prennent parti entrave souvent leur capacité à venir en aide à des centaines de milliers d’Afghans dans le besoin. Ainsi, les hôpitaux de la province afghane d’Helmand auraient fait face à des protestations il y a quelques années parce qu’ils auraient soigné des combattants talibans blessés.

4. C’est une question de terminologie 

Dans une évaluation plutôt franche des ONG internationales, M. Ben Laden les accusait d’utiliser un langage « extérieur ».

« Les expressions utilisées — comme […] études de terrain, projets de développement, sécurité alimentaire et installation de réseaux de canalisation […] — sont toutes des expressions utilisées par l’Occident et ont une signification particulière ou spéciale. »

Il s’agit là d’une critique commune à l’égard des ONG classiques : comme le dit Mme Jackson, les termes « professionnalisés » utilisés par le secteur font qu’il semble être une importation de l’Occident. Dans certains cas, c’est simplement une question de terminologie.

M. Butt, qui a mis au point un cours de principes humanitaires enseigné aux diplômés des écoles islamiques, ou madrasas, d’Afghanistan, a expliqué qu’il cherchait à montrer aux étudiants que nombre des principes humanitaires fondamentaux existent déjà dans l’islam.

« C’est ce à quoi nous travaillons le plus : développer une terminologie islamique qui ait vraiment du sens pour les gens. Au lieu de dire “nous sommes indépendants”, nous disons que quand nous apportons une aide humanitaire nous n’avons pas d’autre motivation […] La terminologie occidentale rebute les gens […] Par exemple, humanitaire est un terme occidental. Les gens comprennent mieux le mot charité […]. »

« Nous utilisons donc le langage utilisé par la population, mais le concept est le même. »

Les organisations humanitaires tentent de plus en plus d’intégrer leur argumentation en faveur de l’accès et de la protection des civils au contexte islamique, en ayant parfois recours à des personnalités religieuses pour servir d’intermédiaires dans les relations avec les groupes islamistes armés. Mais cette tendance a mis du temps à s’imposer, car il peut être délicat de recourir à des justifications fondées sur la religion, ce qui indiquerait d’une certaine façon que les principes prétendument universels du droit humanitaire international ne suffisent pas.  

5. Les djihadistes sont peut-être radicaux, mais pas forcément irrationnels

Les opinions de M. Ben Laden ne sont peut-être pas très populaires, mais elles reflètent un processus de rationalisation très méticuleux dans la droite ligne des traditions de la théologie islamique. La crédibilité de la position d’un chef musulman sur quelque question que ce soit est déterminée par l’oumma, la communauté musulmane, sur la base du raisonnement employé pour justifier cette position. Même au sein des groupes djihadistes, la question des comportements acceptables en contexte de guerre donne lieu à des débats acharnés et détaillés.  

L’interprétation de M. Ben Laden semblait être en décalage avec la pensée islamiste dominante lorsqu’il insinuait, par exemple, que les non-musulmans ne devraient pas recevoir d’aide. Mais ses interprétations théologiques pourraient bien être modérées si on les compare avec les positions adoptées par l’autoproclamé État islamique, qui, il n’y a pas plus d’une semaine, aurait chassé des ONG internationales de zones sous son contrôle, information qui n’a pas encore été confirmée. 

Il serait utile pour les organisations humanitaires de connaître ces réflexions, car elles laissent la place aux négociations. Les organisations humanitaires investissent de plus en plus dans la compréhension du droit islamique, dans le but d’influencer les prises de décision des djihadistes, en développant notamment les compétences théologiques de leur personnel.   

Pour en savoir plus, lisez notre série en quatre volets sur les liens entre le droit islamique, le djihadisme et les normes humanitaires.  

jd-ha-ld/amz
Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join