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IRIN interview sur la decentralisation au Mali

Le Mali, depuis son indépendance en 1960, tente de promouvoir son développement en passant par une stratégie de décentralisation. Cependant, la vraie percée de cette politique ne remonte qu’au début des années 1990. Professeur de droit prive et spécialiste sur la décentralisation, Aboubacrine Assadek Ag Indi a accorde une interview a IRIN dans laquelle il parle de la décentralisation dans le contexte malien.

IRIN : Qu’est ce que la décentralisation ?
Ag Indi : De façon très schématisée, la décentralisation est le transfert du pouvoir de l’état central vers la collectivité territoriale décentralisée. Donc il s’agit simplement de permettre aux populations au niveau local de gérer leurs affaires par leurs représentants élus. Il s’agit d’une sorte de « déménagement » du pouvoir du niveau central, du déplacement du centre du pouvoir vers le niveau local sans pour autant le déplacer (physiquement).

Pourquoi est ce que le Mali s’est lancé dans la décentralisation ?
A.I : Depuis la première constitution, depuis l’époque du président Modibo Keita, la décentralisation était inscrite au nombre des textes référendaires mais elle est toujours restée lettre morte donc il a fallu attendre l’avènement de la 3eme République, exactement le 11 Février 1993, pour qu’il y ait une loi cadre portant décentralisation au Mali. Je pense qu’elle a été beaucoup plus impulsée par la démocratie qui au Mali comme de façon générale dans tous les pays africains a été le fruit du vent de l’Est qui a soufflé sur le continent. Donc la décentralisation s’est avérée un besoin d’approfondissement de la démocratie particulièrement au niveau local, une sorte de fixation de la démocratie au niveau local qui a imposé la décentralisation. Elle a été imposée par les réalités socio-politiques du Mali. Il y a effectivement une volonté politique très affinée du président Konaré.

Est-ce que les populations comprennent la décentralisation ? Quelles sont les mesures qui ont été entreprises pour leur faire comprendre l’importance de la décentralisation ?
A.I:La décentralisation, contrairement a ce qu’on croit, n’est pas idéaliste, elle a existé en Afrique depuis très longtemps, même avant la période coloniale. Si on prend l’empire du Mali, sous Soundjata Keita, il a existé une constitution. Et depuis l’époque il a y avait une gestion démocratique du pouvoir, les provinces avaient une certaine autonomie. Sous la période coloniale il y a un certain nombre de communes, soit des communes de plein exercice, soit de moyen exercice, donc la décentralisation a existé mais pas comme nous la connaissons aujourd’hui. Maintenant dire que la démocratie est une importation stricto sensu qui est venu de l’occident, je pense qu’il faut être tempéré. Il y a du malien, il y a de l’ivoirien, il y a de tous les pays qui chacun avec son originalité a mis son cachet et le Mali l’a fait. Les populations, on ne peut pas dire qu’elles n’ont pas compris. Peut être dans leur imagerie et à cause de blocages au niveau linguistique, les mots employés ne traduisent pas de la même manière, mais quand nous regardons de très près, les populations ont connu la décentralisation bien avant qu’elle ne soit dans les textes. Par rapport aux mesures, le debatest trop vaste, mais comme mesure en autres, il y a beaucoup de communication (le mot « sensibilisation » me parait déplacé), beaucoup d’éducation, beaucoup d’information. Mais elles ne suffisent, il faut les continuer. Il y a aussi la Mission de Décentralisation qui a travaillé et implanté les communes au nombre de 703 sur l’étendue du territoire. Les représentants élus sont au pair des faits parce que la loi n’impose qu’il faut être lettré. Le contraire serait aberrant dans un pays où il y a 80 percent d’analphabètes. Les NGOs ont aussi le mérite d’avoir contribué à la mobilisation, éducation, information bien avant les structures étatiques.

Quelles sont les étapes de la décentralisation ?
A.I:C’est très compliqué mais il faut d’abord lever une équivoque, entre déconcentration et décentralisation. On décentralise des compétences, on déconcentre des services. L’état conserve son autorité. La décentralisation évite d’effriter l’état, mais de renforcer l’état. En d’autres termes philosophiques, la décentralisation veut dire « pas moins d"état mais mieux d"état ». Une fois que l’idée est acquise, le gouvernement a le devoir et l’obligation de mettre en œuvre la politique gouvernementale. Il a été décidé d’abord de mettre sur pied une mission de décentralisation chargée de réfléchir à un certain nombre de stratégies pour réorganiser le territoire. Pendant plusieurs mois, des groupes d’études et de réflexion ont été mis en place pour expliquer les différents critères d’érection des villages ou autres en communes. Ensuite après les propositions de libre regroupement, la mission de décentralisation les a re-examiné et les a transmis au gouvernement qui ensuite les a soumis à l’Assemblée Nationale qui a arrêté des décisions. Il a toute une procédure qui existe. Il a des difficultés mais elles sont liées à toute oeuvre humaine. La Mission avait aussi une cellule de développement, de formation, de communication. Les partenaires au développement ont aussi appuyé le processus.

Qu’est ce qu’on peut décentraliser ?
A.I:Tous les pouvoirs appartenant à l’état sont décentralisables à l’exception des pouvoirs régaliens, c’est à dire le pouvoir de battre monnaie, la justice (on rend la justice au nom du peuple, pas de justice privée), la diplomatie et les affaires étrangères (on peut le déconcentrer mais il n’est pas décentralisable), la sécurité (ce serait une catastrophe car ce serait comme donner un chèque en blanc pour recruter des milices). Ces domaines restent à l’état pour qu’il continue d’exister. Tous les autres secteurs, l’éducation, la santé, sont décentralisables.

Quels sont les obstacles qui persistent au Mali ?
A.I: Le premier obstacle est la mauvaise foi de la part de certains intellectuels qui pensent que la population n’est pas mûre pour la décentralisation (lire démocratie). Certains intellectuels expliquent aux populations que l’état veut les mettre dans un « bateau » ou bien les populations elles-même sont aussi mal informés. L’analphabétisme dans le pays est aussi un obstacle qui n’est pas pourtant un grand obstacle car personne ne me dira qu’un paysan ne peut pas bien gérer son cacao, son bananier. Il y a des paysans qui gèrent très bien leurs récoltes, ils ont peut être besoin de renforcement. On peut être intellectuel sans faire les bancs. Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas parler français, japonais ou allemand qu’on n’est pas intellectuel. Le concept d’intellectuel doit être changer. Donc je ne partage l’avis de ceux qui croient en cette notion d’intellectuel/éducation. Le Tchad a tenté cette expérience d’imposer le Français ou l’Arabe comme critères de langue et ça été un échec, comme dans tous les pays africains que nous avons visité, cette disposition ne marche pas. Il y a des intellectuels qui sont nuls.

Quel est le montant que l’état donne aux collectivités pour pouvoir s’auto gérer?
A.I: La somme que les collectivités reçoivent dépend d’un certain nombre de critères fixés par la mission de la décentralisation. Une petite commune ne peut pas avoir les mêmes moyens qu’une grande commune, une commune rurale ne peut pas prétendre avoir les même moyens qu’une commune urbaine. Le montant varie.

Pouvez-vous citer des exemples de decentralisation qui ont ete un success et d'autres qui ne l'ont pas ete?
A.I: On ne peut pas parler d’exemple type de décentralisation. Nous avons opté pour la décentralisation globale. Certains voulaient qu’on commence la décentralisation au nord à cause du conflit qui s’est déroulée, alors que si ç’avait échoue au Nord, ça aurait été impossible de tenter ailleurs. Mais nous avons opté pour un transfert de compétence progressive c’est à dire la commune doit absorber les compétences qu’elle peut absorber, on ne la surcharge pas. On ne peut pas dire qu’il y a une décentralisation qui a réussi par rapport à une autre. C’est un problème de moyens, il faut que la commune se donne les moyens de son existence. Nous pensons que la réussite de la décentralisation réside dans la possibilité pour une commune de faire les besoins de proximité, c’est à dire l’eau, la santé, délivrance des pièces administratives à une personne au plus près en évitant les longs déplacements. La réussite aussi réside dans la responsabilisation, c’est la preuve qu’on les associe à leur propre sort, c’est le minimum de respect qu’on peut faire à celui qui paie des impôts.

La décentralisation tue t’elle le pouvoir d’état ?
A.I: La décentralisation ne devrait pas tuer le pouvoir d’état, elle devrait renforcer parce que les communes représentent des mini-états. Malheureusement effectivement à cause de la mauvaise communication, il y a de l’intoxication. On a fait que certains représentants de l’état n’avaient plus de rôle, mais on a redressé cela. Il faut mettre un contenu dans le mandat des représentants de l’état (préfets, sous-préfets) qui les rétablisse dans une certaine autorité, mais pas comme auparavant. C’est à cause de l’état central que les gens ont poussé pour la décentralisation, ils étaient éprouvés. Aujourd’hui c’est le commandement central qui est éprouvé par les populations donc il faut les revaloriser, aux yeux des populations et aux yeux des maires. Si la compétence peut être décentralisée, l’autorité et le pouvoir restent à l’état. Si cela est compris, il n’y a pas de raison que la décentralisation soit un motif de désagrégation de pouvoir étatique, évidemment si elle n’est pas compris il y a là un motif de désagrégation, un motif de cession de l’unité nationale. Certains pourraient croire que par décentralisation il faut comprendre la possibilité de pouvoir se détacher totalement, de programmer une forme de république. La constitution du Mali ne prévoit une telle forme de décentralisation.

Quel bilan peut-on faire de la décentralisation ?
A.I: A partir de 1978, il y a eu un départ vers une responsabilisation des populations, aujourd’hui on ne peut pas dire que les objectifs sont atteints. Au point de l’initiative, les objectifs sont atteints, les communes ont émergé, le haut conseil des collectivités a été créé, la pyramide de la décentralisation( commune, cercle, assemblée régionale), sans pourtant qu’il y ait des pouvoirs verticaux ou horizontaux, aujourd’hui cela a été fait. Au plan du développement, des efforts ont été faits, mais quel bilan en tiré, c’est une réponse qui est un peu difficile car pour en tirer un bilan il faut évaluer l’impact sur le développement lui-même. Sur ce plan on ne peut pas dire que la décentralisation n’a pas apporté aux populations un minimum de confort, minime soit-il. Pour le bilan, je ne m’en satisferai pas de façon glorieuse mais il n’est pas négatif. On peut encore mieux faire.




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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